En poussant la porte du Jewish Museum of Australia à Melbourne, le visiteur curieux s’engage dans un chemin où s’entremêle l’art et la vie de l’une des artistes les plus emblématiques de Melbourne, Mirka Mora. L’exposition « Mirka » réunit en effet des centaines d’objets jamais exposés au grand public auparavant. Les lettres, vidéos, œuvres, audios, de son enfance pendant l’Holocauste en Europe à la fondation des galeries Tolarno en Australie, livrent un poignant témoignage d’une histoire personnelle et collective.
Bien que de nombreux musées, comme le Heide Museum of Modern Art en 2019, lui aient consacré des expositions, elles n’ont jamais été aussi immersives qu’au Jewish Museum à Melbourne. Plus de 200 objets ont cette fois été réquisitionnés, des photos de famille aux journaux intimes. Du début à la fin de l’exposition, le visiteur progresse de pièce en pièce suivi de la voix de Mirka Mora, comme celle des disparus de l’Holocauste a pu la suivre dans sa vie et son processus créatif.
Le traumatisme de l’Holocauste
Avant de créer des personnages pleins de vie et de joie, l’artiste a en effet dû échapper aux Nazis pendant la seconde guerre mondiale. En 1942, alors qu’elle n’a que 14 ans, Mirka est envoyée avec sa mère et ses deux sœurs aux camps d’internement de Pithiviers. La famille, qui devait ensuite être transférée dans les camps de la mort, parvient à y échapper en se cachant dans la campagne française. C’est à la fin de la guerre que Mirka, qui auparavant écrivait beaucoup, décide de se lancer dans les arts plastiques. Elle collecte et peint des ours en peluche ou encore des poupées, ses « peintures en 3D ».
En 1951, après avoir rencontré son mari George, et notamment par crainte d’une nouvelle guerre, Mirka et sa famille s’envolent pour l’Australie. Ils posent leurs valises dans une Melbourne bien plus insouciante, mais Mirka n’oublie pas. Un tableau exposé au Jewish Museum montre les visages de ceux qui sont morts dans les camps. Difficile de ne pas imaginer l’énorme travail que l’artiste a dû faire sur son subconscient pour retrouver ses visages. Elle, qui a survécu, veut leur donner vie à sa façon, et les inclue dans de nombreux autres tableaux.
La renaissance Melbournienne et l’art thérapeutique
En arrivant à Melbourne, la vie de Mirka et de sa famille change du tout au tout. Leur charisme et extravagance attire et fait parler d’eux. Ils s’installent au 9 Collins Street, dans un studio toujours rempli d’artistes, de joie et de nourriture. Le couple sert à manger à ses amis, des artistes reconnus tels que John et Sunday Reed, John Perceval ou encore Joy Hester. Peu à peu, il décide d’ouvrir ses propres cafés : le Mirka Café d’abord, puis le Café Balzac et finalement le Tolarno Hotel. Tous trois sont fréquentés par la population bohème de la ville, mais aussi par des politiciens et parfois même par des célébrités telles que Bob Dylan et Mick Jagger.
En 1970, Mirka et George se séparent. Mirka, qui avait continué de peindre, commence à se faire connaître. Elle est réquisitionnée pour peindre un tram à Melbourne – elle sera la première à le faire -, mais aussi Flinders Street Station. Ses œuvres finissent par se retrouver un peu partout dans la ville, en particulier à St Kilda, où l’artiste a déménagé et passera le reste de sa vie. Elle devient l’une des rares artistes à être à la fois respectée pour son travail exposé dans la rue et dans les galeries d’art. Son style aussi s’affirme : Mirka peint notamment des enfants aux grands yeux, des êtres mythologiques, des oiseaux ou des serpents hauts en couleur. Peindre, créer des œuvres transpirant la joie de vivre, est une façon pour elle de gérer ses traumatismes de l’Holocauste.
Laisser une marque
Cette joie dans ses œuvres, elle l’incarne avec puissance dans sa vie. Les vidéos d’archive de l’exposition montrent une Mirka pleine d’énergie, riant, dansant, se moquant des conventions sociales. C’est un témoignage que Serge Thomann, photographe et ancien adjoint au maire de Port Philip confirme. Il a été l’un des protégés de l’artiste, qu’il considérait comme sa mère spirituelle. Dans le cadre de l’exposition, Serge a accepté de partager ses moments avec Mirka pendant une visite guidée des œuvres de l’artiste à St Kilda. Il raconte en riant ces moments où elle mettait sa tête dans ses gâteaux d’anniversaire, son amour des livres qu’elle lisaient parfois en latin juste parce qu’elle trouvait ça beau, mais aussi sa haine des espaces vides. « Mirka voulait toujours laisser sa trace quelque part, un peu comme un chien qui marque son territoire », plaisante-il.
Parmi les 14 endroits dans lesquels Mirka a effectivement laissé sa trace et que le petit groupe découvre petit à petit, comme dans une reproduction du Petit Poucet, se trouve le Great Wall of St Kilda. Ce mur, commissionné par la ville de Port Philip en 2010, comprend un ensemble d’œuvres réalisées par 600 habitants de St Kilda dont Mirka Mora. Le but était d’encourager tous les membres de la communauté à créer, qu’ils soient commerçants, addicts à la drogue ou prostituées. De « donner une voix à ceux qui n’en ont pas ».
L’exposition comme la visite guidée confirment les souhaits de Mirka : elle a bien laissé une trace, mais pas seulement la sienne. Celle des juifs tués dans les camps, mais aussi celles des oubliés de la société. Tout en offrant une touche d’espoir aux visiteurs par l’incroyable leçon de résilience qu’a été sa vie.
L’exposition « Mirka » est ouverte jusqu’au 19 décembre 2021 au Jewish Museum of Australia. Une visite guidée en Français sera organisée en partenariat avec l’Alliance Française ce dimanche 9 mai. Pour réserver, c’est ICI.
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