Membre du réseau mondial des villes créatives de l’UNESCO dans la catégorie littérature, Melbourne se devait d’être à la hauteur de cette reconnaissance obtenue en 2008. Dans son dossier de candidature, la capitale du Victoria s’était alors engagée à apporter un important soutien à ses auteurs. Promesse tenue avec la création du Wheeler Centre (anciennement Centre of Books, Writing and Ideas), un hub d’une incroyable vitalité qui attire les écrivains, penseurs et intellectuels de tous le pays pour échanger sur les sujets les plus variés. Son directeur, Michael Williams (photo ci-contre), nous en dit plus.
De l’architecture aux droits de l’homme en passant par la poésie érotique
« Melbourne a toujours été une ville littéraire, avec de nombreux écrivains et un important réseaux de librairies indépendantes – nous n’avons pas de grosses enseignes comme en Angleterre ou en France. En 2008, il a été décidé de valoriser ce patrimoine et de coordonner les efforts de six grandes associations dont Writers Victoria, The Small Press Network ou Australian Poetry… Ce rôle a été dévolu au Wheeler Centre qui a aussi eu comme mission de créer des événements et des conférences publiques. C’est ce que nous nous efforçons de faire depuis bientôt dix ans. » Aujourd’hui, le hub propose 250 rendez-vous par an dans des lieux extrêmement variés, y compris des parcs ou des domaines viticoles, et 80% sont gratuits. Tous types de sujet sont abordés de l’architecture aux droits de l’homme en passant par la poésie érotique et, bien sûr, l’actualité. « Cet éclectisme est volontaire et nous ne nous interdisons rien » assure Michael Williams. Même lorsque le Centre aborde un sujet sensible comme Israël et la Palestine – sachant que Melbourne compte une importante communauté juive – cela donne un débat « sans dérapage » à l’hôtel de ville.

Créer les conditions d’un débat respectueux
Il n’y a donc vraiment aucun sujet tabou ? Pourtant, le Wheeler Centre a accueilli récemment les auteurs de South of Forgiveness co-écrit par une victime et son violeur : Thordis Elva et Tom Stranger. Une pétition a été lancée pour empêcher l’événement. Qu’en a-t-il été ? « Nous avons souhaité que les auteurs ne fassent pas de conférence, mais qu’ils soient questionnés par un intervenant tiers. Nous n’avons pas filmé et, surtout, nous avons fait venir des conseillers spécialisés pour qu’ils puissent aider les membres du public qui auraient du mal à gérer leurs émotions. Au final, notre position a été comprise. » Le Centre se targue de réussir à faire parler et converser toutes sortes d’intervenants y compris des personnalités politiques qui n’ont pas la cote comme l’ancien ministre de l’immigration Philip Ruddock, épinglé par Human Rights Watch pour ses positions vis-à-vis des réfugiés. « Nous ne sommes pas toujours d’accord avec nos invités, mais nous essayons de créer les conditions d’un débat respectueux. »
The Messenger
De fait, on imagine les Australiens peu enclins à s’écharper sur leurs idées comme les Français par exemple, le directeur confirme-t-il ? « Je crois que nous avons surtout à cœur d’être « fair »(équitables)… cela fait partie de notre ADN. Nous aimons discuter sans toutefois être révolutionnaires. » Michael Williams déplore simplement le fait de ne pas réussir à peser davantage. « Les personnes qui ont déjà une opinion ont du mal à en changer, quelle que soit la qualité de la position adverse. » Cela vaut en Australie, comme ailleurs. La question des réfugiés, à laquelle le Wheeler a fait écho dans une série de podcasts incroyables et poignants appelée « The Messenger », n’aura, selon lui, « aucun impact sur la politique migratoire du pays. » Pourtant, le Centre et le journaliste en charge du sujet Michael Green (à la tête de l’association Behind the Wire) ont reçu un Melbourne Award ainsi que le prestigieux International Radio Grand Award à New-York. L’histoire de Aziz Muhamat, migrant soudanais enfermé à Manus Island ne touchera donc réellement que ceux qui sont déjà convaincus qu’on ne peut plus laisser faire.
Podcasts et résidence

Aujourd’hui le Wheeler Centre est suffisamment reconnu pour avoir le luxe d’être spontanément contacté par les auteurs ou leur agent… qu’ils soient australiens, anglais ou américains. « Nous avons organisé des événements dans une autre langue avec un traducteur : en chinois, en allemand ou même en français. Mais rarement. » A l’occasion du tout premier événement du Centre, douze auteurs locaux étaient invités à raconter en cinq minutes une histoire qu’ils tenaient de leurs grands-parents. Outre le premier succès d’estime rencontré immédiatement, Michael Williams précise qu’un Français avait été convié. « Il a apporté la musicalité de votre langue »… et un autre auteur a chanté, mais quoi de plus normal pour un parolier ? « Ce soir-là, tout le monde a passé un bon moment. »
Financièrement, le Wheeler Centre a la chance d’être soutenu par l’état du Victoria qui contribue à hauteur de 50% à son budget. « Nous avons vu passer six premiers ministres et tous nous ont soutenus » sourit Michael Williams. A côté de ça, le Centre a bénéficié d’un don important de la famille Wheeler (fondatrice du Lonely Planet) qui a donné son nom à l’institution. Certains événements restent payants et quelques mécènes aident le Centre. « Nous tenons à rétribuer nos intervenants correctement, sachant que les auteurs ont du mal à gagner leur vie et qu’ils doivent généralement travailler à côté. » Le Wheeler Centre offre des postes de travail à certains jeunes auteurs assortis d’une très modeste bourse, mais l’avenir voudrait voir la création d’une résidence. « Nous voulons aussi élargir notre audience, à travers nos podcasts par exemple »… bref, l’avenir s’annonce dense et occupé pour ce lieu qui n’a quasiment aucun équivalent au monde.
En 2018, que conseille-t-il au public ? « Nous aurons un thème autour de la mort qui peut bousculer, mais je recommande de s’abonner à notre newsletter. Nous brassons un tel éventail de sujets qu’il y en aura toujours un pour vous intéresser. » Au hasard, on vous laisse sur ces grandes questions : quelle est le sexe des aliens ? La mort a-t-elle un futur ? La distinction droite / gauche a-t-elle toujours un sens ? A quoi sert la littérature ?…
De quoi éveiller la curiosité, avant de l’étancher.
Valentine Sabouraud
Wheeler Centre 176 Little Lonsdale St, Melbourne VIC 3000 – Infos ici.
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