Un rosé de huit ans d’âge à la carte d’un restaurant trois étoiles: impensable il y a vingt ans, cet attelage gastronomique signe la formidable montée en gamme des vins rosés, brouillant une image de vin de soif ou de barbecue véhiculée par les bouteilles bon marché.
Parfaits sur du poisson grillé, des viandes blanches ou des plats orientaux, certains crus de Côtes-de-Provence ou d’appellation Bandol n’ont plus rien à voir, ni en prix, ni en qualité, avec les pyramides de rosés translucides proposés tout l’été à l’entrée des supermarchés de la Côte d’Azur, voire de toute la France.
« Les gens sont très surpris et assez réticents au début », observe Franck Perroud, sommelier au triple étoilé Michelin de la Vague d’Or à Saint-Tropez, qui flèche de grands rosés de son choix en accord avec certains mets. « Mais quand on leur fait goûter, ils découvrent quelque chose qu’ils ne connaissent pas du tout et généralement, ils finissent avec une deuxième bouteille! », dit-il.
Il exulte: « Avant, les gens buvaient le rosé de l’année, ou avec beaucoup de glaçons au bord de la piscine. Maintenant on peut proposer des cinq, six et même dix ans d’âge, il y a une gamme qu’on peut qualifier de gastronomique en terme de complexité et de savoir-faire et on s’aperçoit, sous l’impulsion de jeunes vignerons, que le rosé est le plus difficile à faire ».
Durant sa formation dans les années 1990 à l’Ecole hôtelière de Nice, M. Perroud se souvient que le rosé n’était même pas évoqué, alors qu’aujourd’hui, avec le chef Arnaud Donckele, il a mis une soixantaine de références à la carte. Essentiellement des rosés régionaux dénichés chez des débutants comme au domaine de La Pertuade à La Mole, ou chez des vétérans comme l’atypique Clos Cibonne, un pur cépage tibouren, cultivé près de Toulon.
– Plus de 100 euros la bouteille –
« On a fait évoluer le produit que faisait le grand-père dans les années 1940 mais on ne s’est pas laissé attirer par les levures, le goût myrtille, pamplemousse, etc », explique Olivier Deforges qui exporte son Clos Cibonne jusqu’à Los Angeles, Bangkok et Sydney.
Le flaconnage, un format bourguignon, une couleur vert bouteille et une étiquette style bière d’abbaye, reste vieux jeu mais la vinification est très travaillée, le chai climatisé et depuis une quinzaine d’années, les ventes sont reparties à la hausse.
« C’est technique », confirme Guy Sauron, du Domaine Siouvette. « A tout moment, on a un risque d’oxydation qui donne une couleur jaune. Il y a un travail de dingue qui a été fait en cave et en vigne depuis vingt ans ».
Signe de la qualité qui s’améliore, les prix montent sans atteindre les niveaux stratosphériques des grands rouges et des grands blancs. La France est le pays qui vend ses rosés le plus cher à l’export.
Un bon rosé démarre à environ 15 euros la bouteille (contre un prix moyen en grande distribution de 2,70 euros les 75 cl) et une Cuvée Garrus du Château d’Esclans, près de Fréjus, propriété de Sacha Lichine, héritier d’une dynastie de viticulteurs d’origine russe installés à Bordeaux, se négocie à parfois à plus de 100 euros la bouteille: c’est le rosé le plus cher du monde.
Rencontré lors d’un salon des Côtes de Provence en mars, Guy Negrel, propriétaire-récoltant de la 7ème génération au Mas de Cadenet, raconte: « Ca me rendait malheureux cette mauvaise image du rosé qui date d’il y a trente ans. J’ai même entendu dire que le rosé n’était pas un vin! »
« Il y a eu les congés payés en 1936, les Français sont partis à la mer et ont découvert le rosé. Le succès a été énorme mais c’était mis en bouteille à Bercy et pas très qualitatif », dit-il. Au pied de la montagne Sainte-Victoire, ses vignes bio donnent un rosé élevé en barrique « pour plus de volume. On est sur des arômes de fruits frais, très bon avec de la tomate, ou de la tomate confite ».
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