Les poupées Golliwog sont ancrées dans la culture anglo-saxonne depuis 120 ans. Presqu’aussi populaires que les Teddy Bears durant la première moitié du XXème siècle, ces poupées de chiffon sont pourtant passées du statut de jouet adoré des enfants de l’époque, à celui de figure offensante, porteuse d’un message injurieux aujourd’hui.
Bannies au Royaume-Uni depuis une ou deux décennies, elles continuent pourtant à être vendues — discrètement — par centaines de milliers chaque année en Australie. D’où viennent ces Golliwog dolls, pourquoi ont-elles été tout à la fois objet d’amour et de haine au cours du siècle passé ? Le Courrier Australien s’est penché sur l’origine et l’évolution de ces poupées de chiffon…
Un personnage laid mais bienveillant
Le Golliwog, aussi orthographié golliwogg ou surnommé golly, a fait son entrée dans la culture populaire en 1895. C’est d’abord un personnage de fiction d’un livre illustré de Florence Kate Upton : « The adventures of two Dutch dolls » (« Les aventures de deux poupées néerlandaises »). L’histoire met en scène deux poupées, Peg et Sara, qui prennent vie la nuit dans un magasin de jouets lorsqu’elles repèrent ce qui est décrit comme « une horrible créature, un gnome tout noir » : une poupée de chiffon noire nommée Golliwogg, qui commence par les effrayer. Malgré son aspect repoussant, celle-ci devient vite le meilleur ami des deux poupées, un personnage amical et positif.
Florence Upton, auteure d’origine britannique, a grandi à New York. Son personnage Golliwogg lui aurait été inspiré par sa propre poupée ménestrel — elle-même le fruit d’une tradition, populaire aux USA à cette époque, qui consistait pour des artistes blancs à monter sur scène grimés en noir.
Le personnage de Golliwogg créé par Mme Upton est très laid. A la place de ses mains et de ses pieds étaient souvent dessinées des pattes. Son visage noir charbon présente des lèvres épaisses, de gros yeux et une chevelure longue et indisciplinée : une sorte de croisement entre un nain ménestrel et un animal, à l’aspect terrifiant.
Le livre, écrit par Bertha, la mère de Florence Upton et illustré par cette dernière, a beaucoup de succès en Angleterre. Lors de sa réimpression, le titre est modifié en The Adventures of Two Dolls and a Golliwogg pour faire apparaître le nom du personnage plébiscité par les enfants.
Douze autres histoires font suite à ce premier volume ; toutes racontent les aventures des deux poupées et du Golliwogg à travers le monde. Alors que le Golliwogg était un personnage secondaire dans le premier opus, seulement présent dans un tiers des illustrations, il devient le personnage principal dans les livres suivants. D’après le Victorian & Albert Museum of Childhood, le succès de la série est tel à l’époque qu’il pourrait être comparé à celui de la saga Harry Potter aujourd’hui.
Le Golliwog, omniprésent dans la culture populaire
Florence Kate Upton n’a pas protégé son personnage ; celui-ci tombe donc tout de suite dans le domaine public. Son orthographe est simplifiée en Golliwog et rapidement, il devient un personnage récurrent dans toute la littérature pour enfants. Malgré sa laideur, le Golliwog reste dans tous les cas un personnage positif, parfois un peu stupide mais courageux et gentil.
Les parents confectionnent des poupées Golliwog pour leurs enfants, à partir de chutes de tissus ou de vieux vêtements. Les fabricants de jouets se sont pas longs à y voir une opportunité et commencent à produire ces poupées en masse dès 1910.
Durant la première partie du XXème siècle, la poupée Golliwog, parfois rebaptisée Golly, devient un jouet très populaire en Angleterre et en Australie. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, sa popularité avoisine celle de l’ours en peluche, le Teddy Bear. Pratiquement tous les enfants de ces deux pays possèdent alors l’une de ces poupées de chiffon, noires aux cheveux crépus et au large sourire, vêtues d’habits colorés.
Le personnage de Golliwog déborde l’univers enfantin et envahit l’espace public, des cartes postales aux papiers peints. Plusieurs marques l’utilisent même à des fins publicitaires ; c’est le cas du fabricant de confitures britannique James Robertson & Sons, qui en fait sa mascotte.
En Australie, c’est la marque Arnott’s biscuits qui le reprend dans les années 60 et créée les Golliwog biscuits, des petits gâteaux au chocolat moulés à la forme du célèbre personnage.
Même Claude Debussy s’en est inspiré pour le titre de sa pièce pour piano Golliwog’s Cake Walk ; il aurait découvert le personnage dans un des livres de sa fille.
Une insulte raciste
Dans les années 60, alors que les mouvements de défense des droits civiques se développent aux USA, des voix s’élèvent au Royaume Uni contre les Golliwog, les qualifiant de caricatures racistes. Ce d’autant plus que dans les années 50, le personnage du Golliwog a évolué dans la littérature pour enfants, notamment sous la plume d’Enid Blyton : de gentil, courageux et positif, il est devenu grossier, méchant et fourbe. L’insulte raciste « wog » apparaît alors, directement dérivée de Golliwog.
La polémique enfle autour de ce personnage. En 2007, on enregistre les premières plaintes officielles pour le retrait définitif de ces poupées en Angleterre.
En 2009, en plein Australian Open, la fille de Margaret Thatcher, alors journaliste à la BBC déclare dans une conversation informelle que le joueur de tennis Jo-Wilfried Tsonga ressemble à un Golliwog. Ses propos sont qualifiés d’inacceptable par la BBC et déclenchent un tollé en France ; elle est contrainte de s’excuser platement sous peine de perdre son travail.
En Australie, les populations aborigènes sont particulièrement sensibles à la connotation raciste de ces poupées. D’après le Dr Conor, spécialiste de l’histoire coloniale, c’est dès le « Day of Mourning », le 26 janvier 1938, que les Aborigènes se sont sentis dénigrés par ce personnage ; un sentiment qui a perduré jusque dans les années 60 et a nourri le mouvement de résistance en Australie.
Les poupées Golliwog au coeur de la polémique
Entre les années 1980 et 2000, plusieurs marques l’utilisant à des fins publicitaires cèdent à la pression de l’opinion publique et le remplacent par des figures moins controversées. C’est le cas de la marque Arnott’s qui renomme ses célèbres biscuits « Scallywag » au milieu des années 1990… tout en conservant la forme originale du produit. La fabrication de ces biscuits est finalement interrompue quelques années plus tard.
Le personnage de Golliwog disparaît ainsi petit à petit des publicités. Mais ce n’est pas tout à fait le cas des poupées éponymes…
En décembre 2013, des clients se plaignent de voir des poupées Golliwog exposées en vitrine d’une confiserie de Toowoomba. En 2016, dans cette même ville, une pharmacie Terry White utilise neuf poupées Golliwog dans sa vitrine sous un écriteau enjoignant les clients à « essayer un Noël blanc » (en référence au nom, ‘White’, de la pharmacie). L’activiste aborigène, auteur et réalisateur de film Stephen Hagan s’empare de cette affaire et déclare que Toowoomba est « la ville la plus raciste d’Australie ». Une polémique nationale s’ensuit, et la chaîne de pharmacies décide d’interdire l’usage des poupées Golliwog.
« Honte d’être Australienne »
Celles-ci continuent pourtant d’être vendues dans des magasins de souvenirs, ce qui déclenche régulièrement des polémiques. Ainsi, en 2016, la boutique de l’hôpital public de Canberra a été dénoncé par un tweet et a dû retirer ses poupées de la vente.
Un peu plus tôt ce mois-ci, une touriste australienne originaire de Melbourne s’est émue de trouver des Gollies dans un magasin de souvenirs du nord du Queensland. Lorsqu’elle en a avisé le directeur du commerce, celui-ci les a simplement retirées de la vitrine… mais pas de la vente. « J’ai honte d’être Australienne », a réagi la touriste offensée.
Henrietta Marrie, militante pour les droits aborigènes, prône le retrait de ces poupées de la vente. Elle explique que si cette histoire de jouet pour enfant peut paraître anecdotique, il est emblématique d’un problème culturel bien plus important. « L’aspect, la connotation et le nom de ces poupées renvoient une image négative de ce que nous sommes. ‘Golliwog’ était une insulte raciste et cela reste offensant. »
Un héritage culturel ?
Nombreux sont les baby-boomers qui restent néanmoins nostalgiques de ce personnage de leur enfance et n’y voient aucune malice. Désireux de transmettre ce qu’ils considèrent comme un « héritage culturel », ils souhaitent offrir des poupées Golly à leurs petits-enfants.
Elka, fabricant australien de ces poupées de chiffon, en expédie d’ailleurs des centaines de milliers chaque année à travers le pays.
Pour Jan Johnco, responsable des ventes, seule une minorité voit ce jouet comme un symbole raciste. « Dans mon enfance, et encore plus lorsque ma mère était enfant, tout le monde avait une Golly et l’adorait. Ces poupées ont un passé respectable, je ne crois pas qu’il soit juste de leur attribuer des connotations racistes alors qu’elles n’ont rien à voir avec ça. »
Même discours du côté du revendeur en ligne « All things Golliwog », qui déclare sur son site qu’il s’agit d’un simple jouet adoré par les enfants depuis plus d’un siècle, et non pas d’un symbole raciste.
Pour Luke Pearson, fondateur de IndigenousX, plus personne aujourd’hui ne peut ignorer la connotation raciste de ces poupées dès leur création — même si de nombreux enfants ont grandi et joué avec sans en avoir conscience. Ce n’est pas parce qu’elles sont maintenant vendues dans une tout autre époque qu’elles ont perdu leur signification historique. « En Australie, les gens ont bizarrement tendance à penser que parce qu’on les a retirées pendant 10 ou 20 ans des rayons, alors elles n’ont plus de connotation raciste. Mais non, il s’agit toujours des mêmes Golliwog ».
Karine Arguillère
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