Une ultime séance de négociations européennes se tient mardi sur une première directive contre les violences faites aux femmes, qui ne devrait toutefois pas concerner le viol, en raison de l’opposition d’une partie des Etats membres dont la France et l’Allemagne.
« Cette directive sera un pas en avant, même si ce ne sera pas le pas de géant que nous, du côté du Parlement et des groupes progressistes, aurions voulu voir », a déclaré à l’AFP l’eurodéputée suédoise Evin Incir (groupe Socialistes et démocrates), l’une des négociatrices.
Des discussions sont en cours depuis plusieurs mois à Bruxelles autour de ce texte, qui vise notamment à rapprocher les législations et la réponse pénale des 27 pays membres sur les mutilations génitales, le mariage forcé, la divulgation de vidéos intimes, le harcèlement en ligne.
Mais la question du viol s’est avérée la plus controversée.
Le projet, tel que présenté le 8 mars 2022 par la Commission, prévoit dans son article 5 une définition du viol fondée sur l’absence de consentement. Le Parlement européen et des pays comme la Belgique, l’Espagne, la Grèce, la Suède et l’Italie sont sur la même ligne.
Mais une douzaine d’Etats membres, notamment la France, l’Allemagne et la Hongrie, s’opposent à ce que le viol soit inclus dans la législation, estimant que l’UE n’a pas de compétence en la matière.
L’eurodéputée française Nathalie Colin-Oesterlé (groupe PPE, démocrates-chrétiens), regrette que cette directive soit réduite à « une demi-loi ».
« Je trouve cela terrible », explique-t-elle à l’AFP. « Aujourd’hui, avec une définition restrictive du viol dans certains Etats membres, dont la France, il n’y a que peu de plaintes qui aboutissent. Le sujet, c’est d’élargir le champ de la preuve ».
« Inacceptable »
Douze ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont récemment jugé « inacceptable que certains Etats membres s’obstinent à ne pas répondre à la nécessité de lutter contre le viol dans l’ensemble de l’UE, en se retranchant derrière des interprétations juridiques restrictives des compétences de l’UE ».
« Les définitions fondées sur le consentement ont prouvé qu’elles garantissaient une meilleure protection et un meilleur accès à la justice » aux victimes, affirment-elles.
Le président Emmanuel Macron, qui a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une « grande cause » de son quinquennat, a été interpellé sur ce blocage par des élus jusqu’au sein de sa famille politique. En Allemagne, 111 femmes (militantes féministes, artistes, journalistes…) ont aussi récemment écrit au ministre de la Justice Marco Buschmann à ce sujet.
« Macron, Buschmann et (le Premier ministre hongrois Viktor) Orban nous empêchent d’avoir une législation sur le viol basée sur l’absence de consentement », a dénoncé Evin Incir, les accusant de « se tenir du mauvais côté de l’histoire ».
La définition du viol diffère selon les pays de l’UE.
En France par exemple la loi définit ce crime comme une pénétration sexuelle ou acte bucco-génital commis sur une personne avec violence, contrainte, menace ou surprise, sans que la notion de non-consentement ne soit mentionnée explicitement.
Pour la France et l’Allemagne, ce crime n’a pas la dimension transfrontalière nécessaire pour être considéré comme un « eurocrime » susceptible de donner lieu à une harmonisation européenne. Ces pays estiment qu’il y a un risque que le texte soit retoqué en cas de recours devant la justice européenne.
Ce que contestent le Parlement européen et la Commission, qui considèrent que le viol peut entrer dans le cadre de l' »exploitation sexuelle des femmes », qui fait partie des « eurocrimes ».
Les tenants d’une définition harmonisée du viol prenant en compte la notion de consentement font aussi valoir qu’elle est conforme à la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ratifiée par l’UE.
Devant l’absence de perspective d’accord sur l’inclusion du viol dans la directive, les eurodéputés ont proposé que le texte contienne au moins une « obligation pour les Etats membres d’œuvrer en faveur d’une culture fondée sur le consentement, par le biais de manuels scolaires, de campagnes de sensibilisation spécifiques », explique Evin Incir.
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