Dans un récent débat télévisé, vous avez confusément plaidé pour un nationalisme identitaire et économique, accablant l’Union européenne au passage. Elle est pourtant notre meilleur atout face au défi migratoire et économique. Voici pourquoi.
Cher Monsieur Zemmour,
C’est votre débat avec Daniel Cohn Bendit sur LCI qui m’a décidé à vous écrire.
Les arguments échangés tournent autour de deux thèmes distincts mais confusément entremêlés, ceux des nationalismes identitaire et économique.
Le nationalisme identitaire, vous le vivez comme le sursaut pour sauver l’identité française, surtout face à l’immigration musulmane.
Le nationalisme économique, vous le voyez comme « la » solution pour redonner de l’emploi et du pouvoir d’achat.
Ces deux nationalismes pour être réalisés nécessitent selon vous de retrouver la pleine souveraineté française par opposition à la souveraineté partagée dans le cadre de l’Union Européenne.
Il y a en quelque sorte les enjeux de fonds, l’identité française et l’emploi, et les enjeux de moyens pour atteindre ces objectifs de fonds, soit la maîtrise des frontières, la souveraineté monétaire, et le protectionnisme économique.
L’Union européenne en tant que partage de souveraineté, que zone de libre-échange économique, qu’espace de libre circulation des personnes, que négociateur des traités économiques internationaux, que monnaie unique pour les pays membres de la zone euro, est donc votre ennemi idéologique.
Avant d’adresser les enjeux de fonds, réfléchissons aux stratégies les plus efficientes pour atteindre vos objectifs.
Quels sont les enjeux ?
L’immigration est de fait un enjeu très important. L’appartenance à l’Union européenne fait-elle partie de la solution ou est-elle un obstacle à celle-ci ?
Que veut dire maîtriser ses frontières nationales ? Le premier stade serait de rouvrir des postes de douane avec contrôle de tous les véhicules, le deuxième stade serait de mettre en place une surveillance, si pas une barrière physique, tout le long des quelque 3 000 km de frontières terrestres de la France métropolitaine !
Vous expliquez que l’on ne peut pas faire confiance à l’efficacité du contrôle des frontières extérieures de l’Europe par les États concernés. Que de plus, une fois les migrants entrés via l’Italie, la Hongrie ou l’Espagne, ils ont libre parcours au sein de l’Europe.
Mais pourquoi penser que l’Italie, la Hongrie, l’Espagne ou tout autre pays situé sur les grandes voies de migration, dans une Europe désunie, sans traité de coopération et de solidarité sur le financement de la sécurité des frontières, ne laisseraient pas passer des migrants en transit vers la France ?
L’absence de coopération structurée entre pays européens, c’est en fait affaiblir le contrôle des frontières extérieures sur la foi que la maîtrise des frontières nationales françaises permettra de résoudre le problème.
Gérer l’immigration, c’est avoir une politique européenne, pour soutenir la stabilisation politique et le développement économique des pays sources d’immigration en vue de réduire cette pression migratoire, c’est avoir une approche commune de la gestion des frontières extérieures, en prévoyant une solidarité financière avec les pays les plus exposés aux voies migratoires, et c’est une approche équilibrée de la répartition des efforts d’intégration pour l’immigration autorisée.
Frontex, l’Agence européenne des gardes côtes qui vient en support des pays qui ont des frontières extérieures, comprend quelque 1 500 agents. La solution n’est pas de démanteler Frontex dans un mouvement de repli nationaliste, elle est de renforcer cette agence, ce qui a été décidé, puisqu’elle sera dotée prochainement de 10 000 agents. L’approche européenne permet d’allouer plus de moyens dans les zones les plus névralgiques, d’harmoniser les bases de données avec un identifiant unique pour les ressortissants des pays hors Europe, quel que soit leur pays d’entrée, de conclure des accords avec des pays tiers comme la Turquie, de mettre en œuvre des stratégies de lutte contre les filières mafieuses qui exploitent l’immigration.
Il est illusoire d’espérer contenir l’immigration sur les quelque 3 000 km de frontières terrestres de la France dans le contexte d’une Europe où chaque pays chercherait à tirer son épingle du jeu en rejetant les problèmes chez les autres. Le problème est global, et donc aussi sa solution, il faut apprendre à gérer ensemble les grands enjeux.
L’UE, un atout économique
Votre deuxième cause est le nationalisme économique, vous pensez pouvoir améliorer l’emploi et le pouvoir d’achat en réduisant la concurrence intra-européenne et vis-à-vis du reste du monde, et en sortant de l’euro.
Mais pourquoi pensez-vous que ce repli serait source d’une amélioration pour la France ?
Vous attribuez tous les problèmes économiques de la France à la concurrence internationale qui serait déloyale, salaires plus bas, normes moins rigoureuses, subsides à certaines industries. Vous estimez par ailleurs que l’euro est une monnaie trop forte, qui rend les exportations moins compétitives.
En fait, ce que vous décrivez comme effets pervers est exactement ce qui existait avant la création du marché unique européen. Les pays européens se faisaient concurrence via des dévaluations compétitives en cherchant à se créer un avantage concurrentiel via une monnaie faible, les règlementations nationales étaient toutes différentes, certaines industries étaient soutenues à coup de subsides créant des surcapacités et des guerres de prix.
L’objectif du marché unique et de l’euro est de mettre les entreprises dans un contexte où la concurrence se joue sur leur performance, leur capacité à atteindre l’excellence dans la qualité et la productivité, dans l’intérêt des consommateurs. En effet, les subsides sources de distorsion de concurrence sont interdits, les règles sanitaires et de protection des consommateurs sont en voie d’harmonisation, les monopoles publics non justifiés par une mission de service public ont dû être privatisés.
La France a un coût horaire moyen (CHM) de 36 €, et 90 % de son déficit commercial dans ses échanges intra-européens sont avec l’Allemagne (CHM 34,1 €), la Belgique (CHM 39,6 €), l’Italie (CHM 28,2), les Pays Bas (CHM 34,8) et l’Irlande (CHM 31 €). Il faut se rendre à l’évidence, l’enjeu n’est pas ici une distorsion de concurrence sur les salaires, ce qui est en jeu, c’est le dynamisme de l’économie locale, sa capacité d’innovation et son ouverture à l’exportation.
Vous plaidez pour le retour au franc pour disposer d’une monnaie plus faible qui favoriserait les exportations ! Mais avez-vous fait le bilan complet d’une telle stratégie ? Un franc faible, c’est une augmentation des coûts des importations, notamment des énergies fossiles, c’est donc une inflation à la pompe et pour tous les produits importés. Pour l’industrie, c’est une augmentation des coûts des biens intermédiaires importés et donc une réduction de leur compétitivité. Pour l’État, c’est une explosion du coût de la dette publique via l’augmentation des taux d’intérêt réels qui ne manquera pas d’accompagner une monnaie plus faible sur les marchés financiers. C’est aussi une augmentation des salaires à terme qui sera provoquée par la pression sociale pour rattraper les pertes de pouvoir d’achat générées par l’inflation.
Bref, le retour au franc ne résoudra pas les problèmes structurels de l’économie française, l’avantage aux exportations sera de courte durée, soit le temps que les salaires s’adaptent à la hausse, et la France et les Français en sortiront durablement appauvris, les actifs libellés en francs auront perdu une bonne partie de leur valeur, tandis que des augmentations d’impôts seront nécessaires pour couvrir la hausse des intérêts sur la dette publique.
Êtes-vous sûr de vouloir assumer un tel bilan idéologique ?
Pas le moment de se replier
Cher Monsieur Zemmour, j’ai de la peine à vous suivre. Je crois que nous partageons une inquiétude par rapport à l’évolution du monde, incontestablement notre modèle culturel occidental et ses libertés sont sources d’inimités auprès des puissances comme la Chine, une partie du monde musulman et la Russie.
Il est donc indispensable que les pays qui partagent ce trésor bâti durement au cours de notre histoire alignent au mieux leur vision et leur action en vue d’être suffisamment forts dans un monde qui se globalise inévitablement, avec de nouvelles concurrences économiques, idéologiques et militaires.
La globalisation est un fait qui s’impose au rythme de la croissance démographique, et sous l’impulsion magistrale des sciences et des technologies.
Nous sommes dans un changement considérable au niveau mondial, de nouveaux territoires deviendront stratégiques (les terres rares), la maîtrise des sciences et des technologies sera déterminante (l’intelligence artificielle), ce n’est pas le moment du repli sur soi, mais au contraire, c’est le moment des alliances entre Européens, du rassemblement des intelligences qui ne sont pas que françaises, nous devons réussir à trouver notre place et faire rayonner notre culture dans ce monde global tout en étant mieux intégré au niveau local, des circuits courts, de l’économie durable, et de la qualité de la vie.
Bien cordialement,
François le Hodey
Source : La Libre Belgique
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