Grand Prix du jury au dernier festival de Cannes, énorme succès critique et carton en salles, 120 battements par minute est un film qui a fait parler de lui (à juste titre, notre critique ici). Réalisée par Robin Campillo, cette grande fresque dépeint le combat mené par Act Up-Paris au début des années 1990, au plus fort de l’épidémie de SIDA, pour alerter les médias et le public sur la gravité de la crise et hâter le développement de traitements. Coscénariste du film avec Campillo, Philippe Mangeot, qui a présidé Act Up de 1997 à 1999, est actuellement en Australie pour présenter le film à l’occasion de sa projection en inauguration du programme LGBTQI de l’Alliance Française French Film Festival. Le Courrier Australien a pu le rencontrer avant l’ouverture du festival.
120 battements par minute sera projeté pour la première fois en Australie au French Film Festival, avant sa sortie en salles dans tout le pays. Vous pensez que le public australien va accrocher ?
On est en tout cas très heureux de le projeter en Australie, et on sera encore plus contents si le film marche. Le film a eu une réussite inespérée en France avec près d’un million d’entrées, mais a par exemple beaucoup moins marché aux Etats-Unis… donc on ne peut rien prévoir pour l’Australie. Mais au-delà du nombre d’entrées, je crois que c’est important de porter et faire découvrir le film, que cela soit en France ou à l’autre bout du monde.
Comment en êtes-vous venu à co-écrire le scénario du film avec Robin Campillo ?
Robin et moi, on s’est rencontrés à Act Up il y a 26 ans. A l’époque, on avait déjà évoqué ensemble l’idée de faire un film autour des questions de représentation de la maladie, mais le projet était resté dans les cartons. Au début des années 2000, Robin est revenu vers moi pour me proposer d’écrire avec lui la trame de Drug holidays, sur un malade qui décide d’arrêter son traitement. Le scénario final n’était pas mauvais, mais là encore, le projet n’a pas pris. Et puis il y a trois ans, Robin m’a proposé de remettre ça, cette fois pour revenir sur l’histoire d’Act Up. J’ai accepté, tout comme Hugues Charbonneau, le producteur de Robin, lui aussi un ancien d’Act Up. Entre Robin, Hugues et moi, le film s’est ainsi construit en partie sur la base de nos trois histoires entretissées de militants à Act Up.
« Pour écrire 120 battements par minute, il a fallu solliciter les fantômes, réveiller des souvenirs lointains »
Le film prend place au début des années 1990, alors que le SIDA ravage la France et que les traitements tardent à arriver. Est-ce que ce fut dur de se replonger dans cette période ?
Tout n’a pas été facile. Pour écrire le film, il a fallu solliciter les fantômes, réveiller des souvenirs lointains et personnels. Entre Robin et moi, la mémoire qu’on avait gardée de ces années n’était pas la même. A l’époque, Robin réfléchissait déjà presque comme un scénariste, se souvenait de tout, alors que j’ai au contraire effacé petit à petit plusieurs pans du disque dur. Et puis, au-delà du souvenir, écrire 120 battements par minute, ce fut comme écrire une autobiographie collective, avec tous les dilemmes que cela comporte. D’un côté, vous ne pouvez pas tricher, car vous racontez une histoire qui s’est réellement passée, vous dépeignez des personnages, des relations et des situations qui ont existé. Mais en même temps, le film n’étant pas un documentaire, il a fallu trouver des solutions fictionnelles pour que le public s’y retrouve. A l’exception du jeune hémophile et de sa mère, aucun personnage du film n’est ainsi parfaitement réel.
Comment expliquez-vous le succès du film en France ?
Difficile de vous répondre. On pourrait se dire que la réussite du film est liée à l’évolutions des représentations sur les LGBT, au caractère très actuel des débats sur le mariage homosexuel, l’identité et le genre. Mais je pense que l’intérêt du public pour le film a aussi à voir avec l’état très déprimé politiquement de la société aujourd’hui. On voit typiquement que les mobilisations sociales ne fonctionnement plus ou presque plus ; de ce point de vue, le film a peut-être attiré parce qu’il montre justement qu’à une époque, c’était différent. Pour donner un exemple plus précis, au moment où l’on écrivait le film, Nuit Debout était toutes les nuits Place de la République à Paris, là même où un mausolée de fleurs, dessins et bougies avait été dressé en hommage aux victimes des attentats. Même si ça n’a sans doute rien à voir, je ne peux m’empêcher d’y voir un écho à ce qui est l’une des raisons d’être d’Act Up restituée dans le film, l’idée qu’on ne peut pas simplement se contenter de faire le deuil de nos morts et qu’il y a d’autres choses plus importantes à faire.
Dans une tribune parue dans Libération, Didier Lestrade, le co-fondateur d’Act Up, ironisait en mai dernier sur les « louanges » unanimes adressées à Act Up après la présentation du film à Cannes, alors même que l’association avait été créée « au milieu des insultes » et qu’elle était largement tombée dans l’oubli depuis la fin des années 1990. Sentiment partagé ?
Ce qui est certain, c’est qu’on ne s’attendait pas au succès qu’a eu le film auprès des médias. Je le dis sérieusement, 120 battements par minute a reçu plus de couverture médiatique que toutes les actions entreprises par Act Up depuis sa naissance. Parce qu’on était spectaculaire, les médias ne nous ont jamais vraiment détestés, mais on était en même temps beaucoup moins fréquentables que d’autres associations plus modérées. Même sans parler des médias, on avait cette impression d’être à la fois très forts collectivement au sein de l’asso, et détestés au-dehors, même parmi la communauté gay. C’est donc évident qu’il y a un écart énorme avec la reconnaissance qu’Act Up reçoit aujourd’hui. Et c’est d’autant plus surprenant pour nous que 120 battements par minute n’a jamais vraiment été pensé pour rendre justice au combat d’Act Up. Si l’on a réalisé 120 battements par minute, c’est pour rester jusqu’au bout maître de notre propre légende, pour ne pas laisser n’importe qui ternir ou déformer notre histoire, mais pas pour la reconnaissance.
« Je crois qu’il y aura toujours besoin d’activistes pour faire bouger les choses, pour obliger nos gouvernements à tenir leurs promesses »
Après la sortie du film, l’association Act Up-Paris a vu ses effectifs exploser. Plus de 20 ans après l’invention des trithérapies, qui permettent désormais aux personnes séropositives de mener une vie quasiment normale, est-ce qu’un activisme à la Act Up a toujours une raison d’être ?
Ça ne fait aucun doute. En France comme en Australie, il est aujourd’hui possible d’atteindre les zéros contaminations, à la seule condition de s’en donner les moyens. Le spectre préventif est de fait énorme : il y a évidemment le préservatif, mais aussi la PrEP [pour Pre-exposure prophylaxis, traitement préventif prescrit en France comme en Australie, qui permet à une personne séronégative courant un risque d’infection au VIH de rendre ce risque infime, ndlr] et la possibilité pour les séropositifs d’abaisser leur charge virale à un niveau si bas qu’il supprime tout risque de transmission du virus. Mais pour que ce spectre fonctionne, cela suppose des campagnes d’incitation au dépistage, à la protection, aux traitements, qui sont loin d’être parfaitement réalisées. Autre problème, en France, les populations les plus contaminées par le VIH aujourd’hui sont d’une part les jeunes gays, et d’autre part les migrants, qui sont majoritairement contaminés dans la période séparant leur arrivée et leur régularisation. Une des façons les plus simple de réduire les risques de contamination est donc de réduire ce délai durant lequel ces personnes sont exposées à des situations de très grande fragilité. Je crois donc que c’est sur tous ces plans qu’il y a encore besoin d’un activisme SIDA, car lutter contre le SIDA, ce n’est pas que lutter contre la maladie. Il y aura toujours besoin d’activistes pour faire bouger les choses et obliger nos gouvernements à tenir leurs promesses, en matière de SIDA comme de droits homosexuels, de droits des transgenre, de climat ou de n’importe quelle cause qui en vaut la peine.
Propos recueillis par Tom Val et Victor Roussel
Alliance Française French Film Festival : Sydney (27/02 au 27/03), Melbourne (28/02 au 27/03), Canberra (01/03 au 28/03), Brisbane (08/03 au 04/04), Perth (14/03 au 04/04), Hobart (15/04 au 24/04), Adélaïde (22/03 au 15/04), Parramatta et Casula (05/04 au 08/04). Pour en savoir plus, cliquez ici.
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