Peut-on remettre les ingrédients du bush au goût du jour et des cuisines australiennes ? C’est en tout cas le pari qu’à fait Hayden Marks en créant « Melbourne Bushfood » en 2019. Au-delà de l’apport nutritionnel de ces aliments, c’est l’impact social et environnemental qui l’intéresse. Après avoir vendu quelques ingrédients natifs d’Australie sur son site, il convainc rapidement son partenaire Lilian Chabannes, chef pâtissier français, de l’importance du projet. Ce dernier s’improvise alors Marketing Manager et lance une gamme de 9 chocolats aux saveurs du bush. Pari gagné. Depuis, l’entreprise a touché plus de 15 000 Australiens, proposant épices, herbes, chocolats, plantes, thé et même bientôt du gin au « davidsum plum ». Histoire d’un déclic individuel puis collectif.
« Pourquoi ne trouvons-nous pas un restaurant aborigène à tous les coins de rue, comme nous trouvons un italien ? »
Les yeux rivés sur son écran, Hayden Marks, aspirant journaliste, travaille sur un projet universitaire. Il ne s’attend pas à ce que ce devoir, qui devait lui prendre quelques heures, devienne sa première aventure entrepreneuriale. Ses recherches le mènent en effet dans la grande histoire des aliments du bush australien. « La nourriture du bush nourrit des êtres humains depuis des milliers d’années, explique-t-il. Au niveau nutritionnel, elle est bien supérieure à la nourriture moderne ».
Pourquoi n’est-elle pas plus consommée par les Australiens ? Partant de cette interrogation, le jeune australien va vite enchaîner les surprises. Si il y a plus de 6500 aliments du bush différents en Australie, seulement un est disponible en supermarché : la fameuse noix de macadamia. « Avec tous les aliments disponibles dans le bush, nous pourrions ne nous nourrir que de ça plutôt que d’importer » pense-t-il. Intrigué, il décide d’aller voir directement sur le terrain de n’importe quel consommateur pour vérifier de ses propres yeux : le supermarché. Sa chasse au trésor finit par porter ses fruits…en partie. Il tombe sur un vieux paquet de « wattleseed » rassis.
Hayden comprend vite que les quelques aliments du bush commercialisés sont stockés pendant des années, et donc de piètre qualité. Puis, que de nombreuses espèces natives d’Australie sont commercialisées par des entreprises non-aborigènes. Or, la culture de la « kakadum plum » par exemple, reine de la vitamine C, est une pratique économique et culturelle capitale pour ces derniers. Plus il en apprend, plus Hayden comprend qu’il ne peut pas ignorer la situation, véritable opportunité nutritionnelle, sociale et environnementale. Après 5 mois sur les bancs de la fac, il décide d’arrêter ses études pour se consacrer pleinement à ce qui deviendra « Melbourne Bushfood ».
S’éduquer et transmettre
« J’ai commencé avec les 5000 dollars que j’avais sur mon compte en banque en septembre 2019, se rappelle-t-il. Je ne connaissais pas grand-chose à l’entreprenariat à l’époque, j’ai appris sur le tas. Et je continue d’apprendre ! Ce qui me semblait capital dès le départ, c’était d’éduquer les consommateurs à la nourriture du bush et à la situation actuelle ». Il se rend alors toutes les semaines au Queen Victoria Market, à Melbourne, pour en parler. En parallèle, il finit par trouver un vaste réseau de cultivateurs aborigènes et de petits fermiers, passionnés et respectueux des ingrédients locaux, qui deviennent ses fournisseurs. Sur son site internet, il commence alors à vendre certains de leurs produits, des épices et des herbes du bush.
L’entreprise, comme beaucoup de projets entrepreneuriaux connaît ses hauts et ses bas. D’abord, Hayden peine à gagner en légitimité auprès de certains fournisseurs à cause de son jeune âge. De plus, lors de la première année, si les ventes montent en flèche au moment des fêtes de fin d’années, elles sont peu nombreuses dès le mois de janvier. Mais le travail finit par payer. Lilian Chabannes, chef-pâtissier français depuis ses 16 ans et partenaire d’Hayden accepte de s’improviser Marketing Manager. En quelques mois, la présence en ligne de l’entreprise augmente considérablement. Les ventes aussi, au point que l’équipe s’agrandit et innove. Lilian met alors ses compétences de chef-pâtissier au service d’une toute nouvelle gamme de chocolats aux saveurs des aliments du bush. Des plantes du bush, du thé sont aussi proposés aux consommateurs. La demande est forte, et il suffit de consulter leur site pour le constater : de nombreux produits sont épuisés.
Alors, comment expliquer cet intérêt ? « Je pense que les Australiens vivent une véritable crise identitaire depuis quelques années, analyse Hayden. Ils se rendent comptent de ce qui est arrivé aux Aborigènes, et se sentent coupables, veulent agir à leur échelle. Ils ont aussi une plus grande conscience de leur impact environnemental ».
Une entreprise sur tous les fronts
Si ils payent leur « kakadu plum » au-dessus des prix des marché et remettent 10% de leur profit à la communauté pour soutenir les producteurs aborigènes, ces derniers ne sont pas la seule préoccupation d’Hayden et de Lilian. La protection de l’environnement est un autre de leurs objectifs. « La plupart de nos emballages sont déjà recyclables, souligne Lilian. Mais nous souhaitons qu’à la fin de l’année, 99% de notre packaging soit sans plastique ».
La transparence et l’égalité sont autant de valeurs qu’ils célèbrent également. Un rapport concernant la contribution de l’entreprise sur la communauté est publié régulièrement sur leur site. Au-delà du public, le respect des sept personnes de l’équipe est capital pour les deux hommes. « Nous accueillons à bras ouverts toutes les nationalités, les genres et les préférences sexuelles. L’égalité entre les sexes est très importante pour nous, c’est pourquoi tous les membres de l’entreprise savent combien chacun est payé », ajoute le jeune CEO de 23 ans.
Quand nous abordons les méandres de la vie entrepreneuriale, Hayden s’amuse « Ma plus grande force et ma plus grande faiblesse résident dans mon intérêt pour les gens ». Le sourire de Lilian sert de confirmation. Nous non plus, nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Elise Mesnard
Retrouvez « Melbourne Bushfood », ICI.
Photo de couverture, de gauche à droite : Lilian Chabannes et Hayden Marks.
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