Si l’envie d’une flânerie baudelairienne vous prend un vendredi après-midi, allez vous réfugier aux dernières lueurs du crépuscule dans l’enceinte du musée d’art national du Victoria. Au fil des ans, ce temple de l’art a forgé la réputation d’un espace à la scénographie changeante, qui pour cette nouvelle édition des chefs d’œuvres d’hiver a été conçue par India Mahdavi. L’architecte française vous propose une expérience immersive versicolore des arts décoratifs entourés de toiles de maître.
A l’honneur, un peintre français comme on les aime, issu des Beaux-Arts et de la communauté artistique de Montmartre. Né dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et affilié aux post-impressionnistes comme Paul Gauguin dont il admire la peinture, il a fini par se démarquer grâce à son exaltation de la couleur contrastive, en faisant vibrer les complémentaires avec éclat.
Il se nourrit de l’univers mondain de la vie parisienne, qui sied à son rang, de l’otium qui gît au-delà des portes du negotium, et fréquente la bonne société des peintres nabis (d’où quelques traces de japonisme dans ses premières œuvres) puis celle des impressionnistes tels Camille Pissaro, Edgar Degas ou Pierre-Auguste Renoir. Il partage un goût esthétique pour les arts graphiques avec son contemporain Henri de Toulouse-Lautrec (grand absent de cette exposition), notamment dans la conception d’affiches commerciales. Il s’attache à peindre de mémoire, donc toujours en atelier, « le théâtre du quotidien » par la ressouvenance de sensations et d’émotions qui ont ponctué son existence.
Puis en 1893 il rencontre Maria Boursin, aux origines prolétaires, qui dans un exercice de simulation-dissimulation s’ennoblit et devient Marthe de Méligny dans une vaine tentative d’être acceptée par le milieu petit bourgeois de son amant. Il la prend en affection et va la faire sienne, en échange de quoi elle libère le potentiel érotique et l’extimité du peintre (L’homme et la femme, 1900), donnant ainsi naissance à une série de nus que l’artiste décomplexe du carcan institutionnel et de ses poses artificielles pour saisir en catimini le dévoilement de la chair dans la sphère de l’intime, comme une caméra cachée qui s’immiscerait dans la routine journalière d’un couple, sans voyeurisme aucun. Ici un corps prélassé sur un lit (La sieste, 1900), là un autre alangui dans un bain (Nu dans le bain, 1937).
Le thème acadien, avec sa palette de verts dominants (La symphonie pastorale, 1916-1920), s’importe autant dans sa peinture que dans sa photographie dès le tournant du siècle. Grand amoureux de promenades inspirées au sein d’espaces verts nourriciers, sa vie et sa peinture finissent par entrer en symbiose. Sur les dernières décennies, les paysages du Cannet viennent hanter sa production artistique. Dévoué corps et bien à son art qu’il fit passer de l’obscurité à la lumière, il s’éteint dans cette commune des Alpes-Maritimes en 1947 et rejoint, après cinq ans de veuvage, son égérie, son amante, feue son épouse. Son nom, vous l’avez deviné : il s’agit bien de Pierre. Pierre Bonnard. Allez lui rendre un ultime hommage à titre posthume.
Visible jusqu’au 08 octobre 2023, l’exposition Pierre Bonnard: Designed by India Mahdavi, proposée au public en partenariat avec le Musée d’Orsay, est assortie d’un remarquable catalogue disponible dans la boutique du musée d’art national du Victoria (National Gallery of Victoria).
Jean-François Vernay.
Discussion à ce sujet post