La Turquie du président Recep Tayyip Erdogan célèbre en grande pompe vendredi le 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli, une célébration aux accents nationalistes et sous l’ombre d’un autre centenaire, plus polémique, celui du « génocide » arménien.
Un vingtaine de dirigeants du monde entier sont annoncés sur les rives du détroit des Dardanelles pour célébrer la mémoire des dizaines de milliers de soldats de l’Empire ottoman et du corps expéditionnaire franco-britannique tombés pendant neuf mois d’une lutte acharnée qui s’est conclue sur une cinglante défaite des Alliés.
En tête d’affiche de ce grand raout diplomatico-historique apparaissent le prince Charles, héritier de la Couronne britannique, et les Premiers ministres d’Australie et de Nouvelle-Zélande, deux pays dont le sacrifice des combattants, les fameux « Anzacs », sur le sol turc a forgé l’identité nationale.
M. Erdogan s’est promis de faire de ces festivités un moment de réconciliation. « Les fils des pays qui se sont affrontés dans des camps rivaux il y a cent ans se rassembleront sous le même toit pour porter au monde un message de paix et de fraternité », a-t-il dit.
Après un « sommet pour la paix » très symbolique avec ses hôtes dès jeudi dans un palais stambouliote, le chef de l’Etat turc présidera vendredi sur le champ de bataille une grande cérémonie internationale.
Une série de commémorations « nationales » suivra jusqu’au lendemain. La plus célèbre est le fameux « service de l’aube », organisé par l’Australie et la Nouvelle-Zélande au petit matin du 25, à l’heure précise du débarquement des troupes alliées.
Une ombre de taille va toutefois peser sur Gallipoli, celle des commémorations qui auront lieu au même moment à Erevan à la mémoire des centaines de milliers d’Arméniens massacrés par l’Empire ottoman à partir du 24 avril 1915.
Cette « grande catastrophe » a suscité ces derniers jours de violents échanges entre les autorités d’Ankara, qui refusent catégoriquement de reconnaître leur caractère planifié, et ceux qui les qualifient de génocide, comme le pape François ou le Parlement européen.
– Fibre patriotique –
Le président arménien Serge Sarkissian a même accusé son homologue turc d’avoir délibérément programmé les célébrations de Gallipoli le 24 avril –c’était déjà le cas l’an dernier– pour détourner l’attention des crimes commis par l’Empire ottoman.
A moins de deux mois des élections législatives du 7 juin, M. Erdogan ne devrait pas manquer non plus de profiter de ces festivités pour exalter la fibre patriotique turque.
Concoctée par la présidence, la bande-annonce au ton très religieux qui inonde depuis plusieurs jours les télévisions du pays a donné le ton et suscite déjà l’ire de ses adversaires. L’homme fort du pays y lit un texte du poète nationaliste Arif Nihat Asya et prie devant la tombe d’un des soldats turcs morts au combat.
La bataille des Dardanelles a débuté en février 1915 lorsqu’une flottille franco-britannique a tenté de forcer le détroit des Dardanelles pour s’emparer d’Istanbul, capitale d’un Empire ottoman alors allié de l’Allemagne.
Leur expédition repoussée en mars, les Alliés débarquent le 25 avril à Gallipoli. Mais après neuf mois d’une guerre de tranchée meurtrière qui a fait plus de 400.000 morts ou blessés dans les deux camps, ils sont contraints à une humiliante retraite.
Malgré cette victoire, l’Empire ottoman déjà sur le déclin finira la guerre dans le camp des perdants et sera démantelé. Mais la bataille de Gallipoli est devenue un symbole de la résistance qui a abouti à l’avènement de la République turque moderne en 1923.
A la tête d’un régiment, son père-fondateur Mustafa Kemal y a forgé sa légende de héros national par cette fameuse harangue à ses troupes: « je présume qu’il n’y a personne parmi nous qui ne préfèrerait mourir plutôt que de voir se répéter les événements honteux de la guerre des Balkans ».
Dans les deux camps, cette bataille épique a inspiré plusieurs films sortis récemment. Réalisé en Turquie, « La Dernière lettre » s’en est servi pour exalter la ferveur patriotique, alors que « La promesse d’une vie », de l’acteur et réalisateur australien Russell Crowe, a préféré jouer la carte de la réconciliation.
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