L’équipe de Michel Barnier annoncée samedi est un gouvernement « de crise » sans personnalités « marquantes » en position de faiblesse à l’Assemblée face aux présidentiables de leur camp et aux oppositions prêtes à le censurer, selon des experts.
Ce gouvernement de 39 ministres, dont une douzaine Ensemble pour la République (ex-Renaissance) et dix LR, n’est ni une « cohabitation ni un remaniement mais une coalition entre macronistes et républicains », résume le politologue Bruno Cautrès.
Il est le reflet de l’alliance entre le centre et la droite qui a permis la réélection, de justesse, de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale, rappelle Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen.
Un gouvernement « macroniste-LR que laisse survivre le Rassemblement national avec une orientation sans doute plus à droite que précédemment », complète le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Beaucoup sont inconnus du grand public. « Ce sont des seconds couteaux », qui ne sont pas candidats à l’Elysée, « ce qui permet qu’ils n’entrent pas en conflit les uns avec les autres, ou contestent Michel Barnier », explique M. Morel.
Car ce gouvernement, qui est privé de majorité absolue, « n’a aucun intérêt à légiférer à foison. Il doit être le moins irritant possible ».
– « Fragilité –
Ces ministres, sans poids politique, vont d’une part « devoir gérer à l’Assemblée des députés présidentiables » comme Laurent Wauquiez, Gérald Darmanin ou encore Gabriel Attal, et d’autre part risquer de devenir les subordonnés des commissions parlementaires sur leurs propres dossiers, relève le spécialiste.
Michel Barnier « espère passer sous les radars de la censure avec des personnalités peu connues », abonde une ministre sortante. Mais « le risque : c’est que les +forts+ sont en dehors. Et tous n’ont pas envie que ça marche. On a aussi des profils assez junior sur des postes clés avec des administrations surpuissantes ».
« C’est un élément de fragilité et d’instabilité » dans le contexte budgétaire tendu, insiste M. Morel en citant les deux jeunes ministres nommés à Bercy: Antoine Armand, 33 ans, ministre de l’Economie, et son collègue du Budget, Laurent de Saint-Martin, 39 ans.
« C’est un gage de possible réussite plus que de faiblesse », estime au contraire un vieux routier de la macronie. « Barnier a éliminé tous les présidentiables, Darmanin, les poids lourds. Les ministres ne sont pas très connus, ils ne sont donc pas attaquables. C’est un gouvernement de compétences ».
Un ténor du camp présidentiel s’inquiète de la nomination d’Anne Genetet à l’Education qui « n’a jamais mis les pieds dans le secteur ». Il y voit surtout une manoeuvre de Gabriel Attal, dont cette députée est proche, et qui veut « conserver la main » sur ce dossier.
– Titanic –
A moins que le Premier ministre ait eu du mal à recruter « parce que personne n’a envie de monter dans l’orchestre du Titanic », avance Mme Bezzina. Elle note quand même la présence dans l’équipe de « vieux barons », comme Didier Migaud (Justice) ou Bruno Retailleau qui permettent de « porter le message d’une forme d’unité nationale ».
« C’est un gouvernement de crise pour tenir tête à une Assemblée qui n’a jamais été autant fracturée et gérer la pire crise budgétaire depuis 1974 », selon Mme Bezzina.
Michel Barnier aura du mal à répondre aux électeurs qui ont « un sentiment de dysfonctionnement démocratique », car « l’enjeu du budget va emporter tout sur son passage dans un premier temps », abonde Bruno Cautrès.
Cette crise budgétaire « peut tendre les choses avec les macronistes parce que ce sera remettre en cause leur bilan et ça voudra dire des coupes dans des dépenses publiques, accompagnées de certains impôts », explique-t-il.
Par ailleurs, même si l’immigration ne figure dans aucun intitulé de ministre, Bruno Retailleau voudra de son côté « se démarquer de Gérald Darmanin » qui issu de la droite, a déjà beaucoup investi ces sujets.
Un poids-lourd de la majorité sortante prédit que ce gouvernement « ne pourra pas durer » parce qu’un « parti populiste ne peut pas soutenir un gouvernement impopulaire. Donc le RN censurera plutôt tôt que tard ».
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