Avant d’aller recevoir à New York mardi un prix pour la liberté d’expression auquel se sont opposés des écrivains, le rédacteur en chef et un journaliste de Charlie Hebdo ont plaidé vendredi à Washington le « malentendu », tout en ironisant sur le soutien réel des auteurs à cette liberté.
« Je crois qu’il y a un petit malentendu », a affirmé Jean-Baptiste Thoret, critique cinéma au journal satirique qui a fait l’objet d’un attentat sanglant en janvier à Paris pour avoir publié des caricatures de Mahomet, faisant 12 morts dont cinq dessinateurs.
Le journaliste et le rédacteur en chef du journal Gérard Biard, sous surveillance discrète de gardes du corps sans uniformes, étaient les invités d’une rencontre organisée à Washington par l’association Freedom House pour les libertés à laquelle ont assisté une centaine de personnes dûment fouillées à l’entrée de la salle.
« A mon avis, ils pensent que le prix » de la société littéraire américaine PEN American Center, qui sera remis lors d’un gala mardi à New York, « est attribué à Charlie Hebdo pour son contenu », a poursuivi le journaliste qui s’exprimait en anglais.
« Il y a confusion, c’est un prix attribué au principe de la liberté d’expression », a-t-il ajouté après avoir néanmoins balayé cette opposition d’un goguenard « pour moi, pas de problème, et tant mieux pour eux! ».
Quelque 150 romanciers et membres du PEN, dont certains de renom comme l’Australien Peter Carey ou le Canadien Michael Ondaatje, ont décidé de boycotter le gala en critiquant les choix éditoriaux du journal qui, selon eux, dénoncent trop souvent l’islam.
« C’est toujours gratifiant d’avoir une position paradoxale, de dire +je ne pense pas comme la masse, je suis au-dessus de ça+ », a ensuite ironisé lors d’une interview à l’AFP M. Biard. « Après, c’est leur problème. S’ils considèrent que le PEN n’a plus à défendre la liberté d’expression, pourquoi ne le quittent-ils pas? ».
– « Contre les icônes, contre le foot » –
M. Thoret a d’ailleurs évoqué une étude réalisée par des sociologues sur quelque 500 couvertures du journal dont 300 étaient consacrées à la seule politique française, a-t-il dit, 38 à la religion et parmi ces dernières, sept à l’islam. « C’est ça, la réalité », a-t-il insisté.
« Nous n’avons jamais publié de dessins racistes », a renchéri M. Biard, « historiquement, nous sommes un journal anti-raciste, c’est dans notre ADN ». « Mahomet est un symbole, une icône. A Charlie Hebdo, nous sommes contre les icônes, de la même manière que nous sommes contre le foot! », a-t-il ironisé en riant et en faisant rire l’assistance.
Mais « si vous commencez à vous dire, je ne vais pas publier ci ou ça, autant poser son stylo et faire autre chose. Si vous ne publiez pas, vous envoyez le mauvais message à ceux qui usent de menaces pour imposer leurs vues, vous leur dites, +vous avez raison de tuer des gens+ », a-t-il poursuivi.
Evoquant la nouvelle décision du dessinateur vedette Luz d’arrêter de dessiner le prophète, M. Thoret a d’ailleurs estimé qu’il ne s’agissait pas de dire « +finalement, vous avez gagné+. Il a d’autres envies, d’autres champs à explorer ».
Au cours de cette rencontre, en anglais, les deux hommes, qui ont été chaleureusement applaudis, ont également raconté comment « leurs vies avaient changé ».
« Nous étions un petit journal et en une demi-heure, nous sommes devenus un symbole mondial. Ce n’est pas notre boulot. Notre boulot, c’est de faire rire », a indiqué M. Biard, en ajoutant que « nous ne pouvons pas être les seuls à nous lever pour ces valeurs ».
Quant à l’ambiance aujourd’hui à Charlie, « elle est… mélancolique, ça résume bien », a-t-il conclu.
par Fabienne FAUR
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