Elle est aussi blonde (blanche à vrai dire) que son modèle était brune : à ceci près, les deux femmes partagent le même engagement féministe, lucide et combatif. Pour mieux comprendre leurs relations, Le Courrier Australien est allé à la rencontre de l’actrice australienne Jillian Murray qui jouera du 16 au 27 mai dans De Stroyed, une pièce (en anglais) qui combine des extraits de la Femme rompue*, L’âge de discrétion, le Deuxième Sexe et des lettres personnelles à Sartre. Un entretien militant.
Qui est Simone de Beauvoir ?
Jillian Murray n’a pas attendu 2018 pour se frotter à la célèbre auteure française. Dès 2011, elle travaille avec la metteure en scène Suzanne Chaundy sur La Femme rompue, jouée au théâtre de La Mama à Melbourne. « Nous avons rencontré un beau succès, raconte-t-elle, mais j’ai été extrêmement surprise de rencontrer, à la fin de certaines représentations, des jeunes femmes qui ne connaissaient absolument pas Simone de Beauvoir. » Cette méconnaissance combinée à l’intérêt provoqué par le spectacle poussent Jillian et Suzanne à retravailler ensemble. « Nous avons cherché à offrir une vue plus intime de l’intellectuelle, en intégrant des éléments autobiographiques et des lettres. » Jillian précise toutefois que seules les missives destinées à Sartre ont été inclues, pas sa correspondance avec Nelson Algren qui, elle, raconte encore une autre histoire.
De Stroyed, présentée en 2018, est un long monologue travaillé à partir d’un montage de textes de Simone de Beauvoir. S’y ajoutent des éléments très contemporains comme de la vidéo (Zoe Scoglio) et de la musique (Christopher de Groot). « Il nous a fallu tout cela pour évoquer ce qu’elle a été, montrer la finesse de ses observations et rester fidèle à son humour, son esprit et même son côté provocateur. » Ensuite, il a été décidé de questionner la femme vieillissante, dans le couple et en-dehors du couple. Que signifie prendre de l’âge ? Comment aborder la séparation, la séduction, l’effondrement ? Pour cela, ce sont trois personnages féminins qui ont été convoquées : une intellectuelle qui déteste notamment voir son époux « jouer au vieillard », Monique, ébranlée par le départ de son mari avec une femme plus jeune, puis Simone elle-même dans ses rapports complexes avec Jean-Paul Sartre. « Lorsqu’ils se sont rencontrés, il n’a pas caché à Beauvoir qu’il était ‘polygame’. Même s’ils ont tous deux été très libres dans leurs amours, je crois que cette situation a été plus difficile pour elle que pour lui. Malgré tout, leur complicité intellectuelle et leurs lettres sont très émouvantes. »
Un héritage fragile
Dans un climat de #Metoo, Jillian aime à rappeler que les femmes doivent en grande partie leurs libertés à la Française. « N’oublions pas que Le Deuxième Sexe a été classé par le Vatican dans la liste des romans interdits en 1949 », rappelle l’actrice. A cette époque, Simone de Beauvoir a d’ailleurs été traitée de tous les noms, comme elle l’écrivait elle-même : « Je reçus, signés ou anonymes, des épigrammes, épîtres, satires, admonestations, exhortations que m’adressaient, par exemple, des ‘membres très actifs du premier sexe’. Insatisfaite, glacée, priapique, nymphomane, lesbienne, cent fois avortée, je fus tout, et même mère clandestine. On m’offrait de me guérir de ma frigidité, d’assouvir mes appétits de goule, on me promettait des révélations, en termes orduriers, mais au nom du vrai, du beau, du bien, de la santé et même de la poésie, indignement saccagés par moi. »
N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. S. De Beauvoir
L’héritage est cependant tangible aujourd’hui : « il y a des avancées ». Jillian trouve les jeunes femmes d’aujourd’hui beaucoup plus fortes et plus confiantes. Du point de vue de l’égalité salariale, ça progresse aussi. Et côté artistique, les femmes sont encouragées par le Stellar Prize (prix de littérature féminine australien) ou la campagne associée Girls Write Up par exemple. Malgré tout, Jillian note que les conseils d’administration sont toujours majoritairement masculins, que les juges sont surtout des hommes. La position de Trump, qui s’est empressé de couper les aides aux associations internationales soutenant l’avortement, l’inquiète également. « Il reste beaucoup de conquêtes à faire et de victoires à célébrer » reconnaît-elle.
Comme en écho aux propos dans De Stroyed, Jillian raconte enfin qu’elle a elle-même interrompu sa carrière d’actrice de 40 à 59 ans. Fatigue, rôles moins intéressants, fragilité financière, maternité… elle a ressenti, elle aussi, les difficultés d’être une femme à cet âge « moyen » de la vie. Bizarrement, c’est maintenant qu’elle retrouve des propositions vraiment intéressantes. Elle a notamment joué, en Australie, dans l’Amante Anglaise de Marguerite Duras ou Les chaises de Ionesco : deux auteurs français ou en français. Plus récemment, on lui a offert de participer à un défilé de mode à Melbourne. « A 63 ans, je n’aurais jamais imaginé que cela pourrait m’arriver » assure Jillian qui ajoute, avec malice, que le travail a été fun et très facile… « puisqu’il n’y avait aucune ligne à apprendre. »
Valentine Sabouraud
* En anglais The Women destroyed, d’où le titre de la pièce De Stroyed.
De Stroyed du 16 au 27 mai à Fortyfivedownstairs 45 Flinders lane Melbourne. Prix de 30 à 40 $. Réservations ici.
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