Grande comme l’Europe, l’Australie est une île-continent dont les plages sont surveillées, depuis la nuit des temps, par des maîtres-nageurs sauveteurs appelés « life savers ». Bénévoles pour la grande majorité, ces volontaires sont la fierté d’une nation qui a appris à profiter de l’océan tout en se préservant de ses accès de colère.
« Ici, c’est la plage la plus dangereuse de toute l’Australie. Mais, le club est fier de sa devise : No Live Lost (aucune vie perdue) ! Oui, depuis 1906, aucune disparition n’est à déplorer », annonce le Niçois Mathieu Debieuvre (28 ans), ingénieur informaticien, life saver depuis cinq ans à Tamarama, une plage discrète, voisine de la célèbre Bondi dont les rouleaux ont dépassé les frontières de cette grande île du bout du monde. Les deux déroulent charmes et dangers, à trente minutes de l’Opéra de Sydney. A l’abri entre deux murs vertigineux de falaises tranchées par les vents, la petite « Tama » offre un entonnoir en pente où s’engouffrent, sous des courants costauds, des vagues en pagaille se renvoyant, parfois, un infernal et piègeux, écho de flanc de rocher à flanc de falaise : « En une matinée, on peut avoir toutes les conditions. En deux secondes, un nageur à gauche peut se retrouver catapulter à droite », poursuit Mathieu Debieuvre, l’un des 120 life savers du club.
« Rapidement, un nageur se sentant happé puis, impuissant à lutter contre tel ou tel élément, panique donc, perd, quasiment, immédiatement tout moyen de s’en extirper. Nous, nous sommes entraînés à ne pas lutter contre courants et vagues. Mais, à jouer avec eux, à s’en servir, à trouver en eux de la force pour aller porter secours. Durant notre apprentissage pointu et sportif, au-delà de se forger une impérative bonne base en natation (*), nous apprenons à connaître la mer. »
« Dans un pays encore animé d’un grand sens civique, se rendre utile et être solidaire est très important »
Bénévoles, les patrouilles, mixtes de six à sept individus, se forment sur la base du volontariat (elles sont treize à Tamarama), observent sans relâche, interviennent à la nage, en planche, en kayak ou en zodiac, déclenchent une sirène hurlante au passage souvent solitaire d’un requin, plongent régulièrement chercher des nageurs assommés par la crête d’une vague coutumière d’un coup du lapin à l’approche du bord, scrutent, repèrent les bancs d’agressives méduses, raniment, avertissent, définissent chaque jour entre deux drapeaux le lieu de baignade idéale (donc, surveillé), remettent à coups de sifflet ou de mégaphone les surfeurs dans le droit chemin de rouleaux à leur portée, soignent, et sauvent : « Quelque part, nous faisons, entre interventions et surtout beaucoup de préventions, un peu la police sur la plage », reconnaît le Vendéen David Roux (35 ans), life saver à Tamarama depuis deux saisons. « Normal, le cadre est rigoureux mais, absolument pas militaire. L’ambiance est très conviviale. Chacun est content de se rendre utile, d’être solidaire. Dans un pays encore animé d’un grand sens civique, se rendre utile et être solidaire est très important. »
« A l’heure ouù l’Europe parle de générations de jeunes privés de nature, nos jeunes se ressourcent beaucoup grâce à l’océan »
A partir de cinq ans, les enfants sont invités à rejoindre ces clubs pour s’initier à ces techniques de sauvetage. Jusqu’à l’âge de sept ans, hors de l’eau, ils seront « Nippers ». Après, la tête la première et les orteils bondissants, ils prendront la mer à bras le corps. Psychologue pour les enfants, l’Aixoise Jade Couquaud (39 ans) vit depuis quatorze ans à Sydney. Depuis presque dix saisons, cette maman de deux enfants est aussi life saver à Tamarama :
« En Australie, contrairement à la France, par exemple, la mer n’est pas ressentie, par la grande majorité de la population, comme un danger. Avec la plage, elle est une aire de jeux, de plaisirs, de sports voire d’adrénaline. Très tôt, les enfants en apprennent les règles, les plaisirs, s’y rechargent en énergie, s’y responsabilisent, donc, s’y construisent. A l’heure où l’Europe parle de générations de jeunes privés de nature, nos jeunes se ressourcent beaucoup grâce à l’océan. Que ce soit à travers ces clubs ou de l’école, tous ont été, un jour ou l’autre, initiés, sensibilisés, à cette aire de jeux. »
Même écho du côté de David Roux : « De ces apprentissages traditionnels naît une grande culture de l’eau. Dès le plus jeune âge, un Australien, surtout s’il habite, comme les deux tiers d’entre eux, sur le littoral, sait où sont les dangers, il connaît les vagues. Et il y saute les deux pieds joints et en avant ! »
En Australie, quatre cents plages sont, ainsi, surveillées. Environ, dix mille sauvetages sont effectués par an. Entre deux patrouilles sous les ordres du Captain Patrol, l’art des techniques de sauvetage en mer donne lieu à des compétitions très disputées entre les différents clubs de chaque état. Et les finales sont disputées sur des plages bondées de spectateurs en direct à la télévision. Au même titre que des athlètes olympiques, les vainqueurs sont des héros courtisés par les sponsors. Et, désormais, ces techniques de sauvetage ont leurs championnats du monde largement dominées par les Australiens, évidemment !
* Etre capable d’enchaîner un 200 m en course à pied suivi d’un 200 m en natation avant un second 200 m en course à pied en moins de huit minutes est la base pour avoir le droit de devenir Life Savers.
Article « rédigé et offert » par Sophie Greuil
« Natation Magazine », numéro 153 – novembre 2014
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