C’est la nuit. Dans une ambiance à la Blair Witch, une caméra infrarouge filme une scène de chasse dans le bush australien… on entend un tir, deux… les détonations claquent. Un kangourou s’effondre. Sa silhouette reconnaissable entre toutes se découpe en blanc sur l’écran. Le matin révélera l’étendue du carnage, ou ce qu’il en reste, dans cette vaste propriété des Blue Mountains qui a exceptionnellement ouvert ses portes aux cinéastes.
Des têtes d’animaux jonchent le sol, des fœtus sont pris dans les branches… Le décor (naturel) est planté : on est dans un film d’horreur et il faudra avoir le cœur bien accroché pour regarder Kangaroo jusqu’au bout, le documentaire-choc de Kate McIntyre Clere et Mick McIntyre. Mais ici, en Australie, s’attaquer à un mythe qui pèse des millions de dollars dans l’économie du pays n’est pas sans conséquences et, déjà, le ministre de l’agriculture et les fédérations professionnelles dénoncent un film outrancier. Mick McIntyre réfute cette position et s’en explique avec nous.
Lanceurs d’alerte
L’envie, au départ, est venue très simplement. « Il faut savoir que le kangourou est le troisième symbole le plus reconnaissable au monde après la Tour Eiffel pour Paris et la Statue de la Liberté pour New-York. Il nous a donc semblé intéressant de traiter le sujet. » Mais lorsque Mick et Kate entament leurs recherches, ils se rendent vite compte que l’abattage (culling) des kangourous est un sujet « énorme » en raison des enjeux et de l’impact de ce qu’ils commencent à entrevoir. « Nous avons eu la chance qu’un couple de lanceurs d’alerte nous accueille sur sa propriété du NSW et nous permette de filmer. Nous avons pu enregistrer des images qui témoignent de ce qui se fait dans le secret de la nuit. » Tirs imprécis qui blessent sans tuer, violente tuerie des petits en formation tirés des poches de leur mère, première découpe sur place, présence d’habitations humaines dans le voisinage immédiat des terrains de chasse… de quoi inquiéter.
Etats-Unis, Chine et Russie
Il a fallu comprendre le pourquoi de ces autorisations de « chasse commerciale ». Comment a-t-on réalisé que les animaux étaient en surpopulation ? Comment les dénombre-t-on ? Quelles sont les recommandations édictées par le gouvernement fédéral ? Où sont les intérêts économiques ? « Ce documentaire nous a pris 4 ans à réaliser. Nous voulions interroger toutes les parties, les industries agro-alimentaires ou textiles, les associations de protection des animaux, les politiques, les militants, les scientifiques… » L’équipe est même allée aux Etats-Unis, en Chine et en Russie, énormes marchés potentiels pour la viande, mais aussi le cuir de kangourou. Pour financer le travail… le couple se rend compte que le thème charrie trop d’affect pour attirer les investisseurs. Il choisit l’auto-financement.
« Nous ne voulons pas interdire de consommer du kangourou, précise le réalisateur, mais nous voulons ouvrir le débat sur le sujet. » Outre la violence physique, il y a aussi les conditions d’hygiène qui peuvent être remises en cause… transporter les bêtes dans un 4×4 par plus de 30° toute une nuit dans la poussière de l’outback avant même de les dépecer en chambre froide : est-ce acceptable du point de vue de la sécurité alimentaire ? « On ne donnerait pas cette viande à manger aux chiens », entend-on dans le documentaire.
En danger ?
Présenté dans de nombreux festivals à l’étranger, mais aussi au parlement européen à Bruxelles, le documentaire a provoqué des réactions très fortes et reçu un accueil plutôt favorable. Ici, en Australie… c’est une autre histoire. « Nous avons déjà eu des articles très violents et il y a déjà de la récupération. Or, nous ne voulons pas entrer dans cette polémique, nous voulons que les Australiens sachent ce qui se passe chez eux et aient leur mot à dire au sujet des kangourous. » Militer aussi pour un système de comptabilisation rigoureuse et scientifique de leur population, car… selon toute vraisemblance, leur nombre diminue. « Les chiffres officiels sont sujets à caution, en réalité les kangourous sont en danger. » Quel dommage pour cette espèce unique au monde dont l’image se confond avec le pays lui-même – sans parler de sa signification pour les Aborigènes.
Le film sort officiellement ce jeudi au cinéma et de nombreuses projections sont prévues, en présence des réalisateurs. « Nous attendons la réaction du public avec impatience » explique Mick. Ensuite, le film vivra sa vie dans le monde (sorties prévues en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas… peut-être en France) avant d’être diffusé à la télévision.
De son côté, Mick McIntyre espère prendre un peu de repos. Le film a été très éprouvant. A voir les images de Kangaroo… on comprend aisément pourquoi.
Valentine Sabouraud
Photos © Hopping Pictures : 1/ et 3/ extraits du film 3/ Mick McIntyre
A voir d’urgence : Kangaroo de Kate McIntyre Clere et Mick McIntyre
Sortie australienne le 15 mars 2018 – séance d’ouverture avec les réalisateurs au Nova cinema à Melbourne. Nombreuses dates de rencontres à retrouver ici.
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