Pour la première fois, un Etat non doté de l’arme atomique, l’Australie, aura accès à un programme de sous-marins à propulsion nucléaire. Face à ce précédent, les experts appellent à définir des règles claires pour éviter un risque de prolifération.
Washington, Londres et Canberra ont lancé lundi leur alliance baptisée AUKUS, avec l’ambition de remodeler la présence militaire occidentale dans le Pacifique.
Elle prévoit la formation des marins, ingénieurs et techniciens australiens, avant l’achat par l’Australie de plusieurs appareils puis la construction d’une nouvelle génération à l’horizon 2030-2040.
– Uranium hautement enrichi –
Les sous-marins américains de la classe Virginia, que Canberra va se procurer, utilisent des réacteurs nucléaires qui leur permettent de recharger leurs batteries indéfiniment.
Ceux-ci sont alimentés par de l’uranium hautement enrichi (HEU), à plus de 93%, soit un niveau légèrement supérieur au seuil nécessaire pour fabriquer une bombe, contrairement aux sous-marins français qui fonctionnent avec de l’uranium faiblement enrichi.
Ce partenariat inédit pose donc la question du « transfert et du contrôle » de cette matière nucléaire, explique à l’AFP Daryl Kimball, directeur de l’organisation américaine Arms Control Association.
Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui « veille à ce qu’aucun risque de prolifération n’émane de ce projet », les trois pays ont proposé de fournir des réacteurs « déjà prêts et scellés » pour dissiper les craintes.
– Casse-tête juridique –
Toutefois « ce processus implique de sérieuses et complexes questions juridiques », note l’instance onusienne qui n’a jamais été confrontée à ce type de situation.
La Chine a d’ailleurs saisi l’occasion pour dénoncer une « voie erronée et dangereuse » avec « un risque grave de prolifération nucléaire ».
Basée à Vienne en Autriche, l’AIEA a pour mission de « vérifier, de manière indépendante, que les installations nucléaires ne sont pas utilisées de manière abusive et que les matières nucléaires ne sont pas détournées des utilisations pacifiques ».
Mais dans certains cas, comme la propulsion nucléaire, un Etat a le droit de soustraire les matières de la surveillance de l’Agence, pour des raisons de protection d’informations militaires sensibles.
La conclusion préalable d’un accord avec l’AIEA pour empêcher tout risque de détournement à des fins de fabrication de bombe atomique est donc nécessaire.
« Les trois pays et l’Agence doivent maintenant imaginer une procédure qui pourra servir de précédent », relève Emmanuelle Maitre, de la Fondation pour la recherche stratégique.
« C’est là où ils ont un rôle à jouer », poursuit-elle: premiers à franchir le Rubicon, « ils vont inventer les règles du jeu avec l’Agence et ont intérêt à établir des modalités suffisamment contraignantes ».
– Effet boule de neige? –
Si le risque de prolifération avec l’Australie est « a priori ténu, le risque théorique, lui, est important », souligne l’experte du groupe de réflexion français.
L’enjeu est de ne surtout pas créer des failles dans lesquelles d’autres pays pourraient s’engouffrer.
« Comment l’AIEA va-t-elle mettre en oeuvre ses obligations? Quel accès va-t-elle avoir? Quelles informations obtiendra-t-elle? Nous n’avons pas de réponse à ces interrogations », énumère le consultant Tariq Rauf, un ancien responsable de l’organisme.
Il s’étonne que l’Agence n’ait pas défini « d’approche générique concernant les sous-marins nucléaires », un an et demi après les premières annonces, et s’inquiète de « la pression exercée » par une alliance « puissante ».
Si les discussions ne sont « pas menées correctement, cela pourrait créer un dangereux précédent », avertit M. Kimball, exhortant les Etats-Unis, qui se disent à la pointe en matière de droit international, à « ne pas encourager des exemptions ».
Alors que les sous-marins à propulsion nucléaire peuvent embarquer des missiles de croisière sophistiqués, il met aussi en garde contre une course aux armements en Asie, de la Chine à la Corée du Nord.
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