On prend connaissance de son existence par un mail adressé à la rédaction et on cache sa honte de ne pas avoir su son nom plus tôt. Car oui, stupeur et excitation, Sophie Masson est une auteure française connue qui vient d’être honorée par l’Australie pour « service rendu à la littérature* ». Une récompense qui nous a aussitôt donné envie d’en savoir plus.
Avant tout, on jette un œil sur son site internet et sa page wikipedia. On réalise alors que Sophie Masson a déjà signé une œuvre conséquente : livres pour adultes, séries pour les ados, albums pour les petits, nouvelles, policiers… le tout (une soixantaine d’ouvrages), en anglais s’il vous plaît. On se demande alors s’il est bien raisonnable de mener notre entretien en français. Quelle erreur ! Avec un léger accent du sud, elle se dévoile volontiers dans la langue de Molière.
L’importance du français
Elle raconte d’abord une naissance en Indonésie et une petite enfance malade qui oblige ses parents à la confier très jeune à sa grand-mère près de Toulouse. « Le français est donc ma première langue. Quand je suis arrivée en Australie, en 1964, je ne parlais pas l’anglais du tout ! J’ai dû apprendre à l’école. » La famille tente un retour au pays, mais repart finalement à Sydney. « Mon père avait un contrat d’expatrié » explique Sophie Masson qui, comme ses frères et sœurs, rentrait deux mois tous les deux ou trois ans en France où elle fréquente la petite école du village dont elle se rappelle distinctement les ardoises et les craies.
« Même si nous parlions plusieurs langues (mes parents connaissaient aussi l’indonésien ainsi que l’italien, le portugais…), à la maison, c’est le français qui a toujours prévalu. » Chaque soir, après l’école australienne, les devoirs en français sont obligatoires – une tannée que connaissent bien certains enfants expatriés. « En réalité, rassure l’auteure, ma mère m’a rendu service en me transmettant cette langue. » L’enfant est également encouragée à lire les d’auteurs « classiques » : Tintin, le héros à houppette, mais aussi la comtesse de Ségur, Jules Vernes ou Alexandre Dumas. Les classiques anglais viendront après. Sophie Masson cite ainsi CS Lewis, Tolkien ou l’Australienne Patricia Wrightson.
Une éternité pour être publiée
« A la maison, nous n’avions pas la télévision, donc je lisais et j’écrivais beaucoup » explique Sophie Masson qui commence dès 5 ans à imaginer de petites pièces de théâtre. Elle tient aussi un journal intime (en français) et écrit de la fiction (en anglais) encouragée par ses professeurs. Elle publie ses deux premiers ouvrages « The house in the rainforest » et « Fire in the sky » quasiment en même temps à 30 ans (en 1990), avec l’impression qu’il lui a fallu une éternité pour y arriver. « Je ne connaissais personne dans le monde de l’édition et j’ai essuyé pas mal de refus avant de trouver une maison qui m’accepte. »
Aujourd’hui, sa situation a bien changé. Elle a même le luxe d’être écrivain « à plein temps » avec une discipline stricte qui la fait travailler de 8h30 à 17h30, au moins quatre jours sur cinq. Elle comble son emploi du temps par des rencontres, des conférences, des signatures…
Un talent protéiforme
Mettre Sophie Masson dans une case ? Impossible ! L’auteure prolixe a en effet touché à de nombreux genres s’adressant aux tout-petits comme aux vieux de la vieille. « Dans le fond, ce qui me caractérise, ce sont des histoires d’aventure et de mystère, qui peuvent faire des incursions dans la fantasy. J’aime aussi les personnages attachants et je ne veux pas que mes lecteurs soient intimidés par l’écriture. »
A deux opposés, elle parle de « The hunt for Ned Kelly » où elle s’est emparée avec brio d’un monument de l’histoire australienne pour en faire une épopée pleine de rebondissements. Un livre qui se vend encore incroyablement bien et qu’elle a écrit en trois semaines seulement. Son dernier opus « Black Wings », qui traite de la révolution française vue à travers les yeux d’un jeune condamné à mort et ses amis d’enfance, lui, aura nécessité vingt-quatre mois de travail dans la douleur. Malgré leurs différences, ces deux romans font étonnamment écho à ses deux pays d’origine et d’adoption. Un beau clin d’oeil ?
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Parmi ses lecteurs, Sophie Masson ne compte que peu de Français car, bizarrement, un seul de ses romans a été traduit dans son pays d’origine. Il s’agit de « Three wishes » ou « Paul, Charlie et Rose » écrit sous le nom de plume Isabelle Merlin** et publié chez Albin Michel. L’auteure se rappelle avec plaisir le lancement du livre alors qu’elle était en résidence à la Cité des Arts à Paris. Elle aime le contact avec ses lecteurs, acceptant avec bonne humeur l’honnêteté des plus jeunes qui ont déjà « lu mieux, mais pire aussi ». Elle attend d’avoir le plaisir de les retrouver, y compris dans les écoles où elle se rend souvent.
D’ici-là, elle se prépare à la remise de son prix « un peu l’équivalent de l’Ordre des Arts et des Lettres » qu’elle salue avec force et émotion, se remémorant qu’elle est arrivée en Australie sans parler un mot d’anglais. Qu’elle soit ainsi saluée pour sa contribution à la littérature par un pays qui ne lui a jamais demandé de renoncer à être française… un privilège rare.
Valentine Sabouraud
* Member of the Order of Australia (AM) for « significant service to literature as an author and publisher, and through roles with industry organisations ».** Un autre de ses pseudos est Jenna Austen.
>> Le site de Sophie Masson est là.
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