« Vache folle », poulet à la dioxine, lasagnes à la viande de cheval…en 2017, le fibronil dans les œufs est le scandale de trop pour les Français, qui perdent confiance en l’industrie de l’agroalimentaire. C’est à ce moment que Julie Chapon, François et Benoît Martin décident de créer Yuka, une application intuitive, qui permet au consommateur de connaître l’impact des produits alimentaires sur sa santé simplement en les scannant. Le succès est énorme. Si les entrepreneurs veulent aider les Français à mieux manger, leur objectif à terme est de pousser les industries de l’agroalimentaire à proposer des produits plus sains. Bingo ! Trois ans plus tard, de nombreuses marques ont modifié leurs produits, à tel point que Yuka analyse désormais les produits cosmétiques en France. L’application est présente dans 10 pays – dont désormais l’Australie – et reste totalement indépendante grâce à la version premium, à un calendrier des fruits et légumes de saison et à un programme de nutrition. Julie a accepté de nous en parler.

Comment Yuka est-elle née ?
L’idée est venue de Benoit en 2016. Il avait trois enfants et se posait la question de ce qu’il leur donnait à manger. En regardant les étiquettes des produits alimentaires, il s’est rapidement aperçu qu’elles étaient très compliquées à décrypter. Il s’est dit que ce serait super d’avoir un outil qui lui dise si un produit est bon ou pas pour sa santé. Benoît en a parlé à son frère François, qui était l’un de mes amis. L’idée m’a tout de suite parlé aussi car je me sentais souvent démunie au moment de faire mes courses et je finissais par me fier au packaging tout en sachant que je me faisais probablement avoir. En en parlant autour de nous, on s’est rendus compte que c’était un besoin partagé par des milliers de consommateurs.
Ce projet est aussi arrivé à un moment où nous ressentions un gros manque de sens dans notre vie professionnelle. François avait déjà son entreprise de développeur mais Benoit et moi travaillions sur des grands comptes avec un CDI. J’étais dans un cabinet de conseil, j’accompagnais de grosses entreprises sur des projets qui me semblaient totalement aberrants. Ce manque de sens est devenu très pesant. Ce qui nous a motivés, c’est qu’on pouvait vraiment aider les gens, avoir un impact sur la société.
Benoît et François se sont alors occupés du développement de l’application. Je me consacrais de mon côté à la partie communication et aux retours utilisateurs, qui sont quelque chose de central à Yuka, nous ne faisons qu’en fonction de ça. On a aussi travaillé avec un nutritionniste. Nous avons décidé de nous baser sur trois critères pour la notation des produits alimentaires : la qualité nutritionnelle représente 60% de la note, la présence d’additif en représente 30 et la dimension organique 10.
Comment expliquer le succès de l’application ?
Je pense que c’est une combinaison de plusieurs choses. La première, c’est qu’on est arrivés au bon moment, celui où les consommateurs avaient vraiment atteint le pic de défiance envers l’industrie agroalimentaire. Il y a eu pleins de scandales ces dernières années comme la viande de cheval par exemple, qui ont alimenté cette baisse de confiance. Yuka n’aurait peut-être pas connu le même succès si nous l’avions créée deux ans plus tôt.
De plus, nous n’avons jamais présenté Yuka comme une application permettant de scanner des produits mais comme un projet global de société qui a non seulement pour objectif de proposer de meilleurs choix mais a aussi un projet plus large, celui de conduire les industriels à faire évoluer leur pratique. C’est cet aspect qui a aussi beaucoup parlé aux gens : ils peuvent non seulement agir pour leur santé mais aussi pour faire bouger les industriels. Une façon de reprendre le pouvoir en tant que citoyen.
Enfin, le fait de scanner peut avoir un côté très ludique. Beaucoup de parents se sont d’ailleurs mis à le faire avec leurs enfants pour les sensibiliser.
Y-a-t-il eu des changements au niveau sociétal depuis le lancement de Yuka ?
Beaucoup. Aujourd’hui on a quasiment 20 millions d’utilisateurs; nous recevons de ce fait beaucoup de messages – 400 à 500 par jour – ce qui nous permet d’avoir de nombreux retours. Nous avons fait une grande mesure d’impact auprès des consommateurs il y a un peu plus d’un an pour voir comment Yuka avait changé leur façon d’acheter. Les chiffres sont assez forts : 92% d’entre eux déclarent par exemple que quand un produit est noté rouge, ils le reposent en rayon. Des industriels ont aussi témoigné de la façon dont Yuka les a poussés à changer, comment ils ont fait évoluer leurs produits.
Avez-vous toutefois reçu des commentaires négatifs de la part des entreprises de l’agroalimentaire ?
Non, car au début on était tout petits donc pas tellement effrayants. Nous sommes devenus connus assez rapidement, donc c’était ensuite assez délicat pour eux de s’opposer à ce type de démarche. Aujourd’hui les relations qu’on a avec l’industrie de l’agroalimentaire sont très constructives, ils sont tous dans une démarche de faire évoluer les articles qu’ils proposent. Ils nous sollicitent d’ailleurs souvent en amont de la conception ou de la reformulation d’une gamme de produits.
Comment se déroule le lancement dans un nouveau pays ?
Nous avons déjà une base avec les produits vendus partout dans le monde. Pour les produits locaux, nous engageons une vingtaine de personnes installées dans le pays en question pour qu’elles les ajoutent sur Yuka. L’application est collaborative, les utilisateurs peuvent rajouter les informations de produits qui ne sont pas dans notre base de données. Dans certains pays, il existe des bases open-source, comme aux Etats-Unis où elle contenait 300 000 produits.
Comment voyez-vous l’avenir de Yuka ?
Nous avons deux grands projets. Le premier, c’est de continuer l’internationalisation. Aujourd’hui, nous sommes présents dans dix pays. Nous avons prévu de nous lancer en Italie, au Portugal et Allemagne. Nous souhaitons aussi continuer à nous développer dans les pays dans lesquels nous nous sommes récemment implantés – le Canada, les Etats-Unis, l’Australie – qui sont des marchés très différents de ceux que l’on connaît en Europe.
Notre deuxième grand projet, c’est de se lancer sur l’impact environnemental. Aujourd’hui Yuka est uniquement axée sur la santé mais depuis un an nous travaillons sur une méthodologie de notation de l’impact environnemental des produits alimentaires. C’est un sujet très complexe, il y a beaucoup de choses à prendre en compte pour pouvoir l’évaluer : la matière première, l’emballage, la provenance… Nous souhaitons sortir cette version courant novembre en France puis potentiellement l’étendre ensuite.
Propos recueillis par Elise Mesnard
Pour en savoir plus sur l’application Yuka, rendez-vous ICI.
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