C’est au Heide Museum of Modern Art, un mélange unique d’Art, d’architecture et de paysage établit en 1981, que nous nous rendons pour découvrir l’exposition dédiée à Mirka Mora. L’artiste franco-australienne décédée l’an passé était une figure emblématique de la scène artistique melbournienne, connue pour ses œuvres aux airs enfantins, empreintes de joie de vivre. L’exposition, permise grâce à la mobilisation des amateurs d’art de la ville, nous immerge dans son univers extravagant et joyeux. On vous y emmène…
C’est après une heure de transport en commun – 20 mins en voiture – que nous arrivons finalement au Heide Museum of Art, situé en plein cœur d’un énorme parc, garni de sculptures ici et là. L’atmosphère est sereine et relaxante, bien loin de l’effusion melbournienne. Trois bâtiments principaux surplombent le parc : Heide I, Heide II et Heide III. Deux d’entre eux ont été habités par les fondateurs du musée, John et Sunday Reed, mécènes au centre de l’art d’avant garde, notamment dans les années 1940. Pendant des années, des artistes, intellectuels, poètes et musiciens de jazz sont venus se réfugier chez eux pour se ressourcer ou développer leur art. Parmi eux, Sidney Nolan, Albert Tucker, Joy Hester et bien sûr…. Mirka Mora.
Il nous faut monter en haut de la colline pour découvrir l’exposition gratuite dédiée à cette amie du couple, dans Heide I, première maison habitée par les Reed. On passe devant un ancien atelier, un potager toujours entretenu, pour finalement atteindre l’entrée d’une belle maison disposant d’une baie vitrée ancienne. On a l’impression de faire le voyage comme Mirka, qui venait tous les week-end dans les années 50, tant le lieu semble encore habité – on pourrait presque la voir discuter philosophie et art avec le couple !
Les marches en bois qui mènent à l’intérieur nous invitent à entrer et on retrouve avec étonnement un intérieur aménagé comme à l’époque : la salle à manger semble avoir été quittée une heure plus tôt, la salle de bain et la bibliothèque sont intactes. Nous choisissons de commencer par la salle à manger, qui regroupe des dessins en noir et blanc réalisés par Mirka pour ses hôtes : Sunday (Faces Surrounded by Many Faces) datant de 1959 montre la mécène avec un exemplaire de Musée de Poche à la main, entourée de petites figures à l’allure bienveillante, représentant tous ceux qui l’aimait et l’admirait. La seconde pièce à gauche, dans l’ancienne chambre à coucher du couple, recrée l’atmosphère de l’atelier de Mirka. Certains de ses meubles ont été récupérés, sur lesquels trônent ses pinceaux et outils de travail. Au centre, on découvre une correspondance entre Sunday et Mirka, qui discutent parfois en Français d’art, de littérature ou de philosophie – un poème de Rimbaud est d’ailleurs recopié entièrement dans l’une des lettres. Au fil de nos déambulations se dévoilent des œuvres colorées aux personnages mi-abstraits mi-figuratifs de Mirka comptant serpents, anges, figures mythologiques ou imaginaires. Les photos d’elles affichées dans le couloir montrent une femme exubérante et pleine de joie de vivre… qui était-elle donc vraiment ?
Une jeunesse sous l’occupation nazie suivie d’une expatriation en Australie
Née à Paris en 1928 de parents juifs, elle prend à l’époque des cours de théâtre. En 1942, elle est arrêtée avec ses deux sœurs et sa mère pendant le Rafle du Vel’d’Hiv’ puis transférée au camps de Pithiviers. La famille sera sauvée par son père qui, réquisitionné pour travailler dans une usine d’uniformes allemands, obtient l’aide de résistants pour récupérer de faux papiers. Elle trouvera ensuite refuge dans l’Yonne grâce à un couple de Justes.
Après la guerre, elle rencontre un ancien résistant, Gunter Morawski, qui deviendra Georges Mora, et avec lequel elle se marie en 1947. Ils ont un enfant deux ans plus tard, et décident de s’expatrier à Melbourne en 1951, ville qui intrigue Mirka depuis la lecture de Scènes de la vie de bohème de Henry Murger. S’ouvre alors le chapitre d’une vie totalement différente : Mirka et Georges deviennent rapidement des figures bohèmes du Melbourne artistique, et organisent de nombreuses soirées en compagnie d’icônes telles que John Perceval, Sidney Nolan et des Reed dans leur appartement du 9 Collins Street. Ils ouvrent trois cafés, d’abord le Mirka Café à Exhibition Street, puis le Balzac à East Melbourne et le Tolarno à St Kilda. Tandis que George se lance dans la vente d’art, Mirka développe le sien et expose dans les galeries. Elle est vite repérée et sollicitée pour décorer la Flinders Street Station avec des mosaïques ou encore pour peindre un tram, apportant couleur et dynamisme à sa ville d’adoption. Le couple a deux autres enfants et une vie mouvementée, et se séparera finalement en 1970.
Rendre l’invisible visible
Tout au long de son existence, Mirka travaille sur des supports qui se nourrissent les uns les autres : si elle est connue pour ses peintures un peu à la Marc Chagall, elle a pourtant aussi réalisé des poteries, de la couture et des poupées, qu’elle considérait comme ses « peintures en 3D« .
Pour Harding, ces poupées représentent d’ailleurs l’enfance perdue de l’artiste. Avec un tel passé, l’aspect joyeux de ses œuvres peut étonner : mais pour peindre, Mirka avait besoin d’être heureuse. La peinture était pour elle une euphorie qui guérissait de la peine, elle avait un effet thérapeutique. Son art semble être à l’image de sa personnalité : inimitable, complexe. Très fournies, les peintures mettent en scène de multiples personnages mi-figuratifs mi-abstraits souvent collés les uns aux autres, qui sont tantôt surréalistes, tantôt tirés de la mythologie, de la littérature, de la religion, ou encore de ses rêves : on retrouve de nombreux serpents, d’anges et de femmes notamment. Tout ce qui a trait au spirituel, à l’imagination, est mis sur papier, rendu visible pour laisser libre court à l’interprétation du visiteur. Certains ont par exemple considérés les anges comme étant les âmes des enfants perdus à Auschwitz.
Un art ambiguë qu’elle cultivait volontairement, comme elle l’explique pour la création de ses poupées : « Jouer avec une poupée, c’est très théâtral; tout comme le théâtre cesserait de l’être si il devenait une illusion totale, une poupée cesse d’en être une lorsqu’elle devient si réaliste que vous la confondez presque avec un enfant« .
Nous repartons du musée subjugués par cette exposition qui retrace non seulement le parcours d’une artiste haute en couleurs mais aussi celui de la scène artistique melbournienne dans les années 1950.
Elise Mesnard
Légende photos :
1) John et Sunday Reed en 1964
2) Sunday (Faces Surrounded by Many Faces), par Mirka Mora, 1959
3) Mirka et sa famille. De gauche à droite : Philippe, Mirka, Tiriez, William et Georges
4) Mural sans titre, Mirka Mora, 1966
5) Mirka et certaines de ses poupées en 1985
« Mirka For Melbourne » au Heide Museum of Modern Art, jusqu’au 25 août – 7 Templestowe Rd, Bulleen VIC 3105 – (03) 9850 1500 – Entrée Gratuite – Site Internet : ICI
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