En 1902, l’Australie devint l’un des premiers pays au monde à donner le droit de vote aux femmes. Une formidable victoire pour les suffragettes australiennes, qui fut pourtant loin de tout résoudre.
C’est un immanquable dans les top des anecdotes sur le pays des kangourous : le 21 juin 1902, le Commonwealth Franchise Act fit de l’Australie la première nation au monde à accorder à la fois le droit de vote et le droit d’éligibilité aux femmes à l’échelle nationale. Dès 1787, la Constitution des Etats-Unis avaient bien accordé le droit aux femmes d’être élues, mais pas celui d’élire ; inversement, en 1893, la Nouvelle-Zélande avait donné le droit de vote aux femmes sans qu’elles puissent être élues.
L’anecdote est connue, et amène facilement à concevoir l’Australie comme une nation pionnière en matière de droits civiques des femmes – surtout en comparaison d’un pays comme la France où les femmes durent attendre 1944 pour devenir électrices et éligibles. Toutefois, au-delà du symbole, la loi de 1902 mérite qu’on s’y attarde un peu plus, au moins pour trois raisons.
1. Car la loi de 1902 ne concerna pas toutes les élections, ni toutes les femmes.
Avec le Commonwealth Franchise Act, le Parlement fédéral d’Australie autorisa en 1902 les femmes de plus de 21 ans à voter et à se présenter aux élections fédérales. Autrement dit, la mesure ne concerna que les élections au Sénat et à la Chambre des représentants, et ne s’appliqua pas au sein de chaque état australien, laissés libres d’autoriser ou non les femmes à voter et se présenter lors des élections locales.
En Australie-Méridionale, le droit de vote et d’éligibilité fut ainsi accordé aux femmes dès 1894 ; en 1899, les femmes furent également autorisées à voter en Australie-Occidentale. A l’inverse, ce ne fut qu’en 1902 que la Nouvelle-Galles du Sud légalisa le droit de vote des femmes, suivie l’année suivante par la Tasmanie, puis par le Queensland en 1905 et le Victoria en 1908.
Par ailleurs, à l’échelle fédérale comme étatique, le droit de vote ne concerna pas toutes les femmes. Le Commonwealth Franchise Act de 1902 interdit en effet à toutes personnes aborigènes d’Australie, hommes comme femmes, de voter aux élections fédérales. Il fallut attendre 1962 et le Commonwealth Electoral Act pour que l’interdiction soit levée, et ce ne fut qu’en 1967 que les Aborigènes purent enfin participer aux élections locales dans chaque état d’Australie.
2. Car le droit de vote des femmes ne fut pas gagné d’avance.
Le Commonwealth Franchise Act ne se fit pas de lui-même : l’acquisition par les femmes du droit d’élire et d’être éligible est indissociable du combat mené par les associations de suffragettes australiennes. A la fin des années 1850, inspirés et/ou contraints par le vent de réforme et de démocratie soufflant depuis l’Europe et les Etats-Unis vers l’Australie (voir notamment la Révolte d’Eureka, notre article ici), trois des quatre états australiens – Australie-Méridionale, Victoria et Nouvelle-Galles du Sud – avaient accordé le droit de vote universel à tous les sujets britanniques masculins de plus de 21 ans (la Tasmanie le fit en 1896). Pas question toutefois d’étendre ce droit aux femmes, considérées certes comme sujets de la couronne britanniques, mais inaptes à voter et à élire leurs représentants.
Dans les années 1880, des groupes de femmes commencèrent à se former à travers l’Australie pour réclamer la réelle universalisation du droit de vote. En 1884, Henrietta Dugdale créa la Victorian Women’s Suffrage Society, première association australienne de suffragettes bientôt rejointe par des sociétés similaires dans tous les états australiens. Unifiées en 1889 dans l’Australian Women’s Suffrage Society, ces associations avaient recours à de multiples moyens pour faire entendre leurs revendications : pétitions, débats, meetings, affiches, prospectus, et aussi représentation politique grâce à des hommes acquis à leur cause.
En 1902, le vote du Commonwealth Franchise Act vint satisfaire la principale demande des suffragettes ; dans les années qui suivirent, la plupart des sociétés se dissolurent rapidement. Néanmoins, comme l’écrit l’historien James Keating dans The Conversation, si cette période d’affranchissement des femmes est aujourd’hui célébrée comme partie intégrante de la mythologie démocratique de l’Australie, le droit de vote n’était pas la seule revendication des suffragettes : le pacifisme, les égalités de salaires, ou encore la protection par l’Etat des femmes et de leurs enfants sont aujourd’hui des concepts loin d’être réalisés.
3. Car être éligible ne signifie pas être élu.
L’Australie eut beau être le premier pays au monde à accorder le droit de vote et de se présenter, elle fut aussi, parmi toutes les démocraties occidentales, celle qui mit le plus longtemps à voir une femme être effectivement élue dans une élection nationale une fois l’éligibilité des femmes légalisée. Ce ne fut pourtant pas faute d’avoir essayé : dès 1903, quatre femmes, Mary Moore-Bentley, Nellie Martel, Vida Goldstein et Selina Anderson, se présentèrent aux élections fédérales ; aucune ne réussit à se faire soutenir par un parti. Goldstein retenta sa chance en 1910, 1913, 1914 et 1917, sans aucun succès. Il fallut attendre 1917 pour que deux femmes, Eva Seery et Henrietta Greville, se présentent enfin aux élections sous les couleurs d’un parti politique, le Labor, mais toujours sans succès.
Finalement, 41 ans après que le Commonwealth Franchise Act soit voté, Dame Enid Lyons fut finalement élue au Parlement australien en 1943. En Finlande, deuxième pays après l’Australie à légaliser le droit de vote et d’éligibilité des femmes en 1906, une femme fut élue au Parlement l’année suivante, en 1907.
Aujourd’hui, suite aux élections fédérales de 2016, il y a actuellement 73 femmes élues au Parlement australiens, soit 32% des parlementaires. Dans le classement mondial établi par Inter-Parliamentary Union sur la base des taux de représentation parlementaire des femmes dans chaque pays, l’Australie ne se classe ainsi que 49ème, loin derrière le Rwanda et la Bolivie (respectivement 1er et 2ème, seuls pays dont les chambres basses comptent plus d’élues que d’élus), ou la France (14ème depuis les législatives de juin 2017).
Sources : aph.gov.au ; aph.gov.au ; ipu.org ; theconversation.com/ Photo : nla.gov.au
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