Bertrand Cadart, 70 ans, est un Français d’Australie un peu atypique. Revenons avec lui sur son parcours assez incroyable et sur son destin lié de près au journal Le Courrier Australien.
« Qui aurait pu penser qu’un galapiat de mon genre, arrivé en Australie sur une moto de gendarme, puisse se retrouver dans une radio internationale gouvernementale australienne, participer à l’un des films australiens les plus célèbres, et être maire ? »
Toute cette histoire commence en 1968. Bertrand Cadart, jeune fils de fermier élevé dans l’Oise, effectue son service militaire à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Avec une double formation de journaliste et d’acteur, ainsi qu’une expérience sur la radio française Europe n°1 — aujourd’hui Europe1 — c’est tout naturellement qu’il a été intégré au service médiatique de l’armée française. »La République a décidé qu’il était temps que j’aille faire mon devoir« . L’une de ses attributions consiste notamment de à lire quotidiennement la presse australienne et en particulier Le Courrier Australien. De retour en France sa situation familiale et ses rêves de voyages lui font rapidement reprendre le chemin de la Nouvelle Calédonie. Il décolle un an plus tard.
En 1970, Bertrand Cadart remet les pieds sur cette terre qu’il a appris à aimer notamment pour ses plages de sable fin et ses cocotiers. A 22 ans, ce fan invétéré de grosses cylindrées décide alors d’entreprendre un très long périple à travers le monde pour rejoindre sa Picardie natale. Dans une gendarmerie locale de Nouvelle-Calédonie, il achète une vieille moto et prend la route pour un très long voyage. La bécane chargée sur un cargo, le voilà parti pour un pays peu connu à l’époque : l’Australie.
— L’arrivée en Australie —
Après seulement quelques semaines, son long périple prend fin car il s’est « embourbé à Melbourne grâce ou à cause du Courrier Australien » dit-il . Evidemment, après avoir lu le journal pendant ses deux ans de service militaire, il a voulu passer voir le rédacteur en chef (ndlr, à l’époque Albert Sourdin) à Sydney pour se présenter. « Je viens d’arriver, je me promène et j’ai épluché votre journal au deuxième bureau de l’armée pendant deux ans« lui dit Bertrand Cadart. « Il était ravi ! » confie-t-il. En conséquence, le rédacteur en chef du journal publie dans le numéro suivant un entrefilet concernant ce jeune français, Bertrand Cadart, mettant en valeur son expérience dans la radio en France et sa formation au Cours Simon.
Le jeune picard dépose donc ses valises à Sydney pendant quelque temps. Il déniche une colocation à Manly avec sept ou huit motards. « On avait tous des petits boulot, plein de filles et de l’alcool. On était très content« .
L’entrefilet publié quelques semaines plus tôt a porté ses fruits. Il avait été vu par la section française de Radio Australia à Melbourne, qui cherchait désespérément quelqu’un à ce moment-là. « Sans réfléchir, j’ai sauté sur ma moto de gendarme et me voilà parti pour Melbourne. J’y suis resté 20 ans. ». Bertrand Cadart le reconnaît : « Sans Le Courrier Australien, auquel j’ai eu la bonne idée de faire une visite de courtoisie et sans cet entrefilet, je ne serais pas arrivé là aujourd’hui.«
— Un rôle d’acteur dans « Mad Max » (1979) —
En 1975, alors qu’il travaille pour Radio Australia à Melbourne depuis trois ans, le jeune reporter a comme l’impression de tourner en rond. « Vous avez l’air morose Cadart » s’exclame son patron. « Oui, j’ai l’impression d’être enfermé dans une cage à faire toujours la même chose, je m’ennuie. » répond-il.
Il a des envies de grandeurs et, plein d’ambitions, il propose ainsi à son directeur d’un ton ironique : « Monsieur, vous n’avez qu’à m’envoyer en France pendant un an pour interviewer des stars et essayer des voitures de sport et des motos hyper rapides« . Quinze jours plus tard, le responsable de la radio lui annonce que le budget a été trouvé. Bertrand Cadart part pour la France.
À son arrivée, ce fan de grosses cylindrées découvre bouche bée des motos customisées, tunées, avec du style comme lui. Jamais auparavant il n’avait vu de telles choses en Australie. Persuadé du succès possible Down Under, il rentre quelque temps plus tard avec plusieurs moules de carénages. Bien qu’il ait repris la radio, il profite de son temps libre pour confectionner lui-même des carénages de bécanes qu’il tente ensuite de vendre aux marchands de moto du coin, sans grand succès.
Un jour, George Miller, alors futur réalisateur du film à succès Mad Max, s’adresse aux vendeurs de motos d’Elisabeth Street à Melbourne en leur demandant des modèles futuristes pour son long-métrage de science–fiction. L’un d’eux lui dit alors qu’il connait un Français un peu farfelu qui fabrique des carénages dont personne ne veut. Voilà le début de sa rencontre avec George Miller. Miller a amené une moto, Cadart a monté les carénages, et ils ont ainsi habillé et relooké neufs des motos qui apparaissent dans le film.
Au fil du temps et après des heures à bricoler sur les motos, les deux hommes se sont liés d’amitié. Un jour, le réalisateur lui propose même un rôle dans son film. « Il y a un rôle où tu ne dis rien. C’est un ancien chirurgien tombé sur la tête qui s’est ouvert le crâne. Une espèce de benêt, un crétin qui ne dit rien » lui explique Miller. Sans trop hésiter, Français accepte.

C’est ainsi que, dans le premier Mad Max, sorti en 1979 et réalisé par George Miller, le jeune français au destin plutôt extraordinaire tient le rôle de Clunk, l’un des membres du gang des motards qui terrorisait l’outback Australien.
Pour en savoir plus sur l’incroyable histoire de ce film, je vous conseille le livre de Luke Buckmaster, « Miller and Max« . Un chapitre entier est consacré à notre Français du jour.
Mad Max, sorti le 12 avril 1979 en Australie, c’est environ 400 000$AU de budget et au total près de 100 millions de dollars américains de recette.
Pendant vingt ans, Mad Max a détenu un record dans le Livre Guinness des records comme étant le film à petit budget le plus rentable du cinéma avant d’être dépassé en 1999 par Le Projet Blair Witch.
Avec très peu de budget donc et un tournage plutôt épique, comme nous confie Bertrand Cadart, le film est finalement sorti. « Personne n’y croyait. Personne ne se doutait que ce film se terminerait et deviendrai à fortiori un succès. » s’exclame Bertrand Cadart.
Après la sortie du long-métrage, la petite boîte de carénages de Cadart intéresse tout le monde. La demande est si forte qu’il est contraint de quitter son poste à la radio. « A un moment j’employais 21 personnes et on fabriquait 500 carénages par semaine. » confie-t-il. « Mad Max aura fait partie de ma vie en pointillé mais pendant 40 ans« .
— Le French Mayor —
Vingt-cinq années se sont écoulées depuis son arrivée à Melbourne. Après un divorce difficile, Bertrand Cadart perd pratiquement tout. « J’étais meurtri, je ne savais plus quoi faire« .

Un peu désemparé, l’éternel lecteur du Courrier Australien aperçoit, dans la rubrique des petites annonces d’une édition du début des années 2000, un texte d’une certaine Danielle (de son véritable nom Danijela, originaire de Slovénie – ndlr) vivant dans une petite ville de Tasmanie et expliquant implicitement rechercher désespérément l’âme sœur, selon Bertrand Cadart. Sans rien à perdre, le jeune picard enfourche sa moto et prend la direction du sud de l’Australie.
N’ayant pas trouvé le grand amour qu’il était pourtant venu chercher, Bertrand Cadart devient néanmoins conseiller municipal de la ville dans laquelle il a posé ses valises : Bicheno, sur la côte Est de la Tasmanie. De 2007 à 2014, il est élu maire de Glamorgan Spring Bay, un groupement de communes tasmanien regroupant plus de 5000 habitants. Jusqu’à aujourd’hui, Bertrand Cadart est ainsi le premier et unique maire d’origine française en Australie. Pour l’anecdote, Bertrand Cadart est à tel point un mordu de cylindrées qu’il a obtenu de la part de la mairie que son véhicule de fonction soit un deux roues. « Ce qui est cocasse dans tout ça […] voilà un journal qui ne tirait que quelques milliers d’exemplaires. Sans ce journal, je ne serais jamais allé en Tasmanie et donc je ne serais jamais devenu maire ».
Le 8 mars 2014, « le farfelu de la famille » comme aimait le surnommer son père, est ainsi reçu par l’ambassadeur de France en Australie ainsi que par le Consul Général de France à Sydney pour se voir décerner la Médaille du Mérite National, en l’honneur de tout ce qu’il fait pour la France.
Voici donc le portrait d’un homme singulier, Bertrand Cadart qui, toute sa vie, n’aura fait que suivre ses envies. Hors du commun, atypique, ou déjanté, en tout cas une chose est sûr : « Je trouvais que la vie n’était pas une chose sérieuse. Aujourd’hui encore, je pense que la vie n’est qu’une rigolade. », conclu Bertrand Cadart.
Propos recueillis par interview téléphonique le 23 novembre 2018. Entretien réalisé par Julien Errard pour Le Courrier Australien.
——————————————
N’oubliez pas de suivre Le Courrier Australien sur Facebook et Instagram, et de vous abonner gratuitement à notre newsletter. Des idées, des commentaires ? Une coquille ou une inexactitude ? Contactez-nous à [email protected].
Discussion à ce sujet post