C’est avec une immense et insondable tristesse que j’ai appris le décès de Jacqueline Dwyer née Playoust le mardi 7 avril 2020 à l’âge de 94 ans. Sa famille m’avait prévenue quelques jours auparavant de son hospitalisation puis de son transfert dans une maison de repos où, en raison des restrictions liées à la crise du coronavirus, il n’était pas possible de lui rendre visite. Je lui avais écrit un petit mot pour lui souhaiter bon rétablissement et lui dire mon espoir de la revoir bientôt. Hélas.
Récemment arrivée à Sydney, je n’ai d’autre titre pour rendre hommage à Jacqueline Dwyer que le privilège de l’avoir connue.
Je connaissais déjà son nom avant d’arriver à Sydney grâce à Eric Berti, Consul général à Sydney qui m’avait offert, avant de partir, le livre French Lives in Australia, dans lequel Jacqueline Dwyer avait consacré un chapitre à son grand père Georges Playoust, homme d’affaires et patriote, pilier de la communauté française en Australie de la fin du XIXème siècle aux débuts de la Première guerre mondiale. C’est en tant qu’héritière de cette mémoire, mais surtout en tant qu’historienne que Jacqueline Dwyer a été distinguée de l’ordre national du mérite en 2015, pour avoir notamment retracé dans le Flanders in Australia les débuts du commerce de la laine entre l’Australie et le Nord de la France.
Grâce au travail de Jacqueline Dwyer sur la mémoire de la famille Playoust ont été mis en lumière des aspects méconnus de la relation franco-australienne dans ce passage du XIXème au XXème siècle si riche pour l’histoire de nos deux pays. C’est au moment-même où l’Australie engageait sa marche vers l’unité nationale, que furent fondées, à côté du Courrier australien, les institutions qui continuent de faire rayonner la France aujourd’hui : Alliances françaises de Melbourne et de Sydney, Chambre de commerce franco-australienne dont Georges Playoust fut le premier Président… etc. Bien avant l’alliance historique née de l’engagement australien dans la Première Guerre mondiale, la présence française et francophone en Australie était assurée par une communauté active et entreprenante qui contribua dès le XIXème siècle à l’essor de cette Nation alliée.
Jacqueline Dwyer m’a fait l’honneur d’être présente lors de la réception organisée en septembre 2019 à l’occasion de la venue en Australie du groupe d’amitié France-Australie du Sénat. Je lui ai rendu visite en décembre 2019 dans sa maison de Mosman pour mieux faire connaissance.
C’est là que j’ai compris combien elle avait été à la fois inspirée par son grand père et ses parents, mais surtout combien elle était aussi une inspiration pour ses six enfants et ses dix petits-enfants, combien son rôle avait été important pour entretenir chez chacun, plus de 100 ans après l’arrivée de sa famille en Australie, le lien avec la France, avec la langue française, afin que chacun se sente à la fois pleinement Français et Australien. C’est dans cette double culture qu’elle a élevé sa brillante famille, grâce avec sa vivacité d’esprit et sa bienveillance exigeante, et toutes ses histoires à raconter. Il n’y a pas de transmission sans amour ni incarnation.
Dans les récits de Jacqueline se mêlaient les histoires et l’Histoire; on y retrouvait également la fierté d’appartenir à une famille de personnes engagées au service des autres : quatre de ses oncles sont décédés pendant la première guerre mondiale, tandis que son père Jacques devenait un des soutiens de la France libre à Sydney. Elle – même sera, après la guerre travailleuse sociale, tandis que son mari Brian Dwyer deviendra un pionnier de l’anesthésie en Australie et le fondateur de la première unité de soins intensifs à l’Hôpital saint Vincent.
Au moment où les professionnels de santé sont en première ligne dans la lutte contre l’épidémie du Coronavirus, il faut aussi rendre hommage à travers Jacqueline à une famille de médecin, particulièrement engagés comme son fils Dominic, dont l’équipe de recherche à l’Hopital de Westmead a été une des premières à recréer le virus, sa belle–fille Megan ou encore une des petites filles dont elle m’avait parlé , médecin réserviste, qu’elle se réjouissait de voir lorsqu’elle venait effectuer son service à l’hôpital naval de Balmoral.
A travers ses travaux d’historienne, mais aussi à travers les traditions familiales qu’elle a créées, Jacqueline Dwyer a fait mentir ce funeste adage que l’on peut lire dans les Mémoires d’Hadrien « La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir. » C’est parce qu’elle avait ce sens profond de la mémoire et de la transmission et qu’elle aimait les livres que sa famille a souhaité que les donations en sa mémoire soient adressées à la Bibliothèque nationale de Nouvelle Galles du Sud.
C’est à nous tous aujourd’hui, membre de la communauté française de Sydney qu’il revient d’entretenir le souvenir précieux d’une grande dame, et de nous souvenir, à travers elle et à travers l’histoire de sa famille que les grandes épreuves de ce monde peuvent être surmontées.
Anne BOILLON, Consule générale de France à Sydney
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