Cet article est publié en exclusivité par Le Courrier Australien et l’Alliance française de Melbourne.
Pour commémorer les 50 ans de l’un des événements les plus marquants de la France contemporaine, l’Alliance française de Melbourne accueille cet hiver une exposition de photos de Philippe Gras sur mai 68. François Nicoullaud (photo ci-contre), ancien diplomate et grand ami du photographe décédé, nous en raconte la genèse et revient sur ses propres souvenirs de cette période agitée.
Tout d’abord, racontez-nous comment vous avez rencontré Philippe Gras…
Au service militaire, en 1961. Nous avons fait nos classes ensemble, dans des conditions difficiles, sur un plateau gelé. Les appelés formaient une masse hétéroclite au sein de laquelle nous avons sympathisé car nous avions un goût commun pour le jazz. Nous ne nous sommes plus quittés, même si j’ai beaucoup vécu à l’étranger par la suite. Il est mort brusquement à 60 ans et je suis resté en contact avec sa femme (photo ci-dessus). C’est elle qui a eu l’idée de créer l’association Les Amis de Philippe Gras pour faire connaître son travail.
Quel photographe était-il ?
L’un des plus grands de son époque à mon avis. Il était surtout connu pour ses photographies de jazz ou de théâtre. Il a aussi travaillé sur Einstein on the beach, l’opéra de Bob Wilson. Son grand défaut, dans le fond, a été de ne pas savoir se vendre. Il est resté confidentiel voire inconnu pendant des années. Logiquement, l’association – dont je suis président – a vocation à lui rendre justice. Nous avons organisé une première exposition posthume à la Cité de la musique (avec des images de Ray Charles, Thelonious Monk, Charles Mingus, Albert Ayler, Don Cherry entre autres ndlr.), puis une série d’autres événements. Philippe Gras s’intéressait beaucoup aux affiches de cinéma des années 60 (celles qui étaient peintes à la main) ou simplement aux gens dans la rue.
Comment en êtes-vous venu à mai 68, période déjà tellement photographiée ?
J’avoue que j’étais sceptique au départ. Mais quand j’ai regardé ses photos, je me suis aperçu qu’elles étaient différentes et que ça valait le coup d’en faire une exposition. Avec Les Amis, nous en avons choisi 43. Nous les avons présentées à la mairie du 13ème arrondissement à Paris, puis dans le réseau des Instituts français à l’étranger. La veuve de Philippe s’est pas mal déplacée, mais l’Australie reste bien loin.
Parlez-nous de la sélection : que pourra-t-on voir, ici à Melbourne ?
Nous avons volontairement écarté tout ce qui a déjà été vu, c’est-à-dire les grandes scènes urbaines, les grosses manifestations. Nous nous sommes concentrés sur les « photos volées », les images optimistes : un manifestant blessé qui se fait soigner, un autre qui dort, un CRS qui prend son casse-croûte… Ces photos sont en dehors des temps paroxysmiques de mai 68, sauf certaines qui ont été prises de nuit et qui sont très belles. On pourra aussi voir une scène assez violente qui se passe à l’Odéon sur laquelle Madeleine Renaud est toute humble face à la foule alors que c’était une très grande actrice. Il y a aussi des photos de graffitis prises dans le métro. C’était l’époque des détournements de slogan.
Quels souvenirs personnels gardez-vous de cette période ?
Figurez-vous que je vivais à New-York en mai 68. Et à cette époque, il y avait de grandes protestations contre la guerre du Vietnam ; l’université de Colombia était elle-même en grève. A l’époque, on n’avait pas la télévision et les nouvelles arrivaient par le câble. Du coup, j’ai eu l’impression que les Français imitaient les Etats-Unis – ce qui, bien sûr, était faux. L’ampleur de mai 68 a été exceptionnelle, car il faut rappeler que la France entière était en grève. Cela n’est jamais arrivé ailleurs et cela a impressionné le monde. L’Etat s’est trouvé dans une situation de grande fragilité. J’en profite, au passage, pour recommander vivement le visionnage du film de Dominique Beaux qui sera aussi diffusé à l’Alliance française (il dure 3 heures et sera découpé en deux parties ndlr.). Il présente mai 68 du côté des défenseurs de l’ordre et livre un contrepoint passionnant.
Les 50 ans de l’événement ont-ils été bien commémorés à votre avis ?
En France, on a observé une hésitation, un flottement. De fait, mai 68 a été mal vécu par beaucoup de Français qui étaient pour le respect de l’ordre et le contrôle. C’est un mauvais souvenir pour nombre d’entre eux. Rappelons que Nicolas Sarkozy lui-même voulait effacer l’héritage de mai 68. Macron a annoncé des célébrations mais, finalement, elles se sont déroulées en demi-teinte avec seulement des colloques et des expositions. Dans le fond, il n’est jamais facile de commémorer un événement controversé…
Propos recueillis par Valentine Sabouraud
>> Article en version anglaise là.
Exposition : Au cœur de mai 68 par Philippe Gras du 22 août au 12 septembre 2018 à l’Alliance française de Melbourne, 51 Grey Street, St Kilda VIC 3182 – De 9h à 19h. Gratuit. Film de Dominique Beaux Mai 68 un étrange printemps les 23 et 25 août (partie 1) puis 6 et 8 septembre (partie 2). Infos ici.
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