A Binjari, petite ville poussiéreuse de l’arrière-pays du nord de l’Australie, les habitants autochtones ont peu d’espoir que le référendum historique du 14 octobre sur les droits des Aborigènes puisse aider leur communauté « oubliée ».
A quelque 2.800 km de la capitale Canberra, plus loin que Londres de Moscou, Binjari abrite une population pauvre de quelque 300 âmes, presque tous aborigènes, et se bat quotidiennement contre des revenus faibles, un taux de chômage élevé et la surpopulation des logements.
Les jeunes de 20 à 30 ans vivent avec les anciens dans des habitations exigües de plain-pied en briques et tôle ondulée.
« Il y a beaucoup de tensions. Ils commencent à se disputer, à se battre », déclare à l’AFP Peggy Slater, 53 ans, qui vit à Binjari depuis une décennie.
« Les enfants errent toute la nuit. Les parents laissent leurs enfants à la maison avec d’autres membres de la famille et vont en ville, soit pour boire (de l’alcool), soit pour jouer au pokie », un jeu d’argent, déplore-t-elle.
L’Australie organise le 14 octobre un référendum historique sur les droits des Aborigènes visant à leur donner une voix au Parlement. Les partisans du « oui » estiment que la réforme pourrait remédier aux inégalités auxquelles ils sont confrontés depuis plusieurs siècles.
Plus de 200 ans après la colonisation par les Britanniques et la persécution des Aborigènes qui s’en est suivie, ces populations sont plus susceptibles d’être pauvres, sous-éduquées, malades ou emprisonnées, selon les études.
– « Nous existons » –
Mais au-delà des besoins matériels, Mme Slater estime que sa communauté « oubliée » a cruellement besoin de reconnaissance.
« Nous existons ! Nous ne sommes pas seulement une ombre noire ! », proteste-t-elle. Elle espère que « la plupart d’entre nous voteront +oui+ »: « ce serait incroyable » si le « oui » était « majoritaire », s’exclame-t-elle.
Or les derniers sondages montrent que seule une minorité d’Australiens est en faveur du « oui ».
Les partisans du « non » fustigent une réforme élaborée par des politiciens de la ville sans connaissance des communautés aborigènes reculées.
« On ne sait ni ce que c’est ni à quoi ça sert », déclare Leonie Raymond.
Cette habitante de Binjari depuis 25 ans veut toutefois que les choses changent.
« A l’avenir, je veux que les enfants lorsqu’ils vieillissent trouvent un travail dans leur propre communauté. Qu’ils ne se contentent pas de déambuler sans rien faire », ajoute Mme Raymond qui préside une association aborigène d’aide aux habitants.
Evonne Booth aussi se montre sceptique à l’égard de la réforme. « Nous avons l’impression que l’on ne s’occupera pas des autochtones à proprement parler, mais seulement des citadins », déplore cette habitante, membre de l’agence chargée des services à Binjari.
Dans la grande ville voisine de Katherine, Manuel Pamkal, artiste et guide dans une galerie, se dit inquiet pour les conditions de vie des populations autochtones et la survie de leur culture.
« Je veux que quelqu’un vienne me parler, m’expliquer et me dire ce qui peut se passer. Je dois d’abord savoir avant de voter », déclare cet homme de 57 ans. « Nous devons prendre un nouveau départ. Nous devons commencer quelque part ».
– « Tous dans le même bateau » –
Pour Richard Fejo cependant, la proposition d’une voix au Parlement « est un début ». « Car ce que l’on a eu par le passé ne marche pas », estime cet Aborigène de la nation Larrakia de la ville de Darwin.
La mère du vieil homme, Nanna Nungala Fejo, faisait partie de la « génération volée », des milliers d’Aborigènes et d’insulaires du détroit de Torrès arrachés à leur foyer et placés dans des familles d’accueil blanches, dans le cadre d’une politique officielle qui a perduré jusque dans les années 1970.
Elle avait quatre ans lorsqu’elle a été enlevée, et n’a jamais revu sa mère. Lorsque le Premier ministre de l’époque, Kevin Rudd, a présenté ses excuses à la « génération volée » dans un discours en 2008, il a cité l’expérience de Nanna Nungala, décédée l’an dernier.
« Imaginez une personne assise sur un bateau et quelqu’un dans l’eau », explique M. Fejo, habitant de Darwin et membre de la nation autochtone Larrakia.
« Il y a un Aborigène dans l’eau et des Australiens dans le bateau », dit-il. « Ma question est la suivante : les Australiens vont-ils tendre la main et aider la personne dans l’eau ? Car nous sommes tous dans le même bateau ».
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