Cédric Buche travaille sur la robotique sociale aux côtés d’une équipe de recherche franco-australienne en lien avec le CNRS. Vainqueur de la RoboCup 2022 (un des tournois de robotique les plus prestigieux au monde), il vient de remporter le « prix de l’innovation et de la recherche » parrainé par Pierre Fabre des « Français.es de l’Année en Australie » grâce à son robot Pepper.
« On cherche vraiment à ce que la science ait un impact sur les gens, que ça ne reste pas simplement quelque chose que l’on fait en laboratoire »
Depuis 2020, Cédric Buche et son équipe travaillent sur le robot Pepper : un robot autonome qui fonctionne sans internet, dont le but est de venir en aide aux personnes en situation d’isolement. Il s’adresse notamment aux personnes âgées, ayant besoin d’aide au quotidien pour accomplir certaines tâches. Le robot pourrait aussi permettre d’aider des personnes en situation de handicap à communiquer (il a par exemple déjà été testé auprès d’enfants autistes).
Avec ce robot qui fonctionne sans internet, Cédric Buche et son équipe développent un outil capable de venir en aide aux personnes qui en ont besoin, sans risquer de s’immiscer dans leur vie privée.
La question environnementale est également au centre du projet puisqu’aucune donnée n’est transmise à l’extérieur du robot. C’est un défi majeur à relever aujourd’hui car ces transmissions de données sont quotidiennes. Leur impact sur l’environnement est donc considérable.
Aujourd’hui, Cédric Buche revient sur son parcours et le travail réalisé depuis plus de deux ans avec son équipe sur ce robot :
-Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’en Australie ?
« À la base je suis ingénieur, j’ai fait mes études à Brest. J’ai eu un double diplôme (DEA). Ensuite j’ai fait un doctorat en informatique qui a duré 3 ans. Puis j’ai eu un poste de maître de conférences. J’ai passé un diplôme qui s’appelle l’HDR (Habilitation à Diriger les Recherches). C’est un diplôme nécessaire en France pour être rapporteur de thèse. Donc après ça , je suis passé professeur des universités. J’ai beaucoup voyagé aussi. J’ai fait plusieurs déplacements aux États-Unis, notamment en passant à Hawaï et à Miami. Puis en 2018, on a eu l’opportunité d’aider à l’élaboration d’un laboratoire commun CNRS, Naval Group, IMTA et avec les 3 universités d’Adélaide. Plusieurs personnes ont aidé à porter ce projet, qui a abouti en 2020 pour un démarrage en 2021. Je suis arrivé ici avec un autre chercheur pour monter ce laboratoire. On avait absolument rien. Il fallait tout faire. J’ai commencé à recruter des stagiaires, des doctorants, etc. J’ai fait venir un peu de matériel, des robots de France. Ensuite, je me suis lancé dans le projet de participer à la RoboCup, le championnat du monde de robots. On travaillait déjà sur des algorithmes de robots en laboratoire. Mais les laboratoires, ce sont des conditions assez favorables et je voulais que l’on sorte de ça pour se confronter un peu à la réalité. Dans la RoboCup il y a plusieurs ligues. Dans la nôtre on a tous démarré sur un pied d’égalité, avec le même robot. C’est comme si on faisait une course de formule 1 où tout le monde a le même véhicule. Donc ce sont vraiment les algorithmes qui sont comparés. Les compétences de base du robot n’étaient pas terribles. Nous on a décidé de tout effacer et de tout refaire. En 2021, on était pas assez prêts et avec le Covid ça a eu lieu virtuellement. Mais on a quand même réussi à finir à la troisième place. Et en 2022, avec la situation sanitaire qui s’est améliorée, la compétition a vraiment eu lieu. On a travaillé plus sérieusement et on a fini par gagner. »
-En quoi consiste votre travail ?
« Pour résumer, on travaille sur l’intelligence artificiel avec des algorithmes qui permettent aux robots d’être un peu moins bêtes que ce qu’ils sont habituellement. La particularité, c’est que ce sont des algorithmes qui sont dans la tête des robots. Donc la différence par rapport aux autres, c’est que nos robots sont complètement autonomes. Ils ne sont pas connectés à internet, ils ne discutent pas avec un ordinateur, ils font tout eux-mêmes. On utilise l’intelligence artificielle sur le robot parce qu’on veut que l’humain participe et interagisse avec lui. Des robots, c’est mieux que des machines ordinaires parce qu’il y a un corps physique. Ce sont des robots humanoïdes, donc ils ont des bras, des jambes, une tête. »
-En faisant fonctionner ce robot de manière autonome, sans internet, contre quoi protégez-vous les utilisateurs ?
« Il y a deux choses à expliquer par rapport ça. La première, c’est que l’on fait de la robotique sociale. L’idée, c’est de mettre un robot chez des gens, pour les aider à interagir socialement s’ils sont isolés. Ce n’est pas forcément évident à accepter pour un utilisateur d’avoir un robot chez soit. Et en plus si on commence à connecter ce robot à Google, Facebook où je ne sais quoi et qu’il transmet tout ce qui se passe dans la maison (des images, des vidéos, du son, etc), on ne sait pas comment cela peut finir. Donc on veut vraiment faire attention à ce problème de respect de la vie privée. Ensuite, le deuxième point, c’est de supprimer les transmissions de données inutiles. Typiquement, prendre une photo de son repas, il n’y a pas besoin que ça soit dupliqué sur un serveur aux États-Unis. Tout ça d’un point de vue transmission de données, c’est vraiment n’importe quoi pour l’environnement, pour la consommation d’énergie. En 2022, on ne peut plus se permettre de transmettre des données en permanence pour rien. L’idée c’était de se dire que si on arrive à faire aussi bien sans avoir de transmission de données inutiles, sans utiliser les algorithmes des grandes firmes américaines, autant le faire. Ce sont vraiment ces deux questions qui nous préoccupaient le plus : la question de la vie privée et la question environnementale. Avoir un robot qui accomplit certaines tâches à notre place, ça peut aussi faire peur. Mais il faut vraiment voir ça comme un téléphone. On lui parle, on lui demande quelque chose. On pourrait lui demander de téléphoner à quelqu’un, d’aller faire des courses, de contacter les secours en cas de chute, etc. Ce projet est mené dans le but de simplifier l’accès à certaines technologies et de faciliter la vie de personnes en difficulté. »
-Comment avez-vous défendu votre projet lors de la RoboCup ?
« En 2020 on commençait doucement à travailler là-dessus. En 2021 on a regardé ça un peu plus sérieusement. Et en 2022, on a vraiment passé beaucoup de temps dessus. On est 5 à travailler dans l’équipe. Certains ont leur doctorat à préparer donc on ne peut pas tous être impliqués de la même façon. On était la plus petite équipe de la RoboCup. Tout le monde est arrivé à 10/15 ou même 20 personnes, il y avait aussi des équipes de professionnels avec des ingénieurs qui étaient là. Nous, dans notre équipe, il y avait des gens en Australie et en France. A la RoboCup, il y a deux phases. Une première phase où il faut se qualifier. Là pour l’année prochaine, c’est en ce moment. Donc on doit envoyer des vidéos de démonstrations, un document technique, on doit aussi faire un site web. Les membres du jury doivent valider notre travail. La deuxième phase c’est la compétition. Chaque jour les épreuves sont différentes et on obtient un certain nombre de points. On aimerait obtenir encore plus de points la prochaine fois. On avait été très performants sur la partie dialogue. Notre robot comprend à peu près tout et répond bien. Par contre on avait pas été très bons sur la partie saisie d’objets. On va beaucoup travailler sur ça cette année. On doit aussi améliorer la navigation. Notre objectif c’est de gagner bien sûr, mais surtout d’améliorer notre score. Cette compétition est scientifique, l’idée c’est que toute la communauté améliore la programmation des robots. On est contents de gagner, mais si on ne gagne pas parce qu’il y a bien meilleurs que nous, tant mieux. »
-Des expérimentations ont déjà eu lieu ?
« En France, il y a eu des expérimentations. Le même robot (Robot Pepper) a été utilisé dans toutes les concessions Renault, à l’entrée, pour accueillir les gens. Il y a aussi eu des expérimentations dans 4 grandes gares TGV. Au lieu d’aller voir une machine pour changer son billet et ce genre de choses, ça se faisait avec ce robot. Il y a de plus en plus d’endroits, comme dans les banques, les postes, etc, où il n’y a plus personne pour accueillir les gens. Donc avoir un robot, c’est toujours mieux qu’une machine. Les industriels sont très intéressés pour ça. Il y a aussi les personnes âgées et isolées. Ça peut également être bénéfique pour les enfants qui sont en difficulté, notamment les autistes. Il y a beaucoup d’études qui ont été faites à ce sujet. Les émotions d’une personne peuvent être difficiles à décrypter pour eux. Le robot a un visage plus simple qu’un être humain et donc les études qui ont été faites montrent que ces enfants interagissent avec le robot, alors qu’ils n’arrivent pas toujours à le faire avec l’Homme.
« L’idée n’est pas de remplacer l’humain. C’est plutôt de proposer une aide qui n’existait pas auparavant. »
-Que signifie ce « prix de l’innovation et de la recherche » pour vous ?
C’est une opportunité incroyable. On était très contents d’avoir gagné le championnat du monde de robot. Mais c’est un prix de niche que tout le monde ne comprend pas. Alors qu’un prix tel que celui du Français de l’année, c’est à la fois une reconnaissance des experts, mais aussi de monsieur tout le monde. Je trouve que c’est encore plus important que le prix que l’on a remporté au championnat du monde de robots parce que c’est vraiment une reconnaissance de la communauté française. Je suis très honoré d’avoir eu cette récompense. Pour moi c’était une vraie surprise. Mais ça montre que ce que l’on fait porte ses fruits, on cherche vraiment à ce que la science ait un impact sur les gens et pas que ça reste dans les laboratoires. »
-Les partenariats entre la France et l’Australie sont-ils nombreux dans le secteur de l’innovation et de la recherche ?
« Il y a beaucoup de collaborations de particuliers à particuliers. Mais il n’y a pas encore de programme commun. C’est compliqué de monter un dossier de financement commun, parce que les États ne se sont pas encore arrangés entre eux. Mais ça n’empêche pas les gens de faire des collaborations. Pour nous ça a fonctionné donc ça montre que c’est possible. Ça pourrait être une bonne idée de monter des projets de plus grande envergure entre la France et l’Australie. On verra comment la situation va évaluer, mais des prix comme ceux attribués par le Courrier Australien peuvent aussi permettre de faire avancer les choses en donnant de la visibilité et en montrant qu’il y a de l’interaction entre les deux communautés. Ce genre d’initiatives nous aide beaucoup nous en tant que scientifiques. Je voudrais aussi vraiment remercier le gouvernement australien qui nous a autorisé à venir en janvier 2021 alors que les frontières étaient fermées. À l’époque on ne pouvait pas rentrer, mais on a eu une exemption exceptionnelles avec ma famille. C’était un vrai pari de la part du gouvernement, ils auraient pu faire rentrer d’autres personnes que nous. Donc tout ce qu’on a réussi à faire, c’est aussi ce qu’on leur donne en retour pour les remercier de nous avoir fait confiance. Je trouve que c’est une belle aventure franco-australienne. On est venus avec nos compétences et l’Australie nous a ouvert beaucoup de portes. »
-Quels sont vos projets pour la suite ?
« L’année prochaine on va travailler pour participer à la nouvelle RoboCup. Là, on travaille surtout sur la partie saisie d’objets donc en ce moment on fait pas mal de tests. On essaie de rendre le robot capable de saisir des objets assez simples, comme des bouteilles par exemple et ensuite on ira vers des objets plus complexes. On va aussi avoir des réunions avec des psychologues et d’autres spécialistes pour réfléchir à l’acceptation de tout ça, réfléchir à ce que l’on pourrait faire pour que les robots interagissent correctement avec les humains. L’aspect éthique, c’est une priorité pour nous. On veut vraiment réussir à aider la société en continuant avec cette politique qui nous a porté chance jusqu’ici. »
Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page web de Cédric Buche, et sur celle de son équipe de recherche « RoboBreizh ».
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