D’un côté, une tradition et une volonté de reconnaissance mondiale. D’un autre, la possibilité de produire et de séduire un marché qui ne fait que grossir. Une « guerre » règne entre l’île continent et la botte pour rendre à César ce qui est à César, autrement dit le prosecco et le parmesan.
« Pour moi, ça représente la tradition mais aussi notre rêve », raconte Elena Moschetta. Elle est debout devant la fenêtre qui donne sur son vigneron que son grand-père a implanté dans la région de Treviso, en Italie, des décennies en arrière. Depuis, cet héritage s’est étendu largement. Quand son père reprend la main, il a élargi la plantation pour faire pousser plus de raisin prosecco. Maintenant, la troisième génération de l’affaire familial d’Elena et son frère Enrico Moschetta a ajouté un vinicole au vignoble.
Dans la région, le prosecco représente plus qu’une simple bouteille de vin pétillant. C’est un produit qui remonte à 1382 durant l’empire romain. « Le prosecco est né ici », déclare William Spinazze, un propriétaire de vignoble de troisième génération. « C’est un vin traditionnel qui a toujours été fait ici. Le dimanche, c’est vraiment habituel, après la messe, de s’arrêter à un bar et boire un prosecco avant de déjeuner avec la famille. Avec cette façon de vivre, tu ne peux pas boire du vin chargé, c’est pourquoi le prosecco est arrivé dans notre culture. C’était la façon parfaite de profiter de ta vie ».
« Nous avons besoin de protéger ce vin »
Avec les différents accords commerciaux à travers le monde, notamment à travers l’Union Européenne, il existe une réelle menace pour le prosecco italien et ses producteurs. « Parce que c’est très populaire, que c’est facile à copier et que c’est possible de le faire dans différentes parties du monde, nous avons besoin de protéger ce vin de toutes nos forces », affirme Spinazze. « Nous savons que d’autres pays produisent du prosecco mais il est né ici et c’est pareil que le Champagne ».
Les Italiens clament que le prosecco est une part de leur héritage culturel et qu’il est nécessaire qu’il soit préservé et protégé de la même façon que les bâtiments anciens. Ces efforts ont été appuyés récemment grâce aux terres de production de prosecco classées au patrimoine mondiale de l’UNESCO.
En effet, Prosecco est le nom d’une ville au Nord-Est de l’Italie. « Les vignerons sont très fiers d’utiliser ce nom. Nous aimerions trouver une façon de créer un marché pour le vrai prosecco et trouver une manière de clarifier aux consommateurs australiens quand le prosecco est fait dans un vignoble en Australie », précise Paolo de Castro, ancien ministre de l’Agriculture italien maintenant député européen.
Dans ses efforts pour protéger l’industrie, l’Italie cherche à restreindre l’utilisation du mot « prosecco ». Elle a changé le nom du raisin prosecco en glera en 2009 et a ensuite enregistré prosecco comme une indication géographique (GI), une demande qui permet d’obtenir le même niveau de protection que celui qu’a le Champagne.
La Commission européenne a voulu l’enregistrer également en Australie en 2013 mais cette demande a échoué après que le pays a fait valoir qu’elle avait adopté le nom parce que c’était un nom de variété générique comme chardonnay.
L’Australie et son histoire avec le Prosecco
La décision de changer de terme pour le raisin a exaspéré l’industrie australienne qui a accusé les Européens d’une tentative « sournoise » de « récupération » de la marque prosecco.
L’Australie et l’UE ont conclu un accord sur le vin depuis plus de vingt ans. Si un accord de libre-échange plus large est mis en vigueur, le prosecco est susceptible d’être l’un des seuls points de litiges pour les viticulteurs. C’est notamment cet accord qui protège le terme « Champagne » d’être appliqué aux vins australiens.
L’Union européenne est le premier investisseur étranger en Australie et les échanges bilatéraux représentent déjà plus de 100 milliards de dollars. « Je ne vois pas pourquoi un pays n’accepterait pas de reconnaître les dénominateurs d’origine. Cela donne aux consommateurs la certitude que le produit vient bien de cet endroit », indique M. Hogan de la Commission européenne.
Les exportations de prosecco australien ont augmenté de 400% au cours des dernières années, les ventes intérieures de 50% et le volume des raisins de 300% depuis 2015. Mais si un accord commercial avec l’UE permet la protection du prosecco, tout cela pourrait être menacé. Les agriculteurs parlent même d’une crise économique qui mettrait en péril jusqu’à 200 millions de dollars de vente de vin d’ici quatre ans et qui mettrait en péril des emplois, notamment dans la King Valley de Victoria où 50% de la production du pays s’y fait.
Et le parmesan dans tout ça
En plus du prosecco, il existe aussi une liste de sept fromages que l’Europe voudrait protéger. Cette liste inclut la feta, le parmesan, l’haloumi, le brie, le camembert, le pecorino, l’edam et le cheddar. L’indication géographique pour ce dernier étant West Country Farmhouse Cheddar, si les négociations avec l’Australie sont les mêmes que celles avec la Nouvelle-Zélande, l’UE cherchera la protection du nom complet, et non pas celle de « cheddar ».
Pour éviter qu’un terme soit protégé, l’Europe demandera de prouver qu’il s’agit d’un terme générique comme lait ou beurre.
Les responsables européens affirment que sans IG, les petits villages montagneux auraient du mal à survivre. Ils affirment que le fait de limiter la production à certaines régions a permis de conserver des emplois et de garder des gens dans des villes où ils auraient pu partir autrement.
Au tour de la feta
Comme les Italiens avec le prosecco, la feta est plus que de la simple nourriture pour les Grecs. « Nos pères, nos grand-pères ont produit de la feta depuis des années et des années dans la plus traditionnelle des manières », Konstantinos, manager dans la grande production de feta du Nord-Est de Ioannina. « Pour nous, la feta est bien plus qu’un simple fromage. Elle reflète une façon de vivre, une qualité de vie ».
Les défenseurs de la feta en Grèce soutiennent que le microclimat de la région est unique. Il est donc impossible de reproduire la vraie feta si le lait ne provient pas des moutons et des chèvres qui mangent l’herbe de ces terres. L’indication géographique pour la feta est vitale pour la survie des agriculteurs. Pour rester dans la vie de la communauté, ils ont besoin de revenus. Pour qu’ils aient de bons revenus, il est nécessaire que leurs produits soient vendus à des bons prix.
Les ramifications de l’obtention de protections européennes pour la feta persistent en Europe. En janvier dernier, la Commission européenne a menacé de poursuivre le Danemark pour avoir continué d’utiliser le terme « feta danoise ». Si l’Australie accepte de respecter l’IG, le produit vendu comme feta danoise dans les supermarchés devra également subir un changement de nom.
Les autorités grecques font très attention en ce qui concernent les négociations avec l’Australie car « la feta est très importante. Nous devons reconnaître que la feta et la Grèce sont synonymes », affirme Phil Hogan, qui travaille à la Commission européenne. Les Grecs ne veulent pas reproduire les failles perçues avec le Canada et le Parmigiano Reggiano et le Prosciutto di Parma entre autres.
Une chose est sûre, les accords entre l’Union européenne et l’Australie sont importants. Les dirigeants européens ont peur que l’île continent ne se rapproche de la Chine si jamais les négociations échouent. Ils misent sur les expériences avec le Canada et la Nouvelle-Zélande. Mais il est non-négligeable que les traditions et les cultures pèsent dans la balance pour trouver l’équilibre de ces échanges bilatéraux. Si jamais les Italiens parvenaient à obtenir ce qu’ils désirent, la région du Prosecco serait la seule région du monde où on pourrait en produire.
Source : Abc.
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