Il ne reste que quelques jours pour admirer la complexité polymorphe de la pratique artistique de Louise Bourgeois (1911-2010), artiste française, naturalisée américaine. Passée à la postérité grâce à ces araignées démesurées qui hanteraient nos pires cauchemars et dont une est érigée devant l’entrée du musée, elle est l’auteure d’une œuvre foisonnante prompte à faire l’objet d’interprétations psychanalytiques.
Louise Bourgeois, à fleur d’esprit
D’emblée, on nous pose cette question: « Le jour a t-il envahi la nuit, ou serait-ce l’inverse ?». Deux tempo(ralité)s : « Le jour et la nuit ». L’expression elle même dénote autant le contraste que la complétude d’un cycle temporel au sein duquel la boucle est bouclée. Deux moments de la journée qui se font pendant avec des rythmes et des activités bien tranchés, créant ainsi une tension palpable. Celle présente au cœur de la production artistique de Louise Bourgeois est pour l’essentiel psychologique, quand bien même elle se trouve parfois externalisée et incarnée dans la forme et la disposition des objets. La courbe de corps inertes (comme) suspendus par un fil, est un exemple parmi d’autres.
La femme dans sa dualité jungienne et la maternité (vécue suite à la naissance de ses trois fils, sans parler de son rapport à sa propre mère) sont au cœur des préoccupations de cette intellectuelle pour qui les relations humaines sont teintées d’émotions fortes, telles la haine, l’anxiété et la peur, des émotions dites « négatives » qui trouvent leur réalisation dans une productivité esthétique singulière qui interpelle les spectateurs. Bourgeois ferraille avec le lien, celui qui se tricote et se détricote comme la tapisserie de Pénélope, avec ce qui se noue et se dénoue, avec la trame du tissu et du récit de sa vie.
Bourgeois ne s’embarrasse pas d’un projet mimétique, car l’art est avant tout une forme d’expressionnisme qu’elle essaie de codifier dans la géométrie de ses abstractions genrées, à l’image de la série des “personnages” qu’elle a conçus avant de fêter ses 40 ans. L’artiste procède de la mise en rapport de catégories binaires (ordre versus chaos, raison versus déraison, cognition versus émotion) qui entrent en lutte avec les mots, les idées, la plastique et la pratique, pour donner naissance à des formes d’expressivité dans une chorégraphie de signes symboliques.
L’art lui a permis d’exorciser ses démons du passé et de faire saillir ce qui gisait dans l’inconscient, exercise que la psychanalyse qu’elle a entrepris à la mort de son père n’a pas peu contribué à nourrir. Son rapport ambivalent au père (amour-haine), son admiration pour sa mère et le commerce qu’elle entretient avec elle-même dans ces moments d’introspection salvateurs qui lui permettent de faire sens grâce à la force de rétrospection, ont tous été des facteurs déterminants qui ont présidé à l’élaboration de ses créations.
Il serait bien dommage de faire l’impasse sur cette exposition de belle facture qui donne des airs d’art contemporain à Sydney, une ville qui entend rivaliser à qui mieux mieux avec les grandes mégapoles internationales telles Paris, New York, Tokyo.
Jean-François Vernay
L’exposition Louise Bourgeois est proposée au public jusqu’au 28 avril 2024 (Art Gallery of New South Wales).
Discussion à ce sujet post