Dans le contexte opaque et inquiétant de la disparition de la petite Maëlys en France, Le Courrier Australien s’est interrogé sur le traitement de ce type d’affaire en Australie. Pour commencer son enquête, il est allé à la rencontre de Loren O’Keefe, la jeune fondatrice de l’association Missing Persons Advocy Network (MPAN), une structure unique en son genre.
100 personnes disparaissent chaque jour
Le chiffre tombe, rond et sans appel. Dans le détail, ce sont 38 000 personnes qui sont portées disparues chaque année en Australie (sur 24 millions d’habitants) et même si la grande majorité est retrouvée rapidement (85% dans la semaine), de nombreux cas restent en suspens, laissant les proches dans l’incertitude sur une durée qui peut se prolonger indéfiniment. « Peu de gens en ont conscience, explique Loren O’Keefe, mais la police enquête sur un nombre limité de disparitions, faisant passer en priorité les personnes « vulnérables » : enfants, personnes âgées ou connues pour avoir des problèmes mentaux. Ensuite, si les conditions de la disparition laissent supposer un acte de violence, bien sûr qu’elle est mobilisée… mais cela représente 2% des cas. Dans les 98% restants, les proches sont vite livrés à eux-mêmes. » Une situation que Loren a vécue personnellement.
Quand le frère de Loren, Dan, a disparu en 2011, il avait 24 ans. C’était un beau jeune homme en pleine santé, sans problème psychologique, sans mauvaises fréquentations. Il s’est évanoui dans la nature. « J’étais très proche de lui, raconte Loren, et j’ai immédiatement quitté mon travail pour le rechercher. Une tâche qui m’a occupée 24 heures sur 24 durant des années. » Financièrement, elle a pu compter sur les ressources de son compagnon, mais les familles en arrivent à s’endetter pour imprimer des avis de recherche, les faire publier. Sans compter les déplacements. Le monde entier est une possibilité. Alors que faire ? Par quel bout prendre le problème ? Comment trouver de l’argent ? Où demander de l’aide – surtout quand la personne est un majeur équilibré et libre de ses mouvements ?
En Angleterre, une cause à part entière… mais ailleurs ?
« En Angleterre, les personnes disparues sont une cause à part entière, au même titre que la lutte contre le cancer ou la pauvreté. Les associations reçoivent des dons qui peuvent aider concrètement. » Dans les autres pays d’Europe, Loren a le sentiment que les associations sont davantage gérées par du personnel administratif que par des familles touchées par un drame. En 2013, elle décide de créer son association MPAN : pour mettre son vécu et son expérience au service des autres, mais surtout… pour essayer de donner visage humain aux disparus et sensibiliser le grand public.
« Les affichettes de type « crime stoppers » renvoient consciemment ou inconsciemment à l’idée d’enquête. La personne est y presque déshumanisée et les passants qui la regardent ne se sentent pas concernés puisque, visiblement, c’est du ressort de la police. » Or, ce que veulent les familles, c’est que le disparu continue à être vu comme quelqu’un avec un passé, une vie, des amis… Susciter l’empathie, faire réagir, expliquer que la situation peut toucher tout le monde, même de loin. Loren rappelle ainsi qu’une disparition a un impact sur 12 personnes en moyenne, bien plus que le simple noyau familial. C’est un cousin, le fils d’une amie, le père d’un collègue… qui sera touché aussi.
Impliquer écrivains et artistes pour humaniser ces « Unmissables »

MPAN ne va jamais chercher les familles. Ce sont elles qui contactent l’association.« Nous n’avons pas de fonds malheureusement, mais nous voyons comment les aider avec les outils de communication à notre disposition, les espaces publicitaires que nous avons négociés, les personnalités qui nous soutiennent… » Parmi les initiatives de MPAN : un livre « Too short stories » avec plusieurs histoires inachevées de disparus écrites par des écrivains et illustrées par des artistes… « Nous avons aussi réalisé des fresques murales à l’endroit des disparitions. Il y en a une à Hosier Lane, une autre au Queen Victoria Market… » MPAN vient également de lancer une grande campagne : The Unmissables, sur internet. On pose sur les disparus un regard différent, plus intime et humanisé jusqu’au… retour ?
Loren soupire et nous renvoie aux études psychologiques sur ce qu’on appelle : « ambiguous loss » – la perte ambiguë. « Au début, on espère le retour d’un vivant… ensuite, on se résigne à attendre un dénouement quel qu’il soit, avec parfois la découverte d’une dépouille, nécessaire au travail de deuil. » Le corps de Dan, le frère de Loren, a été retrouvé il y a un an. On voit bien que la jeune femme est toujours sous le choc. Pour autant, elle n’a pas renoncé à son travail au sein de MPAN. « C’est toute ma vie maintenant, et je sais que mon frère aurait été heureux de savoir que sa disparition a servi à quelque chose, il était si généreux. » Y a-t-il un terme à l’accompagnement qu’elle offre aux familles ? « Non, aussi longtemps qu’elle cherchera, nous serons là. »
Chez MPAN, les « cold cases » (affaires classées) n’existent pas.
Valentine Sabouraud
Pour en savoir plus, aider, donner, alerter : le site de MPAN est >>> là.
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(C) Photo d’entrée d’article : Loren O’Keefe par Anne Moffat.
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