Stéphane Houdet est un joueur professionnel français de tennis en fauteuil roulant. Son palmarès est impressionnant : il remporte le titre de champion du monde en 2012, et de champion paralympique en double aux Jeux paralympiques d’été de 2008 à Pékin, 2016 à Rio et 2020 à Tokyo. Il est vainqueur de 24 tournois du Grand Chelem=, et de Roland-Garros en simple en 2012 et 2013. A l’occasion du tournoi auquel il participe aujourd’hui à Melbourne, il a accepté de nous en dire plus sur son parcours.
Le 9 aout 1996, à Mondsee, vous subissez un accident de moto qui vous prive de l’usage de votre genou gauche. Vous êtes alors âgé de 25 ans. Qu’est ce que l’on ressent à la suite d’un tel bouleversement ?
Au début, j’étais dans un état d’urgence médicale puisque j’étais en train de me vider de mon sang. J’ai donc eu une réaction de survie : il fallait trouver une solution. Cependant, j’ai compris assez vite qu’il n’y avait que la jambe qui était touchée. A quelques centimètres près, j’aurais pu passer entre les deux voitures, et à quelques centimètres près, j’aurais aussi pu mourir, en prenant le véhicule de plein fouet. Dans un sens, j’ai donc eu beaucoup de chance. Après cet état de choc, je me suis rendu compte que j’étais toujours en vie. Il n’y avait que des dégâts matériels. Une jambe cassée c’est pas aussi dramatique qu’une lésion de la colonne par exemple.
L’handicap physique que cet accident a entrainé est-il une chose que vous acceptez pleinement aujourd’hui, qui fait partie de vous, ou fait il encore l’objet d’une certaine frustration concernant la pratique de votre sport, et la façon dont vous vivez votre quotidien ?
Un jour, mes enfants m’ont demandé : papa, quel est le plus beau jour de ta vie ? J’ai répondu le 9 août 1996. En effet, cet accident m’a permi de revenir à mes premiers amours, c’est à dire d’entamer la carrière sportive que j’avais envisagée quand j’étais plus jeune. J’étais très heureux en tant que vétérinaire, mais c’est extraordianire de pouvoir parcourir le monde et de vivre autant de grands évènements. Tout à l’heure j’étais dans les vestiaires avec le joueur français Arthur Cazaux. J’ai ensuite croisé Carlos Alcaraz. Tout cela semblerait incroyable aux yeux du petit garçon que j’étais lorsque j’ai commencé le tennis.
En 2004, vous rencontrez Johan Cruyff dont la fondation soutient les programmes de sport pour les enfants handicapés. Qu’a représenté cet événement ?
Johan Cruyff était très engagé pour que les sportifs soient formés aux métiers des différents sports. Lorsque je l’ai croisé un jour sur un terrain de golf, j’ai rencontré un grand monsieur. Je commence donc très rapidement à travailler pour sa fondation . A l’époque où j’étais numéro 1 en Europe du circuit Handigolf, je rêvais d’un circuit mondial. On m’a dit alors qu’on ne pouvait pas tout réinventer pour le golf, et on m’a dirigé vers le tennis, que l’organisation soutient déjà. J’ai tout de suite été séduit : c’est le premier sport que j’ai pratiqué lorsque j’étais enfant ! J’ai constaté une organisation absolument extraordinaire, et un circuit professionnel… C’est ici qu’a commencé mon aventure.
A quel moment avez vous pris conscience du fait que le tennis puisse faire l’objet d’une véritable carrière sportive ?
En 2005, je remporte le premier tournoi que je dispute. Mon adversaire avait été classé numéro 11 mondial. Je sais alors tout de suite que mon niveau de jeu devrait pouvoir me permettre de prétendre à la première place au niveau mondial. En 2008, en rentrant des Jeux Olympiques de Pékin, j’ai l’opportunité de rentrer dans l’équipe qu’Arnaud Lagardère a constituée et je deviens joueur de tennis presque à temps plein. Je prends à ce moment conscience de la possibilité de pratiquer le tennis à un niveau professionnel. Lorsque l’équipe est dissoute, je recommence à travailler pour le Ministère des Armés : les joueurs de tennis en fauteuil n’ont pas les mêmes possibilités que les autres, et exercent donc souvent une autre activités en parallèle. Aujourd’hui je travaille aussi pour la fondation Handilab qui met en place des projets d’innovation au service de l’handicap et de la perte d’autonomie. On est en train de rénover entièrement un bâtiment qui devrait ouvrir ses portes au mois de juillet 2024, en même temps que les Jeux Olympiques.
Votre avez un palmarès incroyable avec de prestigieuses victoires dont les Jeux Paralympiques. Si vous deviez donner un conseil aux jeunes joueurs en fauteuil qui poursuivent l’ambition de devenir professionnels dans leur sport, que leurs diriez vous ?
Je pense qu’il faut croire en ses rêves. En France, on est bercés par une culture dans laquelle on navigue entre le non et l’impossible. En réponse à cela, j’aime bien dire aux enfants : “si c’est possible, c’est déjà fait, et si c’est impossible, vous le ferez”. La première personne contre laquelle on peut lutter, c’est nous même. J’ai une petite fille qui est née le 1er janvier 2023, et qui m’a permi de me rappeler qu’on devrait tous garder notre tempérament d’enfant : tout essayer, sans anticiper les résultats.
Vous êtes fait chevalier de la Légion d’honneur par le président de la République Nicolas Sarkozy en tant que champion paralympique en 2009, et le président de la République Emmanuel Macron vous nomme officier de la Légion d’honneur en 2021, en tant que triple champion paralympique. Que signifient ces titres à vos yeux ?
Obtenir ce titre a été une véritable surprise. Je suis rentré des Jeux Paralympiques de Tokyo, et j’ai reçu le grade d’officier à L’Elysée. C’est une fierté immense d’avoir représenté la France à l’international, un moment de joie intense partagée avec ma femme.
Vous avez également travaillé en tant que vétérinaire pendant un certain nombre d’années. Envisagez vous de reprendre ces activotés un jour ?
Je ne pense pas reprendre une activité libérale, mais je suis toujours en contact avec le monde vétérinaire. Je pars voyager pour observer la faune et la flore dans le monde entier. Depuis la premiere fois depuis longtemps, je serai à nouveau au Salon de l’Agriculture au mois d’avril. Cette année, le Ministère de l’agriculture qui gère toutes les écoles vétérinaires a une équipe qui suit les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques. Il y a donc une connexion entre ces deux mondes.
En novembre 2009, vous devenez employé civil du ministère de la défense de Fontainebleau et en 2015, et conseiller sport et handicap du commissaire Hervé Piccirillo en 2015. Il y a-t-il une chose en particulier que vous aimeriez changer ou soutenir dans le monde sportif à travers ces engagements professionnels ?
J’aimerais que tous les sports puissent être pratiqués par tout le monde. Voila ma bataille. Au lieu d’organiser des Jeux Paralympiques disctincts des Jeux Olympiques, j’aimerais qu’on imagine des sports qui correspondent à tous. On pourrait dire, par exemple, que tout le monde peut s’asseoir sur un fauteuil pour jouer au tennis s’il le souhaite. Dans ce cas, le tennis pourrait être le premier sport en fauteuil aux Jeux Olympiques. Je pense que c’est un message important à faire passer. Il existe maintenant le para standing tennis qui est du tennis debout pour les gens qui sont amputés. Je ne veux pas me retrouver dans une épreuve de la sorte : on est en train de faire de l’exclusion, on met les gens dans des cases. Si on nous demande de nous mettre debout, alors c’est pour jouer au tennis avec tout le monde.
Quelles sont vos ambitions concernant le tournoi d’aujourd’hui ?
Evidemment, j’aimerais : on est tous capables de ses battre les uns les autres, et c’est ça qui est intéressant. J’ai joué contre le numéro 1 mondial à New York, et j’ai perdu, mais parfois, on a de bonnes surprises.
Que représente le fait de jouer en Australie ?
Arriver en Australie au mois de janvier alors qu’il fait froid là où ont lieu la majorité des tournois, dans une ville aussi dynamique, aérée, verte, avec des couleurs magnifiques, un port, et une proximité des transports, c’est vraiment une chance incroyable. Je suis très heureux de pouvoir jouer à Melbourne.
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