Anthropologue et curatrice d’art, Valérie Boll a déjà eu mille vies. Fascinée par la culture aborigène, elle arrive en Australie en 2000. Depuis, elle a eu l’occasion de vivre plusieurs fois au sein de communautés aborigènes en Terre d’Arnhem, de réaliser plusieurs expositions – dont une en cours au Melbourne Museum -, mais aussi de s’engager pour la promotion de l’art aborigène ou la conservation des casoars. Elle nous raconte son parcours aussi riche qu’atypique, marqué par ses voyages en Terre d’Arnhem.

Dans les années 90, Valérie poursuit ses études dans le but d’obtenir son doctorat en anthropologie à Strasbourg après avoir validé un master d’art plastiques à la Sorbonne. L’exposition « Les arts primitifs » qui comprend quatre peintures sur écorces de la Terre d’Arnhem est en tournée en France et s’arrête en Alsace. Elle décide de s’y rendre. C’est une révélation : elle découvre une toute autre culture, très métaphorique, intrigante. Dès lors, elle passe des heures à faire des recherches sur les aborigènes, et ressent l’urgence de s’y rendre – « c’était comme un appel » se souvient-elle.
En 2000, elle se rend pour la première fois en Australie, où elle compte poursuivre ses projets de recherches en collaboration avec le South Australian Museum à Adelaide, qui possède la plus grande collection d’objets aborigènes au monde. Passionnée par les batraciens, sa thèse porte sur la grenouille du nord est de la Terre d’Arnhem où elle est un animal totem. Pour la mener à bien, il lui faudrait se rendre sur place et obtenir une bourse. En décembre 2000, l’Alsacienne entre en contact avec Dhimurru, une corporation aborigène de gestion du territoire dans l’est de la Terre d’Arnhem. Séduit par son projet, le directeur demande l’accord du Conseil des Anciens, qui est donné peu après. Déclarée réserve aborigène en 1931, la Terre d’Arnhem est en effet un territoire normalement fermé, auquel on ne peut entrer qu’avec une autorisation; elle est habitée par le peuple Yolngu. L’endroit se situe dans le Territoire du Nord, à l’est de Darwin, entre le parc national de Kakadu et le Golfe de Carpentaria.
Le voyage dans un autre monde

Grâce à Dhimurru, Valérie obtient deux bourses pour entreprendre sa recherche aux antipodes : une première en 2002 pendant quelques mois dans la communauté Gängan où la grenouille est l’animal totem, une seconde en 2004 dans la communauté Gapuwiyak, à environ 80 kms de Gängan.
Gängan se situe au beau milieu du bush, à 200 kms de la ville minière la plus proche et ne dispose pas d’électricité. On y trouve à l’époque douze maisons, une école, un atelier, deux réservoirs d’eau, un cimetière et une piste d’atterrissage.
Bien consciente des traditions à respecter – ne pas regarder les Aborigènes dans les yeux, éviter de poser trop de questions par exemple – la jeune femme parvient rapidement à s’intégrer. Son attitude respectueuse – et, elle l’apprendra plus tard, le fait qu’elle ne soit pas Australienne – pousse « Old Men », le principal du village et Ancien Dhalwangu, à l’adopter dans sa famille, la considérant très vite comme sa propre fille. Une décision gratifiante qui n’en est pas moins un défi, puisque celle qui est désormais surnommée « la femme grenouille » fait désormais partie d’une famille de plusieurs milliers de personnes et doit se souvenir des liens de parenté, bien plus complexes que ceux des occidentaux.
La vie quotidienne est comme un retour aux sources : la communauté ne dispose pas d’électricité, on pompe l’eau à partir de panneaux solaires. Le soir, on se couche donc tôt, et on cuisine les victuailles de la journée, qui peuvent être des oiseaux ou des poissons. « On vit au rythme de la nature là bas, nos sens, complètement immergés, se développent. On est comme dans un autre monde et on revient à une vie de base » nous explique Valérie.
Sécuriser les mythes aborigènes
Presque tous les jours, elle travaille avec les hommes, chose extrêmement rare, puisque les deux sexes ne partagent normalement pas leurs activités. Elle est aussi conviée à des cérémonies, et devient vite une personne de confiance. Son père adoptif lui confie certaines des histoires mythologiques de la communauté, elles aussi réservées aux hommes, dans le but de l’aider dans sa recherche tout en perpétuant le savoir.
Avec l’essor des technologies, les jeunes ont virtuellement accès au monde extérieur tout en sachant pertinemment qu’ils ne pourront pas l’intégrer – l’identité est brouillée, les gens ne mangent pas à leur faim, et les décès sont constants. Isolés, beaucoup meurent de maladies ou se suicident. De plus, la société aborigène, étant orale, rend la transmission du savoir très compliquée. Dans de telles conditions, il est urgent pour les Anciens de sécuriser les mythes. Valérie les a placés en lieu sûr à Canberra. Mais les habitants cherchent à les retrouver sur leur terre ancestrale : récemment, des informations ont été rapatriées en Terre d’Arnhem, au Garma Cultural Knowledge Centre, afin de leur en faciliter l’accès.
Redonner quelque chose à la communauté par les expositions et le volontariat

Depuis son premier voyage en Terre d’Arnhem, Valérie a eu l’occasion d’y retourner à de nombreuses reprises pendant neuf ans, pour voir sa famille adoptive ou pour entreprendre d’autres recherches. Elle est encore en contact régulier avec eux et vit elle-même dans un endroit reculé dans le nord du Queensland, entourée de forêt tropicale.
Toujours affiliée au South Australian Museum en tant que chercheuse, elle y a mené sa première exposition sur les grenouilles en Terre d’Arnhem en 2007, visitée par plus de 20.600 personnes. Plus récemment, en 2017, l’anthropologue a co-créé ‘Manggan – gather, gathers, gathering’, une exposition itinérante qui réunit des objets traditionnels du South Australian Museum collectés dans la région Girringun, et les œuvres contemporaines de 19 artistes du Girringun Aboriginal Art Centre. L’exposition, tout juste inaugurée au Melbourne Museum continuera sa route à travers l’Australie jusqu’en 2021. Une initiative qui permet de stimuler la créativité des artistes et de leur offrir des opportunités professionnelles tout en éduquant le public. « L’art est un incroyable moyen de montrer la beauté de la culture aborigène » assure l’intéressée.
En parallèle, « la femme grenouille » est aussi bénévole au Girringun Aboriginal Art Centre où elle anime et organise des ateliers d’art chers aux aborigènes. « Pour les artistes, c’est un moyen de faire parler leurs traditions, de s’exprimer mais aussi de se faire de l’argent. Organiser des expositions, c’est pour moi l’occasion de redonner quelque chose à cette communauté« . Passionnée par l’environnement, elle est aussi bénévole au Community for Costal and Cassowary Conservation où elle sensibilise les visiteurs à la forêt tropicale et développe des programmes de revégétalisation.
Engagée, Valérie a su combiner ses passions de la biologie, de l’ethnologie et de l’art pour se créer un parcours de vie fascinant, toujours en écho avec la Terre d’Arnhem. Un lieu mythique qui l’a attirée il y a 20 ans et continue de l’appeler. « Ça ne me quitte pas, j’y pense constamment« .
Elise Mesnard
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