Vêtus de fourrures bariolées et de chapeaux à plume, des chamanes mongols adressent des prières au ciel pour protester contre un projet de mine canadienne qu’ils accusent de menacer un site funéraire historique.
Rassemblés sur la place principale de la capitale Oulan-Bator, les dizaines de manifestants dénoncent l’exploitation des ressources du pays par des grandes entreprises étrangères. “La Mongolie doit rester mongole”, proclame Tseyen-Oidoviin Sarantuya, une chamane qui a fait plus d’un millier de kilomètres pour rejoindre le cortège. L’immense pays des steppes, qui compte à peine trois millions d’habitants, regorge de minerais: charbon, cuivre, or, fer entre autres. Une manne estimée à plus de mille milliards d’euros.
Mais le pays se demande comment contrôler les entreprises étrangères et partager les bénéfices de l’exploitation de ses ressources naturelles, avec en toile de fond le contre-exemple des États –tels le Nigeria, le Venezuela ou la Birmanie– où l’argent des matières premières a fait exploser la corruption et creusé les inégalités.
« La Mongolie souffre déjà de la malédiction des ressources. C’est une réalité aujourd’hui », estime Gantumuriin Uyanga, membre du Grand Oural, le parlement mongol. Bien que son parti, le Parti national démocratique mongol, soit membre de la coalition au pouvoir, elle dénonce l’échec de la répartition des richesses. “C’est triste de voir les gens s’en remettre au ciel parce que le pays est mal gouverné”, regrette-elle.
– « Objet de convoitise et de dédain » –
Quatre ans plus tôt, la Mongolie connaissait la plus forte croissance au monde, avec 17,5%, grâce au boom des minerais.
Depuis, les cours des matières premières ont chuté, tandis qu’émergeait un « nationalisme des ressources » qui a douché les attentes des investisseurs: en 2014, le PIB mongol ne progressait plus que de 7,8% et les investissements étrangers s’effondraient de 74%, d’après la Banque centrale mongole. Et en 2015, la croissance devrait plonger à 3%, selon la Banque asiatique de développement.
Pour Julian Dierkes, spécialiste de la Mongolie à l’université de Colombie britannique, le pays est à la fois « un objet de convoitise et de dédain pour le capitalisme mondial”.
Les autorités tentent de sortir de l’impasse. En février, trois cadres étrangers de compagnies minières emprisonnés pour évasion fiscale ont été graciés. Le sort avait effrayé les investisseurs.
Début avril, le Premier ministre Chimediin Saikhandileg a annoncé un accord « historique » avec le premier investisseur étranger dans le pays, Rio Tinto, le géant minier anglo-australien, sur le développement de la seconde phase du site d’Oyu Tolgoi, le principal site minier du pays. La semaine dernière, lors de l’assemblée générale annuelle de Rio Tinto, le directeur général Sam Walsh a indiqué que les discussions se poursuivaient.
–Dilemme national–
Ballotté entre sa fierté nationale héritée du conquérant Genghis Khan et l’influence de ses puissants voisins chinois et russe, le pays doit résoudre un dilemme.
La tradition nomade, les croyances animistes et presque 70 ans de communisme ont forgé un sens aigu de la propriété commune des terres: la propriété privée n’a été reconnue qu’après la démocratisation du pays en 1990.
« On devrait exploiter nos ressources nous-mêmes. Il n’y a pas de raison que seuls les étrangers en profitent », regrette une jeune enseignante en maternelle qui attend son premier enfant. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle a boycotté un référendum contesté, organisé par SMS, pour approuver la reprise des investissements étrangers, avant l’annonce de l’accord avec Rio Tinto.
D’après le vice-président de l’Institut national des chamanes mongols, Myagmarjaviin Enkhzaya, présent à la manifestation, les plans de la mine d’or du groupe canadien Century Gold mettent en danger des tombes d’une importante valeur historique, ce que dément l’entreprise.
“Nous voulons que les gens comprennent que pendant qu’ils dorment, des personnes cupides exploitent les ressources mongoles et les montagnes que nous adorons par nos prières. Bientôt, il n’y aura plus de terre à hériter, parce que des politiciens corrompus l’auront vendue.”
Illustration de l’abîme qui sépare les points de vue, des chamanes se sont vus proposer des postes grassement rémunérés par des compagnies minières, mais qu’ils ont refusé pour des raisons spirituelles, raconte Amalia Rubin, chercheuse à l’université de Washington.
« Le débat est intense entre ceux qui veulent que la Mongolie se développe, et ceux qui veulent que les Mongols récoltent les fruits du développement économique, tout en apaisant les esprits de la terre et en respectant les traditions mongoles », explique-t-elle.
par Kelly OLSEN
© 1994-2015 Agence France-Presse
Discussion à ce sujet post