
Expert en communication politique, Natanael Bloch revient pour Le Courrier Australien sur l’affaire Barnaby Joyce qui a vu le Premier ministre adjoint démissionner de son poste au gouvernement et de son rôle de chef du Parti national d’Australie en moins d’un mois. Tout cela, sur fond de scandale sexuel, puisque Barnaby Joyce a été exposé dans les médias avec sa jeune partenaire et ancienne collaboratrice Vikki Campion. Celle-ci est en effet enceinte, alors que l’homme politique est toujours marié et père de quatre enfants.
La réaction du Premier ministre Malcolm Turnbull, qui est immédiatement monté au créneau de façon assez violente pour demander à son ministre de tirer les conséquences de cette affaire, est-elle d’ordre morale ou procède-t-elle d’un calcul politique ?
Pour comprendre l’attitude de Malcolm Turnbull, il faut avoir en tête que Barnaby Joyce occupait une double position : à la fois membre de son gouvernement et allié politique. Le Premier ministre devait donc trouver le moyen de taper du poing sur la table, tout en ménageant les relations entre son parti (Liberal) et celui de Barnaby Joyce (National). A cet égard, la conversation qu’ils ont eue, seuls, d’homme à homme, le 17 février dernier a été finement préparée. Turnbull a pu faire valoir une « explication en toute franchise », sans pour autant y associer les directeurs de cabinet ou les équipes politiques. Finalement, il a ménagé le jeu des alliances, tout en se positionnant moralement vis-à-vis de ses électeurs.
En réaction, que Malcolm Turnbull décide rapidement d’interdire les relations sexuelles entre collaborateurs, est-ce réaliste ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une loi qui s’appliquerait à toutes les entreprises. On parle ici d’une modification d’un code de conduite applicable dans le cadre du parlement aux ministres et à leurs collaborateurs. Pour moi, c’est un coup de com de type action / réaction qui apporte une réponse visible et immédiate aux électeurs qui ont été choqués. Ensuite, est-ce réaliste ? C’est encore trop tôt pour le dire et nous verrons dans le futur s’il y a des conséquences et/ou d’autres révélations.
Peut-on faire un parallèle avec la loi votée en France après l’affaire Fillon sur l’interdiction pour un élu d’employer un membre de sa famille ? Est-ce que la loi vient toujours en réaction d’un événement (et non pas en amont) ?
On peut faire un rapprochement dans le sens où une situation de crise a provoqué une réaction en chaîne. En dehors de cela, les faits sont très différents. Ce qu’on a reproché à François Fillon, au début en tout cas, ce n’est pas d’avoir embauché son épouse ou ses enfants, mais que ces derniers n’aient pas effectivement travaillé à hauteur de ce qu’ils étaient payés et des missions qu’ils étaient censés réaliser. C’est ce soupçon d’emplois présumés fictifs qui a été sanctionné par l’opinion. La loi qui a été votée ensuite, en juillet dernier, n’a d’ailleurs rien réglé au problème puisqu’on voit encore de nombreux emplois familiaux croisés, tel parlementaire embauchant la fille de tel collègue… Pour moi, la situation de Barnaby Joyce est complètement différente. En outre, pour Fillon, il y a eu un fil de narration. Les révélations sont apparues alors qu’il y avait un gros enjeu : les élections présidentielles. Pour Barnaby, l’information est plus conjoncturelle et tombe à un moment donné (où, simplement, une grossesse est révélée). Cependant, des appels anonymes récents font état de harcèlement sexuel de la part de Barnaby Joyce – affaire à suivre donc. Il est possible que l’on entre désormais dans un contexte différent, celui de #Metoo, comme c’est le cas pour Robert Doyle, le maire de Melbourne qui vient de démissionner. La communication devra alors être gérée à un autre niveau.
Est-ce que la France est plus tolérante vis-à-vis des mœurs de ses dirigeants politiques ? Après tout, François Mitterrand avait bien une maîtresse…
En France, le respect de la vie privée est très protégé. Par exemple, il est impossible de licencier une personne pour des motifs liés à sa vie personnelle, notamment ses relations amoureuses ou sexuelles. En revanche, si on peut prouver que ces dernières ont un impact sur le fonctionnement de son travail et de l’entreprise dans laquelle elle travaille (conflit d’intérêt par exemple, favoritisme etc.), oui, on peut agir. Les Français sont toutefois en train d’évoluer, notamment sur l’exemplarité. La mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’inscrit précisément dans ce changement de mentalité. C’est un très grand pas, même s’il y a toujours moyen d’être imprécis dans ses déclarations. Aujourd’hui, plus question de tout laisser passer. A ce titre, on peut aussi se référer à Cahuzac. Ce qu’on lui reproche, c’est de s’être autorisé ce qu’il interdisait aux autres et qui était illégal (mise en place d’un système d’évasion fiscale NDLR) mais surtout… qu’il ait manqué ce moment de vérité avec les Français en leur mentant « les yeux dans les yeux ».
Selon vous, Barnaby Joyce a-t-il encore un avenir politique ?
Cette affaire est à considérer à l’aune de plusieurs paramètres : ses relations avec le Premier ministre Malcolm Turnbull, l’échéance électorale qui arrive, la grande différence d’âge entre sa maîtresse (33 ans) et lui-même (50 ans)… Si une affaire similaire touchait Edouard Philippe en France, il y aurait certainement des vagues aussi. Barnaby Joyce, en tout cas, a choisi de démissionner pour prendre du recul. Cette mise en retrait est logique. Pour autant, il n’a pas enfreint la loi, ni le code de conduite modifié après coup. Peut-il être condamné alors qu’il n’a rien fait d’illégal ? S’il choisit ce mode de défense, alors oui… il pourrait revenir dans le jeu politique. En attendant, à mon sens, le sujet à suivre concerne la survie de la Coalition*. L’alliance entre le Parti national et le Parti liberal a du sens, mais elle n’est pas gravée dans le marbre.
Récapitulatif des faits ![]() 7 Février 2018, The Daily Telegraph publie une photo du Premier ministre adjoint et chef du Parti national, Barnaby Joyce, avec sa compagne, Vikki Campion, visiblement très enceinte. L’affaire fait grand bruit car la jeune femme, de vingt ans sa cadette, a été employée par l’homme politique au début de leur relation. Très remonté, le Premier ministre Malcolm Turnbull accuse son collaborateur d’une « erreur de jugement choquante » et d’avoir causé « une souffrance et une humiliation extrêmes » à son épouse et leurs quatre filles. Il demande à Joyce de reconsidérer sa position. Ce dernier s’y refuse… dans un premier temps. Le 15 février, Malcolm Turnbull annonce qu’il va modifier le code de bonne conduite applicable au sein du parlement, interdisant aux ministres toute relation sexuelle avec leur personnel. Le 23 février Barnaby Joyce démissionne de ses deux postes. Michael McCormack (Parti national) le remplace officiellement le 26 février. |
Propos recueillis par Valentine Sabouraud
Photo d’ouverture : Barnaby Joyce et Vikki Campion en 2016 (c) Gareth Gardner
* La Coalition actuelle regroupe les élus des 3 partis suivants : Liberal Party of Australia, The Nationals, Country Liberal Party.
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