Je le rencontre à la terrasse ensoleillée d’un café de St Kilda. La quarantaine, les cheveux attachés en chignon, et une écharpe colorée au cou, Renaud a un sourire avenant. Il sirote son chai latte en me racontant son parcours éclectique, l’esprit toujours ouvert aux questionnements. Il me partage son attrait pour la physique puis pour l’environnement et finalement pour les musiques du monde. Depuis 20 ans, il joue du didgeridoo, de la guimbarde, du ney, du guembri, du dilruba et pratique même le chant guttural. Un parcours de vie qui a changé ses convictions profondes : lui qui croyait tant à la science pour expliquer la vie sur terre penche désormais davantage pour une forme de mysticisme. « Il y a quelque chose de plus grand que nous, qu’on ne peut pas expliquer, mais qu’on ressent ». Notre discussion se transforme rapidement en débat : nous parlons réappropriation culturelle, effet thérapeutique de la musique, mysticisme mais aussi liens entre l’homme et son environnement.
Un musicien du monde à la carrière internationale
« Enfant, je voulais devenir une star de hard rock » souffle Renaud en riant. Tout ne s’est pas passé exactement comme prévu… A défaut de faire carrière dans le hard rock, Renaud a tout de même eu une carrière plutôt rock’n’roll. En grandissant, il se passionne pour la nano physique, au point de l’étudier jusqu’au doctorat. Mais il se rend compte qu’il souhaite dédier sa carrière à l’environnement et enchaîne les expériences professionnelles dans le domaine. Il part travailler en Guadeloupe pendant un an, puis rentre en France. Il ne reste cependant pas sédentaire longtemps : en 2009, sa femme, qui travaille dans la mode, est mutée en Chine. Il la suit sans hésitation, et entame un emploi de management de projet, toujours dans l’environnement à Shanghai. Ils devaient rester deux ans, ils y sont restés 10.
En parallèle, il s’est découvert une passion : celle des instruments de musique du monde. Des années plus tôt, en 2002, il rejoint une association française, « Vent du Rêve » qui promeut la pratique du didgeridoo. Il y apprend aussi la guimbarde et le chant guttural et devient le Vice-Président de l’association. « C’est aussi là-bas que j’ai rencontré ma femme » se souvient-il. Un an plus tard, « Vent du Rêve » co-organise le festival « Le Rêve de l’Aborigène », devenu depuis l’un des plus grands festivals du monde faisant la promotion du didgeridoo. Lorsqu’il arrive à Shanghai, son intérêt pour la musique du monde prend un nouvel élan : il lance SoundScape, un collectif réunissant des musiciens de cultures différentes. Ensemble, ils mélangent les sonorités traditionnelles pour créer des morceaux modernes, qui leur valent deux prix. « Nous voulions raconter des histoires avec des instruments très différents ».
En 2018, il déménage à nouveau, à Melbourne cette fois, et franchit une nouvelle étape. Il consacre tout son temps à la musique qu’il enseigne aux curieux. Il rénove aussi de nombreux instruments traditionnels, qui comme lui, ont beaucoup voyagé.
L’instrument comme retour aux sources
C’est cette histoire mouvementée et nomade qui intéresse aussi beaucoup Renaud. Le didgeridoo, par exemple, aurait migré dans toute l’Australie. Les règles d’utilisation varient d’un clan aborigène à un autre, mais la plupart du temps, les femmes ne sont pas autorisées à en jouer. « Ce n’est pas une exclusion, c’est une différence culturelle, souligne-t-il. Pratiquer le didgeridoo est une façon pour Renaud de se rapprocher de certaines traditions oubliées par les occidentaux, mais aussi de sensibiliser aux cas des Aborigènes en Australie. Sans jamais oublier la question de l’appropriation culturelle. « C’est une interrogation qui revient souvent quand un occidental s’empare d’instruments anciens. Pourtant, il me semble que les pratiquer est davantage un vecteur d’appréciation culturelle que d’appropriation ».
Pour Renaud, le didgeridoo permet non seulement un retour aux sources culturelles mais aussi de comprendre notre relation à l’environnement. L’instrument est d’abord un écosystème. Il faut 20 à 100 ans aux termites pour manger le creux de l’arbre dont le didgeridoo provient. D’ailleurs, beaucoup de didgeridoos sont vendus comme des œuvres d’art. « Jouer d’un tel instrument procure un sentiment très puissant, affirme Renaud. Il provoque immanquablement l’imagination. C’est aussi un instrument très instinctif, parfait pour commencer à apprendre la musique car il n’y a qu’une seule note ».
Guérir par la musique
Au-delà des profondes interactions qu’il crée entre les hommes et leur environnement, le didgeridoo aurait un pouvoir de guérison. « On considère que c’est un instrument qui peut soigner, m’explique-t-il. Tout passe par le ressenti. La vibration est tellement particulière qu’elle ne peut qu’interpeler et transporter ». Pour Renaud, chaque musique a sa fonction : la musique classique est celle du perfectionnement, quand la musique folklorique est un outil de la communauté pour la communauté. Elle procure une forme de guérison mentale et physique. Le Guenbri par exemple, un instrument des Gnawa, un groupe ethnique marocain, permet d’établir une transe. La transe procurée par l’ayahuasca est aussi souvent accompagnée de musique, renforçant ainsi la guérison du sujet.« La musique traditionnelle a moins une fonction de divertissement que d’aide à la communauté », ajoute Renaud.
Et lui, qu’est-ce que la musique lui a apporté ? « Elle m’a rendu plus tolérant, plus humble. Au cours de sa vie, on se rend compte qu’on ne sait pas grand-chose, qu’on ressent quelque chose qui nous dépasse. Le caractère mystique de la musique touche à un aspect du divin ». En la pratiquant, il s’est rendu compte que pour vivre plus harmonieusement, il fallait accepter ses vices. « Sinon on est toujours dans le rejet de soi ». Mais aussi que le monde était un collectif de facettes différentes. Un peu comme la musique.
Renaud organise régulièrement des cours de musiques traditionnelles. Pour le contacter ou découvrir ses morceaux, c’est ICI et ICI.
Photo de couverture: Serge Thomann
Autre photo: Site Internet de Renaud Gay
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