Le retour de l’administration Trump au pouvoir, symbolisé par l’instauration de droits de douane de 25% sur l’acier et l’aluminium ce mercredi, rebat les cartes des relations diplomatiques entre les États-Unis et l’Australie. Au milieu de ces changements, c’est tout le partenariat stratégique AUKUS sur les sous-marins nucléaires, annoncé en septembre 2021, qui pourrait en pâtir, peut-être au bénéfice de l’ex-allié français.
Alors que Canberra a échoué à négocier une exemption de dernière minute avec Washington concernant les droits de douane entrant en vigueur ce mercredi, et jugés par le Premier ministre australien Anthony Albanese comme « totalement injustifiés », l’affaiblissement des relations entre l’Australie et les États-Unis pourrait s’empirer sous la nouvelle diplomatie Trump, selon plusieurs anciens représentants australiens.
« Nous ne devrions pas nous faire d’illusions »
Dans un entretien accordé à l’émission 7.30 sur ABC, Bob Carr, ancien ministre des affaires étrangères australien de 2012 à 2013, a évoqué sa vision des relations avec la première superpuissance mondiale. « Nous ne devrions pas nous faire d’illusions en pensant que l’Amérique nous considère comme spéciaux« , a déclaré sans filtre l’ex-Premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud. « La Pologne, la France, la Grande-Bretagne ou Israël se considèrent déjà comme à part. […] Trump confirme simplement que nous ne comptons pas du tout et nous ferions mieux de nous adapter à cette réalité« , explique-t-il, faisant référence à la guerre commerciale déclarée par le 47ème président américain cette semaine, à laquelle sont également confrontés le Canada, l’Union européenne ou le Mexique.
Durant l’interview, M. Carr a affirmé que la nouvelle diplomatie américaine abandonne volontairement un sens de la communauté internationale qu’elle a autrefois fièrement brandi en troublant les relations avec ses alliés de longue date. « Cette Amérique ne retournera pas à la normale », a-t-il poursuivi. « Et nous devrions maintenant nous comporter comme la fille la plus courtisée du quartier« .
Vers une fin de l’accord AUKUS ?
Carr a ensuite développé sur l’évolution de l’accord stratégique AUKUS, affirmant que ce-dernier « s’effaçait rapidement« . Celui qui avait ainsi assisté à la signature de ce partenariat exhorte aujourd’hui l’Australie à faire preuve d’initiative en ce moment particulièrement tendu : « Je ne pense pas qu’il faille imposer des droits de douane de rétorsion aux États-Unis. Mais je pense que c’est l’occasion de commencer à explorer avec les Français l’alternative à AUKUS« , a-t-il affirmé.
L’Australie avait en effet décidé en septembre 2021 de trahir la France et de rompre un important contrat de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d’euros) conclu en avril 2016 pour la fourniture de 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique conçu par Naval Groupe. Canberra avait alors opéré un retournement de situation en préférant un partenariat stratégique avec les États-Unis et la Grande-Bretagne (AUKUS), comprenant notamment la livraison de huit sous-marins à propulsion nucléaire, destinés à faire face à la menace chinoise dans la région.
Cette décision avait entraîné un début de crise diplomatique entre Paris, Canberra et Washington, avec un rappel des ambassadeurs français dans les deux pays. À l’époque, cette trahison, considérée comme « un coup dans le dos« , par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, avait permis à l’Australie de faire des économies, AUKUS l’engageant à un investissement de seulement trois milliards de dollars dans la marine américaine.
En décembre dernier déjà, le groupe de réflexion indépendant Australian Strategic Policy Institute (ASPI) affirmait déjà dans un article que Canberra aurait aujourd’hui tout intérêt à « renoncer à acheter les sous-marins nucléaires américains et britanniques » et à se tourner vers son ancien allié français.
« Le projet actuel d’AUKUS, qui prévoit huit sous-marins nucléaires d’attaque, a toujours été imparfait et les risques s’accumulent désormais« , écrivait l’ASPI. « Nous devons être prêts à abandonner le projet d’achat de sous-marins dans le cadre de l’Aukus« .
Le 11 février, un rapport du Service de recherche du Congrès diffusé par The Guardian pointait du doigt les manquements déjà constatés du partenariat AUKUS, déclarant même que l’Australie pourrait ne jamais recevoir ses sous-marins. Les États-Unis doivent en effet déjà fournir trois sous-marins de classe Virginia à l’Australie à partir du début des années 2030, sauf que l’industrie de défense américaine est débordée et donne la priorité aux commandes nationales.
Le Congrès suggère même que « jusqu’à huit sous-marins nucléaires supplémentaires de classe Virginia seraient construits et, au lieu d’en vendre trois à cinq à l’Australie, ces navires supplémentaires seraient conservés dans la marine américaine et exploités depuis l’Australie, aux côtés des cinq sous-marins américains et britanniques qui sont déjà prévus pour être exploités depuis l’Australie« . L’Australie ne serait donc pas propriétaire de ses sous-marins.
À noter que le Premier ministre australien, Anthony Albanese, a préféré rejeter toutes suggestions de mise en retrait de l’Australie de l’accord AUKUS, insistant sur le fait que le partenariat était « bon pour le pays ».
« America First »
Pour couronner le tout, le retour de Donald Trump et de sa politique « America First », octroyant une priorité sur les affaires de son pays, n’est pas en voie d’améliorer les choses. Interrogé sur le sujet fin février, le président américain a même demandé à un journaliste de s’expliquer lorsque celui-ci faisait référence à l’acronyme « AUKUS », installant le flou sur sa simple connaissance du sujet. Alors qu’un éclaircissement quant à sa position sur l’accord trilatéral est toujours attendu, son secrétaire d’État à la défense a cependant assuré qu’il le soutiendrait. Mais au regard de l’attitude et des déclarations variées de l’homme d’affaires américain depuis son retour au pouvoir, rien n’est moins sûr…
Interrogé par le journal The Guardian, l’ex-Premier ministre australien Malcolm Turnbull en a rajouté une couche, affirmant que « l’Amérique est un allié beaucoup moins fiable sous Trump qu’elle ne l’était« . Celui a qui a occupé la fonction de septembre 2015 à août 2018, ayant donc signé le contrat avec la France, rompu ensuite, a même déclaré qu’il se pouvait « que nous nous retrouvions malheureusement sans sous-marins« . « Nous dépensons une fortune, bien plus que ce que le partenariat avec la France aurait impliqué. Nous dépensons bien plus et il est très probable, je dirais presque certain, que nous nous retrouverons sans sous-marins du tout« , a-t-il lâché. « Nous donnons aux Américains trois milliards de dollars pour soutenir leur base industrielle de sous-marins, mais ils n’ont aucune obligation de nous vendre un sous-marin« . Selon lui, l’AUKUS « a sacrifié l’honneur, la souveraineté et la sécurité de l’Australie« .
Les coûts de production que représente cet accord ont en effet grimpé à 368 milliards de dollars, bien plus donc que ce qui était envisagé dans le contrat français, et ce sans aucune garantie de contrepartie pour l’Australie.
La France comme dernière solution ?
Dans ces circonstances, la possibilité de revoir Paris et Canberra sur la table des négociations constitue un scénario de plus en plus plausible. Dans une tribune publiée le 11 mars dans The Guardian, Peter Briggs, ex-président de l’Institut du sous-marin australien, appelait à « construire le navire français de classe Suffren, plus petit, moins cher et plus facile à équiper » que les submersibles de l’AUKUS.
Cependant, Malcolm Turnbull a aussi tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité pour son pays à réapprendre à se réarmer seul : « Nous devons investir dans d’autres moyens de nous défendre. Mais le message essentiel est que nous allons devoir envisager de défendre l’Australie par nous-mêmes. C’est là le véritable problème. Nous ne pouvons pas partir du principe que les américains seront toujours là« . On est donc bien loin de ce qu’espéraient les Australiens en tournant le dos à la France en septembre 2021…
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