Il nous tape dans l’oeil à la remise des prix du concours Berthe Mouchette* où il officie comme jeune maître de cérémonie. Il a l’allure décontractée, la chemise jaune, élégante mais sans excès, mais surtout… il utilise les mots « ferveur » ou « réitérer » que l’on n’imagine pas sortir spontanément de la bouche d’un Australien de 18 ans. Il aime la langue française et ça s’entend. Pourquoi et comment lui est venue cette passion ? On a voulu en savoir plus.
On retrouve Michel Nehme le lendemain à une table de café, juste à côté de The European – restaurant d’intellectuels en face du parlement. Il a le cheveu très noir et l’œil très bleu. Regard franc, look d’étudiant. « Je suis né à Melbourne, mais ma mère vient de Mauritanie et mes grands-parents paternels étaient libanais », explique le jeune homme qui a choisi le français en Year 7 « parce qu’il fallait apprendre une langue étrangère et qu’on le proposait dans mon école. » L’élève, qui étudie au prestigieux Scotch College, a la chance d’y rencontrer des professeurs formidables, dont Olivier Marquet un enseignant « brillant » originaire de Bordeaux et aussi un professeur australien excellent. Il apprend les bases dans une routine « parcimonieuse », mais il prend surtout goût à la musicalité et à la tournure d’esprit nécessaire à la pratique de la langue. « L’anglais est direct et concret, le français est plus abstrait et évocateur, avec l’emploi de nombreuses figures de style. » On ne saurait mieux dire.
Il commence à participer au concours de poésie Berthe Mouchette en Year 9 (équivalent seconde) et gagne trois fois. Il remporte même le fameux séjour linguistique de 6 semaines en France… dont il fera profiter un autre gagnant, car lui-même est déjà engagé dans un programme d’échanges. Dommage. Quoi qu’il en soit, Michel Nehme a passé quelques semaines à Lyon et il garde de bonnes relations avec sa « famille française ». Il espère pouvoir retourner dans l’hexagone, pourquoi pas plus tard à Sciences po ? Son parcours scolaire est si impressionnant (99,95 au VCE… la note maximum, avec des sujets comme latin, littérature ou physique) qu’il devrait pouvoir y arriver, son professeur de français à l’université** l’en juge capable. « Il pense même que je devrais devenir écrivain » rigole l’étudiant.
Il faut dire que le Michel Nehme a récemment écrit un essai sur Les Misérables (lu en version originale allégée) et qu’il peut sans sourciller évoquer « les nuances dans la construction (…) le lyrisme ou la texture » de l’écriture du grand homme. Ah oui, quand même. Cependant, il envisage plutôt une carrière dans une banque d’investissement… à condition d’y apporter de l’éthique. Il a de grandes théories sur le sujet, comme il a des opinions sur l’arrivée de Trump au pouvoir ou la politique française. On le laisserait faire qu’on y serait encore… avec plaisir. Car oui, l’intelligence est vive et il n’y a pas une once de pédanterie dans son discours. On salue non pas la modestie, mais la simplicité du désormais boursier dont les parents ont emprunté pour financer l’école privée.
Pour en revenir à la cérémonie Berthe Mouchette, comment l’a-t-il trouvée ? « Très française… avec des improvisations sur scène. » Il a trouvé les gagnants bien, mais il a perçu la différence entre ceux qui ressentaient pleinement leur texte et ceux qui récitaient avec moins de cœur. Et lui, quel poème a-t-il préféré sur ses trois participations au concours ? Il ne se rappelle plus leur titre sauf le dernier « Quand on n’a que l’amour » (Jacques Brel) récité sur scène l’année dernière. A-t-il peur de parler en public ? « Non, j’ai prononcé tellement de discours en tant que School Captain et participé à tant de débats que j’y suis habitué. » Il a le cœur qui bat fort, mais il profite du moment, sans trac… « Pardon ? » Michel Nehme ne connaît pas le mot français « trac » et on est ravie de le lui apprendre. En échange, il laisse tomber « abstrus » (ignoré de l’auteure de l’article) à propos du dernier livre qu’il a lu. C’était L’ombre de la lune (Agnès Mathieu-Daudé) qui se déploie comme « un courant de conscience absurdement structuré ». On en reste sans voix.
Aux rencontres avec les parents des élèves de Scotch, on lui demande souvent quel avantage leur enfant aurait à choisir le français plutôt que le chinois ou l’indonésien. « Il ne s’agit pas d’apprendre la même chose que tout le monde, répond-il, mais d’acquérir une compétence qui vous rendra unique et vous servira à appréhender le monde de manière originale. » On l’engage immédiatement comme ambassadeur.
Valentine Sabouraud
* Concours de poésie française (qui inclut de la récitation, de la conversation, de l’écrit et du dessin) à laquelle participent de nombreux établissements du primaire et du secondaire du Victoria. La cérémonie de remise des prix pour l’édition 2017 a eu lieu le 15 novembre.
** Michel Nehme a passé son VCE (équivalent baccalauréat) sur deux ans en 2015 et 2016. Comme il avait sauté une classe étant jeune, il a pu, durant sa première année d’université en 2017, rester quand même à Scotch College en tant que School Captain.
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