Le Covid a frappé à ma porte le 30 mars 2021 : test PCR positif. Après quelques jours à la maison et une saturation en oxygène en baisse, j’étais embarqué par des ambulanciers alors dubitatifs sur mon admission à l’hôpital. Le voyage a duré 27 jours pendant lesquels j’ai flirté avec la mort et mon épouse s’est imaginée veuve avec trois enfants au gré de ses appels avec les médecins.
Un témoignage de Julien Lecomte, diplomate (s’exprime ici à titre strictement privé)
Le Covid a frappé à ma porte le 30 mars 2021 : test PCR positif. Après quelques jours à la maison et une saturation en oxygène en baisse, j’étais embarqué par des ambulanciers alors dubitatifs sur mon admission à l’hôpital.
Le 4 avril, j’avais droit à quelques œufs de Pâques sur mon plateau-repas et je me disais qu’on n’était pas si mal mis à part l’appoint en oxygène devenu indispensable. Le 9 avril, je fêtais mes 44 ans dans l’unité de soins intensifs, non sans avoir pu bénéficier d’une montée en gamme dans le type d’assistance respiratoire. Mes journées étaient alors rythmées par de longues séances assis sur un fauteuil orange à décompter les heures avant de pouvoir regagner mon lit. On me disait qu’il fallait passer par là pour aider mes poumons à prendre le dessus sur le virus.
Lorsqu’on m’a proposé de participer à une étude clinique sur un traitement expérimental, j’ai signé tout de suite : qu’est-ce que j’avais à perdre ? Pas de chance pour moi, le sort a voulu que je fasse partie du groupe de patients qui ne recevraient ni le traitement ni le placebo.
Le 14 avril, déjà épuisé par cette lutte inégale, je me faisais intuber sans (vouloir) imaginer que ce voyage en terre inconnue serait peut-être sans retour.
De fait, le voyage durera 27 jours pendant lesquels j’ai flirté avec la mort et mon épouse s’est imaginée veuve avec trois enfants au gré de ses appels avec les médecins. 27 jours pendant lesquels mon esprit a vagabondé à travers le monde dans des rêves inracontables mais dont j’ai toujours des souvenirs très précis. Tellement précis que je les ai pris pour la réalité, jusqu’à ce qu’on me dise : non, ce que tu racontes est le fruit de ton imagination. 27 jours, c’est court lorsqu’on a perdu la notion du temps, mais terriblement long pour les proches qui ne sont pas du voyage…
Le 12 mai, après avoir testé plusieurs antibiotiques, les médecins m’extubaient et je revenais à la vie. On dit toujours qu’on n’a qu’une vie. Moi j’ai entamé ma deuxième ce jour-là. Le double abcès pulmonaire qui a pris le relais du Covid a laissé des traces et je devrai continuer les antibiotiques pendant deux mois. Mais ce n’est qu’un détail. Je pense pouvoir aller me balader dans les couloirs de l’hôpital alors que, dans l’aventure, j’ai perdu l’usage de mes jambes ; mes bras, mains et doigts sont très affaiblis et tremblent beaucoup ; je suis incontinent, alimenté par une sonde ; le moindre effort provoque chez moi d’épuisantes quintes de toux. J’ai perdu 26 kilos. Mais je suis vivant et je sais que ça ne peut qu’aller mieux même si ça prendra du temps.
Dans l’attente d’une place disponible en centre de revalidation, j’entame péniblement ma reconversion d’infirme. Les premiers jours, malgré l’aide de deux kinés, je ne parviens pas à me mettre debout. Puis, au prix d’efforts surhumains, j’arrive progressivement à faire trois pas dans ma chambre à l’aide d’un déambulateur et avec le soutien d’un kiné. À chaque fois, cet exercice est suivi d’une terrible et interminable quinte de toux. Mes journées sont entrecoupées de longues siestes.
Le 24 mai, ça y est : j’obtiens mon sésame pour le centre de revalidation. J’ai la chance d’avoir une chambre avec vue sur un parc très verdoyant. Les choses sérieuses commencent : kiné et ergo le matin et l’après-midi, exercices divers pour regagner en force musculaire et récupérer la fonctionnalité de mes mains et doigts. Débarrassé de ma sonde, je dois réapprendre à manger. Le steak frites ne sera pas pour tout de suite.
Pour rejoindre la salle d’exercices, je me déplace d’abord en fauteuil roulant, puis à l’aide d’un déambulateur. Mais mes efforts se soldent souvent par une nouvelle quinte de toux qui m’oblige à interrompre mes exercices et à regagner ma chambre, épuisé et inquiet que cette toux ne disparaisse pas.
Après le déambulateur vient le temps de la béquille puis de la marche sans assistance. Le 14 juin, je franchis un cap : j’arrive à monter deux volées d’escaliers. Essoufflé certes, mais content. Les exercices quotidiens me font reprendre du poil de la bête et je récupère petit à petit mon autonomie.
Le 2 juillet est un grand jour : trois mois après l’avoir quitté, je regagne enfin mon domicile. À la question de mon épouse de savoir ce je souhaite faire en ce jour si particulier, je réponds sans hésiter « aller au resto« . Qu’est-ce que ça m’a manqué ce genre de petits plaisirs !
Après ce premier week-end à la maison s’ouvre un nouveau chapitre. En effet, même si j’ai repris assez de force pour quitter le centre de réadaptation, le moindre effort relève encore du sport de compétition et se solde inévitablement par un épisode de toux. Trois jours par semaine et ce, pendant quatre mois, je me rends au centre pour faire 1h30 d’exercices, kiné, ergo et hydrothérapies. En parallèle, je reprends le VTT électrique.
Cela ne touche pas que les autres
Fin septembre, un double test (marche et respiration) confirme mon impression : j’ai fait des progrès, mais je suis encore assez essoufflé sans pour autant marcher vite. Je suis à 75 % de mes capacités normales.
Après avoir mis les bouchées doubles sur mon cardio, je sens que mes efforts paient. Le 9 novembre, le bilan dressé par la médecin me remplit d’une joie indescriptible : ça y est, je peux arrêter la réadaptation. Quel chemin parcouru depuis mon transfert en fauteuil roulant ! Sept mois et demi après avoir été testé positif, je vais enfin pouvoir tourner la page de ce fichu Covid sévère qui a failli m’emporter alors même que je n’avais aucun facteur de comorbidité ni aucune carence quelconque, que j’étais un minimum sportif et que j’étais prudent.
En tout cas, une chose est sûre : ce virus est loin d’avoir livré tous ses secrets et à ceux qui ne se sentent pas concernés parce que pas à risque, je conseille de ne pas sous-estimer cette “petite grippe” qui ne touche pas que les autres.
Aux médecins et à l’ensemble du personnel soignant qui m’ont aidé ces derniers mois, je veux témoigner ma profonde gratitude. En particulier à l’USI de la Clinique St Pierre d’Ottignies pour m’avoir ramené de ce voyage en terre inconnue ainsi qu’à l’unité 2B de la Clinique du Bois de la Pierre pour m’avoir remis sur pied.
Publié originellement dans La Libre Belgique
Photo AFP d’illustration thématique
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