Accorder ou ne pas accorder le participe passé avec l’auxiliaire « avoir », telle est la question à laquelle nos amis belges ont commencé à répondre dans une tribune publiée dans Libération lundi dernier. Pour les professeurs signataires, que le complément soit placé avant ou après le verbe : le PP devrait rester invariable. Simple, clair et, surtout, sans exception…
En Australie, le français est la deuxième langue étrangère la plus enseignée après le japonais. Nombre de professeurs, natifs ou non, ont donc leur avis sur l’orthographe et la grammaire. Sont-ils pour ou contre ce « choc » éventuel de simplification qui remue la France ? Est-ce que cela pourrait avoir un impact sur leur enseignement ? Et du côté des élèves : on en pense quoi ?
Véronique Duché est enseignante à Melbourne University. Ses élèves sont de ceux qui ont le niveau le plus avancé. Est-elle surprise que le « coup » vienne des Belges ? « Pas du tout, rit-elle, en France le sujet est tellement délicat et il a été si souvent débattu qu’une proposition d’ordre grammatical ne pouvait venir que d’un outsider. » Les Français seraient donc réfractaires à toute réforme, celle-ci comprise ? « Pas vraiment, car la langue a constamment changé, notamment à la Renaissance, mais il s’agit toujours de trouver un équilibre entre : conserver un héritage et évoluer avec la société. » Véronique Duché note d’ailleurs avec à-propos que cette règle d’accord du participe passé est arrivée en France avec Clément Marot qui l’a reprise… de l’italien. L’enseignante renvoie aussi à La défense et illustration de la langue française de Joachim Du Bellay, ouvrage publié en 1549. Comme quoi, la guerre grammaticale ne date pas d’hier.
Clément Marot a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages !*
Pour Nathalie Foos, fondatrice d’une école de français à Hampton, la suppression de cet accord serait pourtant une bonne idée… pour ses élèves australiens. En tant qu’enseignante de « français langue étrangère », elle constate tous les jours la difficulté à faire comprendre « qu’on n’accorde jamais le participe passé avec ‘avoir’… mais que si, tout de même, lorsque que le COD est placé avant le verbe. » Elle observe que la logique échappe à ses apprenants d’autant qu’on entend rarement la différence à l’oral (sauf au féminin mais, là encore, pas toujours). En outre, même en décortiquant les phrases, elle pointe un « désintérêt général » pour la grammaire. « Il n’y a que les techniciens de la langue, ceux qui passent des examens comme le C1, qui adorent cet accord. Ils aiment d’ailleurs se prévaloir de le maîtriser. » Il y aurait donc du snobisme chez les élèves ? « Un peu », admet-elle.
Genre, vouvoiement, compléments, subjonctif…
Australienne, Kellee Lewis est responsable du concours Berthe Mouchette, un rendez-vous étendard de la poésie française qui se déroule depuis 1894 dans le Victoria. Connaît-elle cette règle d’accord du participe passé ? Elle réfléchit, mais ne se rappelle plus trop. Il faut dire qu’à moins d’un exemple concret, la règle est difficile à expliquer et on ne l’utilise pas si souvent. Jeune fille, Kellee Lewis a appris le français au lycée, puis à l’université. Elle a aussi vécu en France. Quand on lui demande ce qui est le plus dur dans l’apprentissage de la langue, elle ne désigne pas cette règle spontanément. « Pour moi, le plus dur, c’est le genre. Le masculin, le féminin, ça n’existe pas en anglais. » Le tutoiement et le vouvoiement sont tout aussi compliqués « peut-être parce que tout le monde est au même niveau et que je n’aime pas la hiérarchie ». Elle enchaîne sur le COD, COI et aussi le subjonctif… une liste conséquente.
Une affaire de culture et d’identité
Véronique Duché abonde au sujet du genre qui n’a aucune logique et qu’il faut presque apprendre mot par mot. Pour ses élèves anglophones, elle évoque aussi des difficultés à maîtriser les temps du passé. Quand utiliser l’imparfait, quand utiliser le passé composé ? « Finalement, c’est toute notre perception du temps et de la chronologie qui est incarnée dans ces usages. Je dirais même qu’ils montrent comment nous, Français, nous nous positionnons dans le monde. » Une affaire de culture donc, et d’identité. Nathalie Foos est d’accord. D’ailleurs, elle admet que cette règle d’accord du participe passé, décriée aujourd’hui par certains Belges, elle la fait quand même appliquer par ses propres enfants. Elle reconnaît : « S’ils disent ‘la table que j’ai mis’ : ça m’écorche les oreilles. »
Pourquoi pas onion ou auteure
Finalement, pour les anglophones, ce changement, s’il était acté, serait donc une goutte d’eau dans un océan de difficultés. Et pour les francophones natifs… ce changement semble mineur par rapport à d’autres évolutions souhaitées ou souhaitables. Nathalie Foos verrait d’un bon œil la simplification du pluriel pour les mots composés ou même la suppression du « gn » : écrire « onion » serait tellement plus facile. « Forest est bien devenu forêt. » Quant à la féminisation de certains termes, pourquoi pas ? N’écrit-on pas « auteure » ou « professeure » plus souvent ? « Finalement, c’est l’usage qui fera évoluer la règle, comme l’emploi du subjonctif (toléré) au lieu de l’indicatif (correct) après la locution conjonctive après que. »
Au final, les Belges signataires de la tribune seront-ils suivis par d’autres pays dans cette nouvelle ère grammaticale ? Ann-Elizabeth, citoyenne suisse, est dubitative. Elle est plutôt d’accord avec le philosophe et politique Jean Romain qui écrit : « La tendance actuelle qui consiste à éliminer un obstacle au lieu de le surmonter me désole »… Quant aux autres pays francophones : libre à eux de faire ce qui leur plaît. Après tout, le français du Canada est différent de celui qui est enseigné en Côte-d’Ivoire. En France, après des discussions houleuses, nul ne sait ce qui adviendra de la règle. Quant aux autorités belges, elles viennent de publier un communiqué officiel qui stipule ne pas avoir été saisies « d’une quelconque demande du Conseil de la langue française ». Il n’y a donc pas lieu de se positionner… pour l’instant.
Stéfanie, Belge à Melbourne, aura le mot de la fin. Si elle ne peut anticiper l’avenir de la proposition sur l’invariabilité du participe passé, elle n’est pas étonnée que l’idée vienne de la Belgique. « Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour embêter les Français, sourit-elle, sans doute est-ce notre côté ‘provocateur’, un trait qui se retrouve dans notre littérature – justement – comme dans notre peinture ou notre cinéma. » Un pied de nez qui aura néanmoins permis de relancer l’un des débats préférés des Français… sur le français.
Valentine Sabouraud
*Véronique Duché, citant Voltaire.
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