Article original écrit par James Blackwell, chercheur en diplomatie autochtone à la Australian National University et membre du groupe aborigène Wiradjuri.
Qui dit nouvelle année, dit nouveau « Rapport pour réduire l’écart » entre les Aborigènes et le reste de la population australienne. Cette fois, la situation est quelque peu différente. En effet, le rapport de 2024 est le premier depuis que les Australiens ont bruyamment refusé la proposition de modification de la Constitution pour accorder aux Aborigènes une voix spécifique et les reconnaitre comme les premiers habitants de l’île.
Ce projet nous aurait accordé le droit de prendre part aux décisions qui nous affectent, afin d’avoir davantage le contrôle sur les affaires nous concernant et sur nos communautés. Mais il n’a pas fait le poids aux bureaux de vote. Toutes les juridictions, hormis l’ACT, le territoire de la capitale australienne, ont voté « non » à la modification de la Constitution, assurant la longévité et la stabilité du texte et rendant très générale notre contribution aux affaires qui nous concernent.
Dans cette optique, il n’est pas surprenant que le « Rapport pour réduire l’écart » de cette année montre que seulement 4 objectifs sur les 19 prévus sont en voie d’être atteints. Oui, 4 sur 19. C’est un peu plus d’1 sur 5. Et ce n’est pas tout : quatre mesures vont de mal en pis. Le gouvernement ne cesse de décevoir nos communautés. Et dire que nous avions tous en main les clés pour arranger les choses.
Le gouvernement a annoncé mettre en place de nouvelles mesures, y compris la création d’une Commission nationale pour les enfants et les jeunes des communautés aborigènes et insulaires du détroit de Torres, une initiative qui n’a que trop tardé. Le gouvernement s’est également engagé à construire un réseau de trains dans les endroits reculés et à améliorer la connexion wifi dans une vingtaine de communautés reculées. Il s’agit de petites mesures, mais qui ne répondent pas à la nature structurelle de notre impuissance.
Même si le référendum a échoué, il y a un besoin urgent de changement dans nos communautés. Alors que représente concrètement ce rapport pour la population ? Comment le gouvernement peut-il interagir avec les communautés autochtones et améliorer leur situation ?
Que va-t-on faire maintenant ? Premièrement, ne pas se poser cette question
De nombreuses personnes, depuis l’échec du référendum, se demandent « Que va-t-on faire maintenant ? », comme s’il existait une longue liste de plans B attendant patiemment de résoudre sans doute le plus grand problème social de ce pays : les inégalités envers les peuples autochtones. Cette question a été posée en long et en large par les experts et chroniqueurs tentant de faire bonne figure après une période de référendum durant laquelle ils ont lamentablement échoué à éduquer la population sur les questions politiques concernant les Aborigènes.
Avant de nous demander ce que nous avons à faire, nous devons nous demander ce qui a déjà été fait jusqu’à présent et si les efforts déployés pour réduire l’écart durant les trois dernières années (puisque l’accord a été remanié par le gouvernement Morrison) ont porté leurs fruits.
La commission de productivité a clairement exposé dans un rapport « cinglant » que les actions mises en place dans ce pays ne fonctionnent pas et ne fonctionneraient sans doute jamais sans un changement fondamental dans l’approche du gouvernement.
Selon la commission, le progrès généré par l’application des réformes prioritaires du rapport pour réduire l’écart est « faible et reflète des ajustements ou des actions appartenant à une approche privilégiant le statu quo ». Sa découverte fondamentale était « l’absence d’approche systématique permettant de déterminer quelles stratégies doivent être mises en place afin de contourner l’approche de statu quo adoptée par le gouvernement ».
Le point de vue de la commission sur ce qui n’a pas fonctionné durant les trois dernières années, et par ailleurs durant les trois derniers siècles de politiques envers les peuples autochtones dans ce pays, est également le notre. Il y a une raison si nos communautés ont largement voté « oui » au référendum.
Réduire l’écart en 2024
La seule chose à comprendre quant à l’écart entre les aborigènes et les non-aborigènes est qu’il n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas un phénomène naturel. Comme l’a conclu la commission de productivité, « c’est une conséquence directe de la façon dont les gouvernements ont fait usage de leur pouvoir depuis des décennies ».
Il y a tout de même du bon dans les annonces de cette année : 707 millions de dollars seront investis dans la création de jobs dans nos communautés sur les trois prochaines années, le très pernicieux programme de développement des communautés sera remplacé et le Community Jobs and Business Fund débloquera 185 millions de dollars pour les entreprises locales gérées par les communautés.
En outre, le National Skills Agreement participe à réduire l’écart en soutenant financièrement des organismes de formation gérés par les communautés. Il existe également des fonds destinés à développer les programmes de ranger pour notre jeunesse.
Ces fonds sont bons à prendre, mais ce dont nous avons réellement besoin est la révision complète de la méthode du gouvernement.
Celeste Liddle, membre de la Coalition of Peaks, une organisation qui représente les communautés autochtones, a remarqué à juste titre que « l’accord national pour réduire l’écart est incomplet et que les gouvernements ont été trop lents pour honorer leurs engagements et leurs promesses », un point de vue également partagé par la commission de productivité.
Comment surpasser ces obstacles ? Le gouvernement a trop longtemps ignoré les opinions de nos communautés sur les problèmes qui nous affectent. Les questions de notre autodétermination ou de la gestion de notre agenda ne sont pas abordées autour de la table. L’obtention d’une voix spéciale aurait été une solution, mais la coalition libérale/nationale a décidé qu’elle n’était pas prête.
Alors, que va-t-on faire maintenant ? Le gouvernement doit faire des peuples et communautés autochtones une priorité dans ses prises de décisions. Cela signifie opérer un changement considérable, développer nos capacités et travailler ensemble, et pas seulement nous « consulter » avec peu d’enthousiasme sur des politiques pour lesquelles le gouvernement souhaite uniquement recevoir notre feu vert. Cela signifie la mise en place de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et tout ce qu’elle implique. Ce ne sont que des points de départ, mais qui nous mèneront quelque part.
Par ailleurs, la prochaine fois que vous tombez sur un des nombreux membres du parlement ou ministres fantômes qui ont fait campagne pour le « non » au référendum, demandez-leur quel est leur plan pour réduire l’écart et donner du pouvoir aux peuples et communautés autochtones.
James Blackwell, Research Fellow (Indigenous Diplomacy), Australian National University
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.
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