On le voit flotter aux côtés du drapeau national sur certains bâtiments officiels et il est omniprésent sur les articles d’art indigène : le drapeau aborigène fait désormais partie du paysage australien. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Les Aborigènes avaient beau peupler le continent australien depuis des milliénaires lorsque les premiers colons britanniques ont accosté, « leur » drapeau n’a que quelques dizaines d’années d’existence — et sa reconnaissance officielle est encore plus récente.
La création d’un artiste aborigène
Le drapeau aborigène est la création de l’artiste aborigène Harold Thomas. Né à Alice Springs de deux parents aborigènes, Luritja pour sa mère et Wombai pour son père, Harold Thomas est envoyé à Adelaïde dans un établissement anglican pour ses études secondaires. En 1965, il obtient une bourse pour entrer à la South Australian School of Art ; cinq ans plus tard, Harold Thomas est le premier Aborigène diplômé d’une école d’art en Australie. Aujourd’hui encore, c’est un artiste reconnu dont les œuvres sont exposées dans différentes galeries d’art à travers le pays.
C’est en 1971, alors qu’il n’a que 25 ans, que lui vient l’idée de créer un drapeau représentant tous les Aborigènes d’Australie. A cette époque, le mouvement en faveur de la défense des droits des Aborigènes prend de l’ampleur. Mais faute de signe de ralliement, les Aborigènes sont souvent peu visibles et dispersés dans les manifestations : c’est ce constat qui conduit Harold Thomas à imaginer un sigle accrocheur pour orner bannières et affiches.
Une symbolique forte
Un cercle jaune à cheval sur deux bandes horizontales, noire pour la partie supérieure et rouge pour la partie inférieure : le design est simple mais a une forte portée symbolique.
Harold Thomas en explique ainsi la signification : le noir représente la couleur de peau des premiers habitants du territoire Australien ; le rouge symbolise la terre du désert central, l’ocre rouge utilisé par les Aborigènes lors des cérémonies et plus largement la relation spirituelle de ces peuples avec leur terre ; enfin, le jaune représente le soleil, qui donne la vie et protège.
Le drapeau aborigène créé par Harold Thomas fait sa première apparition en 1971 sur Victoria Square, à Adelaïde, à l’occasion du National Aboriginal Day où il devient un symbole de lutte pour les droits à la terre. Mais c’est en 1972, lorsqu’il est hissé au-dessus des tentes de l’Ambassade aborigène (l’Aboriginal Tent Embassy), devant l’ancien Parlement à Canberra, que tous les Aborigènes l’adoptent comme symbole d’unité et d’identité de leurs peuples.
Vers une reconnaissance officielle
Le 26 janvier 1988, lors des cérémonies du bicentenaire de la fondation de la colonie de Sydney, plus de 40 000 Aborigènes défilent dans la ville en signe de protestation silencieuse contre le vol de leurs terres et leurs conditions de vie misérables. La journaliste aborigène Brenda Croft, qui couvre l’événement, écrit alors ceci : « Les couleurs rouge, noire et jaune étaient partout ; et cela m’a frappé : le drapeau aborigène était vraiment le symbole d’unification de tous les indigènes d’Australie, qu’ils viennent des centres urbains ou de communautés plus isolées. »
En 1994, l’athlète Cathy Freeman suscite une vive polémique : lors des Jeux du Commonwealth, après sa victoire sur 200m, elle effectue un tour d’honneur avec les deux drapeaux, national et aborigène — malgré l’interdiction qui lui avait été signifiée par le président de la délégation australienne, Arthur Tunstall. Ce dernier a des mots très durs à son encontre. « Je ne savais même pas à quoi ressemblait ce fichu drapeau aborigène avant ça » avoue-t-il même en conférence de presse.
Cela n’empêche pas l’athlète de porter de nouveau les deux drapeaux après sa victoire sur 400m. « C’était ma course et personne n’allait m‘empêcher de dire combien j’étais fière d’être Aborigène. Au fond de moi, j’avais absorbé toute la douleur et les souffrances de mon peuple et les avais transformées en force, » déclarera-t-elle des années plus tard.
Devant la popularité croissante et l’omniprésence de ce nouveau drapeau, le gouvernement australien décide de lui donner une reconnaissance légale. En 1995, après une rapide consultation de la population, il le déclare « Drapeau de l’Australie » sous la loi du drapeau – le Flags Act de 1953, qui avait entériné le drapeau national quelque 40 ans plus tôt. La même année est adopté le drapeau des peuples autochtones des îles du détroit de Torres, dont l’origine ethnique diffère de celle des Aborigènes.
La consécration aux JO de Sydney
En amont des Jeux Olympiques de Sydney de 2000, le National Indigenous Advisory Committee demande au comité d’organisation à ce que les deux drapeaux flottent côte à côte sur les lieux de compétition. Il obtient gain de cause : le monde entier découvre alors le drapeau aborigène.
Tout le monde se souvient encore de ce moment historique où Cathy Freeman remporte le titre olympique sur 400m — avec aux pieds des chaussures noire, jaune et rouge. Devant une foule en liesse, elle effectue un tour de stade en portant fièrement les deux drapeaux. Des millions de téléspectateurs découvrent à la fois cette athlète exceptionnelle et le symbole de son peuple. 6 ans après les Jeux du Commonwealth, où elle avait essuyé les pires critiques, elle acquiert instantanément une immense popularité en Australie et dans le monde. A star is born…et grâce à elle, le drapeau aborigène devient l’un des symboles de l’Australie.
Un sujet de polémique
Si le drapeau aborigène flotte désormais sur certains bâtiments publics – La Chambre de Commerce et d’Industrie de Melbourne, la mairie d’Adelaïde ou encore la mairie de Bendigo — c’est loin d’être le cas partout. Il aura notamment fallu attendre 2014 pour qu’il apparaisse pour la première fois sur l’emblématique Harbour Bridge de Sydney… à titre temporaire. Le 26 janvier 2017, Cheree Toka, une jeune femme aborigène de 26 ans, a initié un mouvement pour demander à ce que le drapeau aborigène flotte en permanence sur l’un des monuments les plus photographiés d’Australie. Sa pétition a déjà recueilli plus de 80 000 signatures.
Karine Arguillère
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