Rares sont les œuvres cinématographiques traitant d’affaires en cours de jugement. C’est le cas du film « Grâce à Dieu », qui n’a pu sortir en salles qu’après l’aval du TGI de Paris. Depuis le 20 février, le dernier film de François Ozon est ainsi projeté sur les écrans de l’Hexagone et dans divers cinémas de Sydney, dans le cadre de la 30ème édition du French Film Festival organisée par l’Alliance Française.
Ce week-end, le Courrier Australien s’est rendu au Palace Chauvel afin de découvrir ce long-métrage dont l’objet est particulièrement bouleversant. En effet, le film relate le combat mené par les victimes du Père Preynat, un prêtre accusé de pédophilie ayant officié à Lyon pendant plusieurs décennies. Qu’en avons-nous pensé ? Réponse ci-dessous.
Un agresseur, trois victimes, trois histoires
Le défi relevé par le réalisateur de L’Amant Double et Huit Femmes était audacieux. Et pour cause : il est difficile d’aborder avec justesse un sujet aussi sensible que celui de la pédophilie. Pourtant, la force de Grâce à Dieu est d’avoir su en parler sans sombrer dans le pathos à outrance. L’œuvre de François Ozon s’articule autour de trois victimes de Preynat ( leurs noms ont été modifiés, alors que ceux de Preynat et Barbarin ont été conservés, ndlr ) : Alexandre ( Melvil Poupaud ), cadre supérieur et père de famille accompli, François ( Denis Ménochet ), s’efforçant de vivre une vie normale et Emmanuel ( Swann Arlaud ), celui dont la douleur est la plus apparente.

La narration, divisée en trois temps, bascule d’un personnage à l’autre jusqu’à ce que les trois finissent par unir leurs forces au sein de l’association La Parole Libérée, créée afin que les « enfants » du prêtre Preynat osent évoquer leurs traumatismes et puissent obtenir réparation pour les préjudices causés. En face, beaucoup ne veulent pas entendre la vérité. L’Église, incarnée par un cardinal Barbarin qui fait montre d’un cynisme invraisemblable, mais aussi les proches des victimes – parfois même les parents – qui refusent obstinément de voir leurs convictions personnelles ébranlées par le récit des crimes de Preynat. De fait, le combat mené par les victimes du prêtre s’apparente souvent à un long chemin de croix.
Un collectif pour libérer la parole
Grâce à Dieu est une œuvre tragique. On ne saurait cependant la résumer à ce seul aspect. Les victimes y sont avant tout présentées comme des êtres humains ayant, pour la plupart, réussi à vivre avec leurs indicibles blessures. L’exemple d’Alexandre est éloquent. Père de cinq enfants, il affirme avoir la foi, mène ses enfants à la messe et parvient même à leur parler, avec le concours de sa femme, des viols qu’il a subi durant son enfance. Et lorsque l’un d’eux lui demande pourquoi tient-il à le faire, il répond : « S’il vous arrive quelque chose, vous saurez maintenant qu’il ne faut pas avoir peur de parler. »
François Ozon a pris le parti de nous montrer la vie quotidienne de ses personnages. Une vie dont Preynat fait partie intégrante. Il est davantage qu’un secret péniblement enfoui : il est une préoccupation journalière, un sujet de conversation, d’amusement, même. En témoignent plusieurs passages où le spectateur se surprend à rire, notamment cette fameuse séquence où les membres de La Parole Libérée débattent de l’utilité qu’il y aurait à embaucher un pilote d’avion afin que celui-ci trace un organe génital dans le ciel lyonnais pour dénoncer le silence du diocèse.
Incriminer l’Église, embellir les églises
Voici le paradoxe de Grâce à Dieu. Il met en scène la souffrance des hommes, mais une souffrance discrète, une souffrance avec lesquels Alexandre, François et les autres sont habitués à composer. Une souffrance qui ne les aveugle pas, mais qui ne fait au contraire qu’aiguiser leur sens de la justice. Il y a, bien sûr, des exceptions. Emmanuel, benjamin du trio, a été détruit par les agressions du prêtre. Introduit aux deux-tiers du film d’Ozon, il intervient comme une preuve de l’emprise dévastatrice exercée par Bernard Preynat sur les enfants. Emmanuel est celui qui frappe le spectateur. Il est donc éminemment important.

Réaliste, poignant, étroitement lié à l’actualité, Grâce à Dieu a tout d’une œuvre réussie. Esthétiquement, il n’y a pas grand-chose à redire. Alors que le réalisateur dresse un sombre tableau de l’Église sur le plan moral, force est de constater que l’œil des caméras sublime les églises représentées à l’écran. Loin d’être oppressantes, elles sont lumineuses et colorées. Visuellement, ce film est beau. Il faut dire qu’il a été tourné en grande partie à Lyon, qui pourrait légitimement prétendre au titre de ville la plus photogénique de France. Bien que Grâce à Dieu nous donne un aperçu poignant des bassesses humaines, il regorge ainsi de plans qui font s’élever le spectateur. À l’instar de la première image de l’œuvre, qui représente un évêque faisant face à la capitale des Gaules. Une image ébouriffante, autant que le cinéma français peut l’être lorsqu’il esquive les caricatures. Ce que Grâce à Dieu fait avec brio. On attendait le remake francophone de Spotlight : on se retrouve face à une œuvre hors norme.
Vous êtes à Sydney et désirez voir le dernier film de François Ozon ? Voici la liste des différentes salles projetant « Grâce à Dieu » jusqu’au 10 avril prochain :
- Palace Central – Level 3, Central Park Mall, 28 Broadway, Chippendale
- Palace Norton St. – 99 Norton Street, Leichhardt
- Palace Chauvel – 249 Oxford Street, Paddington
Et pour connaître les dates des projections, c’est par ici :
https://www.affrenchfilmfestival.org/film/by-the-grace-of-god/sydney
Et pour découvrir le trailer de « Grâce à Dieu », c’est par là :
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