Retrouvez ci-dessous le discours (traduit en français sachant que seul le prononcé fait foi) du Président Macron lors de son discours lors du diner officiel à l’Opéra de Sydney ce 1er mai 2018.
« Monsieur le Premier ministre, cher Malcolm, Madame,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Il s’appelait Cecil Healy. Il était né ici, à Sydney, en 1881, au bord de cette baie qui en fit l’un des meilleurs nageurs de l’Histoire. Champion médaillé aux jeux olympiques de 1912, à Stockholm, il y perçut les ombres qui s’accumulaient alors dans le ciel européen. Refusant de rester immobile, même à l’autre bout du monde, au nom de son idée du droit, du devoir et de l’engagement, il se porta volontaire sur le front occidental pendant la Grande guerre. Après s’être bravement battu, il tomba aux portes de Péronne, à l’été 1918, quelques mois avant la fin de la guerre. Il repose aujourd’hui, aux côtés de ses frères d’armes, au cimetière d’Assevilliers, où John Devitt, un autre de vos grands nageurs, est venu verser un peu de sable de Manly Beach, en souvenir de sa terre natale.
Je suis né dans la Somme. J’ai grandi avec ces milliers d’histoires, de souvenirs et de traces de ce que la France doit aux soldats australiens venus il y a un siècle défendre notre liberté. Je pense à eux en arrivant ici. Il y a quelques jours, vous nous avez fait l’honneur, Monsieur le Premier Ministre, de célébrer l’ANZAC Day en inaugurant le Centre de mémoire Sir John Monash de Villers-Bretonneux. Le Premier ministre français était présent, et j’aurais été avec vous, si je n’avais pas été à Washington, avec nos alliés américains, pour rappeler là aussi les combats qui nous ont à jamais soudés. Des lycéens d’Amiens engagés dans la commémoration du centenaire m’accompagnent aujourd’hui, pour que le lien né entre nous sur les champs de bataille il y a cent ans continue de vivre à travers eux.
La France et l’Australie ont en partage le respect des héros. Nous leur rendrons hommage demain, à l’ANZAC mémorial de Sydney. Le monde a besoin d’écouter leur leçon, d’entendre leurs mots, leurs voix toujours vivantes, parce que détourner le regard du prix de la liberté, c’est prendre le risque de ne plus savoir la défendre. Du souvenir des batailles menées côte à côte, nos deux pays ont gardé au fond d’eux l’évidence d’une proximité.
Elle nous a permis de surmonter les incompréhensions qui nous ont éloignés, du temps des essais nucléaires. Elle nous engage aujourd’hui à y voir clair sur le caractère stratégique de notre partenariat. Ma visite n’est que la seconde d’un Président français en Australie – ce qui est quand on y songe, une anomalie. J’ai donc souhaité, à l’invitation du Premier ministre, être ici dès la première année de mon mandat, pour marquer la volonté de la France de franchir un nouveau cap avec vous. Nous sommes d’accord : une Australie forte dans la région et dans le monde est dans l’intérêt de la France et réciproquement, parce que notre vision comme nos objectifs sont parfaitement alignés. Le terme de partenariat stratégique est très souvent utilisé mais il est loin d’être galvaudé en ce qui nous concerne.
Notre partenariat a fait, quelques années seulement après sa mise en place, un bond historique en 2016 avec le choix de Naval Group pour le design et la construction de 12 sous-marins de nouvelle génération. La compétition a été rude parce que rigoureuse, mais la qualité et la fiabilité de l’offre française l’a emporté. Le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui m’accompagne dans ce voyage, a beaucoup œuvré en ce sens au nom de cette conviction, que nous partageons, du caractère éminemment stratégique de notre rapprochement.
Ce qui compte à mes yeux, au-delà même des retombées majeures sur les plans industriel et technologique de ce contrat, pour la France comme pour l’Australie, dans une véritable logique « gagnant-gagnant » pour reprendre le terme de nos amis chinois, c’est que cette coopération nous engage sur le long terme, pour les 50 ans qui viennent. Pendant des décennies, nos entreprises, nos régions, nos ingénieurs, nos militaires, nos chercheurs vont travailler ensemble dans un domaine essentiel de souveraineté, créant ce faisant entre nous de nouveaux liens indéfectibles, une nouvelle histoire commune.
Cette coopération vient aussi nourrir et accompagner un tournant géostratégique que nous déclinerons ensemble demain devant les troupes australiennes et françaises à Garden Island. Nous devons nous donner ensemble les moyens d’exercer pleinement notre souveraineté au service des principes qui sont les nôtres et des biens qui nous sont communs. Il s’agit de renforcer la chaîne des démocraties de Paris à Canberra en passant par Dehli, pour améliorer, dans le cadre multilatéral, notre réponse aux menaces qui nous concernent tous.
Garantir notre souveraineté c’est d’abord assurer notre sécurité. Quand la France a été frappée par le terrorisme, l’Opéra de Sydney où nous nous trouvons, chef d’œuvre de l’architecture du vingtième siècle, s’est éclairé à nos couleurs. C’est un symbole important, qui va droit au cœur des Français. Le 26 avril dernier, nous avons organisé à Paris une conférence sur la lutte contre le terrorisme et c’est naturellement vers l’Australie, qui l’a accepté, que nous nous sommes tournés pour prendre le relai et organiser la conférence de suivi des engagements pris. Nous agissons militairement ensemble contre Daech au Levant, où la contribution australienne à la Coalition est essentielle. La coopération entre nos services de renseignement sur les combattants étrangers qui reviennent du théâtre syro-irakien est excellente. Nous ferons demain avec le Premier ministre un point complet sur notre coopération de sécurité.
Notre sécurité se joue aussi dans la région. Cela n’a rien pour moi de théorique. Un demi-million de mes concitoyens vivent en Océanie, dans nos collectivités du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis et Futuna. Un million dans l’Océan indien, où nous sommes aussi présents par nos collectivités de La Réunion et de Mayotte. Nos forces armées sont présentes dans la zone indopacifique qui est clé pour la stabilité mondiale. Elle est le lieu de toutes les potentialités et en même temps, elle est traversée par des rivalités et des fragilités auxquelles la France et l’Australie ont vocation à répondre ensemble.
Parmi ces fragilités, l’enjeu climatique est une priorité absolue. De nombreux Etats dans le Pacifique sont directement menacés de disparition et n’existeront plus, dans seulement quelques années, si nous n’agissons pas. Je rencontrerai à Nouméa dans quelques jours les membres de la Communauté du Pacifique Sud pour évoquer avec eux ce défi. Je salue l’engagement de l’Australie dans la lutte contre le changement climatique, qui doit beaucoup, Monsieur le Premier ministre, à votre force de conviction. Je n’ignore rien du débat politique et économique que cette question suscite dans votre pays et je le respecte. Je souhaite que nous définissions ensemble des initiatives conjointes que nous pouvons prendre pour mettre en œuvre les engagements du One Planet Summit que nous avons organisé le 12 décembre dernier, en particulier sur l’adaptation et la protection de la biodiversité dans le Pacifique, en particulier pour la préservation des récifs coralliens.
Je tenais ici à vous faire part d’une conviction qui est chez moi très profonde : il n’y a pas de Plan B, lutter contre le changement climatique n’est pas une option, c’est une obligation et c’est une opportunité historique. La Chine, grand partenaire économique de l’Australie, bouge, à pas de géants. Lors de ma visite à Pékin nous avons défini les axes d’un co-leadership climatique auquel je souhaite associer nos grands partenaires, comme l’Australie. Encore, il y a quelques jours, aux Etats-Unis, j’ai mesuré à quel point les Etats, les entreprises, les chercheurs américains refusaient de s’arrêter à la décision du Président Donald Trump de sortir de l’accord de Paris et allaient, avec nous, de l’avant. C’est le sens de l’Histoire, des révolutions scientifiques et technologiques à venir, de la diversification de nos économies, de l’innovation de demain, des accords de libre-échange à venir, dont celui entre l’Union européenne et l’Australie que nous appelons de nos vœux. J’ai la conviction que nos deux pays sauront prendre ce tournant ensemble.
Chers amis,
J’ai confiance en nous, en la France et l’Australie, pour relever tous ces défis communs. « Un long avenir demande un long passé » disait Balzac. Il parlait certes du mariage mais il est une alliance à laquelle je suis certain que cette idée s’applique, la nôtre, qui est d’ores et déjà ancrée pour les 50 prochaines années, sans séparation possible. Nous nous connaissons déjà très bien, d’abord vous et moi, cher Malcolm, depuis que nous avons voyagé ensemble pour revenir d’Hambourg à Paris après le G20. Je garde un excellent souvenir de nos échanges. Je suis admiratif, Madame, de votre parcours. Mon épouse n’a malheureusement pas pu être avec nous ce soir mais je vous transmets de sa part ses chaleureuses amitiés à l’Australie.
Pour les Français, l’Australie, c’est l’immensité de l’aventure, que décrit si bien ce poème nostalgique écrit depuis Londres par Dorothéa Mackeller : « I love a suburnt country / A land of sweeping plains/ Of ragged mountain ranges / Of droughts and flooding rains/ I love her far horizons/ I love her jewel-sea/ Her beauty and terror / The wide brown land for me ! ». Je crois que pour les Australiens, la France, c’est une histoire, un patrimoine, une gastronomie, une certaine forme de romantisme. Nous nous nous rencontrons souvent sur les terrains de rugby comme de football – et bientôt à l’ouverture de la Coupe du monde. Nous sommes tout cela, mais nous devons être aussi bien plus à l’avenir, les uns pour les autres.
Je suis venu vous dire que la France veut être le partenaire privilégié de votre pays au sein de l’Union européenne, pour l’innovation, la technologie, la recherche, les échanges étudiants, les investissements, le commerce.
Je suis venu vous dire, alors que la biennale de Sydney connait un succès mondial, et que la Dame à la Licorne, trésor de notre patrimoine médiéval, a fait le voyage jusqu’ici, ma volonté de développer nos échanges culturels, de croiser des imaginaires qui se sont nourris aux mêmes sources dans la région.
Je suis venu vous dire ma volonté que la présence de la France dans le Pacifique soit une opportunité toujours plus grande pour l’Australie et pour nos territoires.
Je suis venu pour consolider notre alliance face aux défis de d’aujourd’hui, et ma conviction que le dialogue et la coopération entre les grandes démocraties est plus que jamais nécessaire, dans un monde dangereux et incertain, où notre responsabilité est immense.
Ladies and Gentlemen,
Please join me in the toast to the friendship between our people and governments,
(Les invités se lèvent)
To the Queen and the People of Australia !
(Les invités répètent le toast, boivent et se rasseyent). »
Credit photo: Ambassade de France en Australie
Discussion à ce sujet post