La semaine dernière, 39 ressortissants étrangers ont amarré sur une côte reculée d’Australie Occidentale, de quoi raviver les débats sur la sécurité des frontières du pays.
Bien que les arrivées non autorisées en Australie aient lieu en avion et en bateau, les médias ne semblent s’intéresser qu’aux arrivées maritimes non autorisées. En effet, elles nourrissent l’idée que le pays a perdu le contrôle de ses frontières et créent ensuite des problèmes d’ordre politique pour le gouvernement.
Mais derrière ces gros titres, que se passe-t-il réellement lorsque des personnes arrivent en Australie sans permission, que ce soit en bateau ou en avion ?
Quelles sont les obligations de l’Australie en matière d’immigration ?
Tous les non-citoyens australiens doivent avoir en leur possession un visa pour entrer sur le territoire.
La façon dont l’Australie gère les arrivées non autorisées est régie par les traités internationaux. Le Protocole ainsi que la Convention pour les réfugiés des Nations Unies interdit l’Australie d’envoyer ses réfugiés (tels que définis dans ces traités) dans des endroits où il y a de réels risques de persécution. Selon d’autres traités dont l’Australie fait partie, il lui est interdit d’envoyer quiconque, et pas juste des réfugiés, à des endroits où il y a des risques de violation des droits de l’Homme.
Ces obligations de protection sont aussi appelées obligations de non-refoulement. Les personnes qui souhaitent bénéficier de ces obligations de protection sont appelées demandeurs d’asyle.
Qu’arrive-t-il aux demandeurs d’asyle à leur arrivée ?
Les processus pour les arrivées en bateau ou en avion sont légèrement différents.
Selon la politique australienne, les arrivées aériennes non autorisées doivent être suivies d’un entretien de filtrage afin de déterminer si l’étranger peut bénéficier de la protection australienne d’après la loi internationale. Si tel est le cas, il peut candidater au visa de protection. Dans le cas inverse, il est renvoyé vers le pays duquel il est parti.
Le visa de protection est l’outil principal utilisé par l’Australie pour respecter ses obligations de protection internationales. Les personnes qui entrent sur le territoire australien avec un visa valide peuvent aussi candidater à un visa de protection. La plupart des candidats font partie de ce groupe.
L’Australie pénalise les compagnies aériennes qui amènent des étrangers sans visa valide sur le territoire. Elle place également des officiers dans des aéroports étrangers afin d’aider les compagnies aériennes à identifier les passagers sans visa et leur refuser l’embarquement. Par conséquent, il y a très peu d’arrivées aériennes non autorisées en Australie.
À l’instar des arrivées en avions, les arrivées en bateau sont soumises au filtrage.
Ceux qui ne sont pas considérés comme demandeurs d’asyle sont renvoyés dans le pays d’où ils sont partis, qui est, la plupart du temps, l’Indonésie. Sauf cas exceptionnel, les personnes qui arrivent illégalement par bateau et qui ont possiblement droit à une demande d’asyle sont transférées dans des centres de « regional processing », soit traitement régional, à l’étranger, afin que leur demande d’asyle y soit traitée.
Comment fonctionne le traitement régional ?
L’histoire du traitement régional est assez compliquée.
À la fin de l’année 2001, le gouvernement Howard est parvenu à un arrangement avec les îles de Nauru et de Papouasie Nouvelle Guinée (PNG) pour qu’elles accueillent les personnes arrivant illégalement en Australie par bateau afin de traiter leur demande d’asyle. Ces arrangements ont cessé lorsque le parti travailliste est arrivé au pouvoir en 2007.
Toutefois, une recrudescence des arrivées maritimes non autorisées a poussé le gouvernement Gillard à nouer de nouveaux arrangements avec Nauru et la PNG à la fin de 2012, ce qui a permis à l’Australie de transférer des migrants vers des centres de traitement dans ces îles afin que leurs gouvernements s’occupent de traiter leur demande d’asyle.
Les arrangements de 2012 laissaient aux réfugiés la possibilité de revenir s’installer en Australie. Cependant, au vu du nombre grandissant de bateaux arrivants en Australie, le gouvernement Rudd a décidé de serrer la vis en 2013 et d’interdire aux futurs arrivants maritimes non autorisés toute possibilité de venir s’installer en Australie par la suite.
Cet arrangement avec la PNG a été interrompu en 2021. Nauru, quant à elle, a toujours un accord avec l’Australie, qui paye les centres de l’île pour le transfert des demandeurs d’asyles vers d’autres pays ou leur installation à Nauru.
Le 25 juin 2023, il n’y avait plus personnes en transit à Nauru. Cela ne veut pas dire pour autant qu’une solution durable a été trouvée pour toutes les personnes transférées à Nauru jusqu’alors. Tandis que certains ont été envoyés dans des pays du tiers-monde, d’autres ont simplement été transférés en Australie avec le statut de « personne en transit ». Ce statut les empêche de candidater à un visa pour rester en Australie, sauf s’ils reçoivent la permission d’un ministre.
Qu’est-il arrivé la semaine dernière ?
Depuis le début de l’opération Sovereign Borders en 2013, les bateaux arrivants en Australie ont soit été interceptés en mer, soit sont parvenus à amarrer en Australie et ce chaque année, sauf en 2021. Parmi les 1123 passagers de ces bateaux, seuls deux ont été sélectionnés pour les centres de traitement régionaux, en 2014. Ce chiffre est quelque peu alarmant car les personnes concernées venaient de pays connus pour produire un grand nombre de réfugiés.
Il était donc assez surprenant que le gouvernement australien transfère 11 migrants à Nauru en septembre 2023, suivis par 12 autres en novembre. Les 39 personnes arrivées en Australie Occidentale viennent juste d’y être transférées.
Il semblerait que le filtrage ait soit été abandonné soit grandement amélioré. La meilleure façon pour l’Australie de respecter ses obligations de protection internationale serait d’accorder à tous les arrivants la possibilité de candidater à un visa de protection. Toutefois, leur accorder à tous l’accès au traitement régional est très certainement mieux que de les renvoyer dans leur pays.
Cependant, la superficie de l’île, égale 2 200 hectares, ne permet pas d’y envoyer tous les réfugiés arrivant en Australie. A titre indicatif, l’aéroport de Melbourne est plus grand que l’île de Nauru.
Il n’y a pas de raison de croire qu’il sera plus facile de relocaliser les personnes en transit dans des pays du tiers-monde à l’avenir. Pour beaucoup d’entre eux, la seule façon de sortir de ce flou administratif est de rentrer chez eux, comme l’ont déjà fait huit de ceux arrivés à Nauru en septembre. Le traitement régional continue d’être un échec politique, et ce sont les plus vulnérables qui en payent le prix.
Savitri Taylor, Associate Professor, Law School, La Trobe University
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