Géraldine Le Roux a toujours été fascinée par l’océan. Elle a grandi près de l’eau, les pieds dans le sable des plages bretonnes. Comme un indice de ce qui allait suivre. Des dizaines d’années plus tard, désormais Maître de Conférences en ethnologie à l’Université de Bretagne Occidentale, Géraldine a organisé des expositions sur l’art aborigène, écrit des livres, et a enfin réalisé un rêve. Celui de traverser l’océan en voilier, de l’île de Pâques à Tahiti. Entre sensibilisation aux cultures océaniennes et à l’environnement, cette passionnée nous a partagé son expérience.
Straightening Spears at Ilyingaungau, ou le fer de lance d’une vocation
Quand elle est arrivée en Australie en tant que jeune fille au pair, Géraldine était loin de se douter qu’elle y reviendrait régulièrement et qu’elle y dédierait une grande partie de sa vie. C’est une peinture exposée au Musée national d’Australie-Méridionale à Adelaide qui lui a révélé une passion qu’elle ne se soupçonnait pas. Une passion pour une culture de l’imaginaire, de la connexion à la nature et de la résistance. « Quand je suis tombée sur Straightening Spears at Ilyingaungau de l’artiste aborigène Turkey Tolson Tjupurrula, j’ai été complètement fascinée. Cette peinture a été le point de départ de mon intérêt pour la culture aborigène », confie-t-elle.
Alors qu’elle rentre en France pour poursuivre des études d’histoire de l’art, les milliers de kilomètres qui la séparent de l’île-continent sont loin de lui avoir fait oublier sa découverte en Australie. En parallèle de son cursus, elle participe pour la première fois à une exposition sur l’art aborigène, Paysages Rêvés. Peintures aborigènes de Balgo Hills, Australie Occidentale au Musée d’arts Africains, Océaniens, Amérindiens (MAAOA) à Marseille.
Quelques années plus tard, son Master en poche, Géraldine se lance dans un doctorat à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l’University of Queensland. A ses heures perdues – et il y en a peu – elle crée une association, Diff’Art Pacific pour promouvoir les arts et cultures du Pacifique en France et à l’étranger. Neuf ans après son coup de foudre pour l’œuvre de Turkey Tolson Tjupurrula, la jeune femme a réalisé une petite dizaine d’expositions sur l’art aborigène. L’art urbain du Pacifique par exemple, organisée en 2005, a réuni 10 artistes autochtones émergents. « Pour cette première exposition, je voulais ancrer l’art contemporain océanien dans le paysage de l’art contemporain occidental » explique Géraldine.
L’art comme moyen de faire monter l’écologie au filet
L’obtention de son doctorat sonne le glas d’un chapitre: celui de la vie étudiante, remplacé par le métier d’Enseignante puis de Maitre de Conférences à l’Université. Mais une fois de plus, ce n’est nullement un clap de fin à son engagement pour la valorisation des cultures autochtones australiennes et océaniennes.
En 2012, elle découvre l’art des ghostnets et se lance dans la recherche et la promotion de ce mouvement singulier en contribuant à une exposition sur le sujet, Taba Nata : Australie, Océanie, art des peuples de la mer au Musée Océanique de Monaco. Le mouvement artistique consiste à récupérer les filets de pêche polluant les mers et les plages du Nord de l’Australie pour les transformer en art. Sculptures, paniers, bijoux, et même haute couture sont réalisés par des Australiens de milieux très variés, et notamment de nombreux Aborigènes et Insulaires du détroit de Torres.
Cette rencontre personnelle et interculturelle avec le déchet marin permet parfois aux Aborigènes de développer une carrière. Mais aussi de donner de la visibilité à un problème souvent invisible. « Cette capacité à créer de l’exceptionnel avec ce que l’on considère être du déchet suscite une très grande curiosité en Occident. C’est une façon de sensibiliser les communautés locales, comme le grand public, aux problèmes environnementaux ».
Géraldine en sait quelque chose. Elle a publié de nombreuses études sur le sujet, et vient de se charger de la section « art des ghostnets » d’une toute nouvelle exposition au Museum d’Histoire Naturelle du Havre, intitulée Australie – Le Havre, l’intimité d’un lien (1801-2021). Cette dernière est construite autour des dessins de Lesueur, célèbre dessinateur et naturaliste embarqué aux côtés de Baudin dans l’exploration australe.
Mais en 2020, alors qu’elle rédige un livre, isolée sur une île polynésienne, elle décide d’aller plus loin.
Exxpédition en mer plastique
« Je me suis souvenue des propos de Gilles Clément, qui est un ami. Il m’avait confié avoir écrit un livre à bord d’un cargo, raconte Géraldine. J’ai toujours eu envie de faire une traversée de l’océan, d’expérimenter cette immensité océanique. En pensant à lui, j’ai ressenti comme une impulsion, j’ai fait quelques recherches et je suis tombée sur le site Internet d’Exxpedition. C’était une évidence, j’ai rapidement candidaté pour y participer ».
En mars de la même année, la Bretonne rejoint donc un équipage composé à 100% de femmes de tous les horizons. L’organisation à but-non-lucratif, fondée par Emily Penn et Lucy Williams, en 2014 organise des expéditions en voilier autour du monde. Le but ? Sensibiliser à la pollution du microplastique dans les océans, et encourager la recherche dans le domaine. Et à terme, bien sûr, réduire l’impact du plastique sur la santé et l’environnement. Chaque membre de l’équipage, toujours entièrement féminin, devient ambassadrice de la cause dans son pays.
Alors, pourquoi toujours des femmes ? D’abord parce que l’impact de la pollution plastique sur la santé des femmes n’a encore été que très peu étudié, mais aussi parce qu’on ne décompte qu’un petit pourcentage de femmes -13 % – travaillant dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie, et des mathématiques. En choisissant des candidates de milieux et de pays différents, ce huis clos nautique encourage la recherche de solutions de tous les domaines et à tous les niveaux.
Quand Géraldine a mis les pieds sur le voilier, pour une expédition de l’île de Pâques à Tahiti, elle a vécu une « aventure dans une aventure ». En pleine pandémie de la Covid-19, l’équipage a reçu des ordres contradictoires et a parfois expérimenté des demi-tours, car certains de leurs lieux d’escale fermaient leurs frontières. Mais ça ne les a pas empêchées de se rendre compte de l’état de l’océan. « Je voulais faire cette traversée à la voile car on a souvent l’image de l’océan Pacifique comme d’une étendue exotique et intouchée. Nous avons constaté le contraire. De nombreuses zones étaient recouvertes de microplastique ».
Géraldine a retracé son expérience et son interrogation sur cet espace peuplé d’entités sacrées et de microplastique dans un livre, Sea-Sisters: un équipage féminin à l’épreuve de la pollution plastique dans le Pacifique. Tout juste publié chez Indigène éditions – qui a notamment sorti le bestseller de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! – il est très loin d’être un essai universitaire. « C’est un récit de voyage, celui de résistantes heureuses », souligne Sylvie Crossman, directrice de la maison d’édition.
Quand elle ne participe pas à des expositions, conférences ou expéditions aux quatre coins de la planète, Géraldine se promène sur les plages bretonnes. Parfois, au lieu de s’enfoncer dans le sable, ses pieds heurtent un filet. Elle le ramasse, et le conserve pour les artistes. Comme pour nous rappeler que les petites actions simples, accessibles à tous, font une grande différence.
Le Roux, Géraldine (2021). Sea-Sisters: un équipage féminin à l’épreuve de la pollution dans le Pacifique, Montpellier : Indigène éditions (120p. illustré), est disponible à partir du 17 juin dans toutes les librairies de France mais aussi à la FNAC, Cultura, Leclerc, Auchan etc. Il est également possible de se le procurer en Belgique, Suisse, Québec, et sur Internet.
Photo de couverture: ©Anne-Bettina Brunet.
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