Né le 06 septembre 1934 à Lovran, ville située sur la presqu’île de l’Adriatique jadis appelée Istrie, Charles Billich peut être défini comme un homme riche de dualités qui se plaît à réconcilier les contraires. L’homme lui-même incarne la coincidencia oppositorum. Au confluent de deux cultures, cet Australien-Croate, peintre et sculpteur, ne cesse de se dédoubler. L’homme public oscille entre gravité et légèreté, l’amphitryon jongle avec le luxe et la simplicité, le chercheur émaille son érudition de menus propos, et l’artiste retrouve toute la rigueur de sa peinture dans le chaos de son atelier.
Faste et festivités: Charles Billich lance en grande pompe sa nouvelle galerie d’art
Charles Billich est l’un des grands maîtres de la peinture contemporaine australienne. Après une formation artistique intense à l’étranger (au Zagreb, à Vienne, à Salzbourg, aux Philippines), il immigra en Australie en 1956 et après une décennie commença son ascension au pinacle de la gloire. Ses toiles sont exposées dans les plus prestigieuses salles du monde entier. Parmi elles, le portrait de Blessed Mary MacKillop qui compte parmi les nobles acquisitions de la collection du Vatican. Lauréat de nombreuses récompenses – dont le prix Spoletto (Italie) pendant trois années consécutives (de 1987 à 1989) – et récipiendaire de quelques distinctions honorifiques, Billich a exposé sous toutes les latitudes : en Australie, à Hongkong, en Italie, en Angleterre, en France, en Pologne, en Croatie, au Japon, aux Etats-Unis, et tout dernièrement au Cambodge.
Le style Billich est un savant mélange de figuratif (pour la note réaliste) et d’abstrait, sur fond d’art graphique qui donne à ses oeuvres un aspect épuré, le tout parfois surmonté d’une touche surréaliste qui sert ses visées métaphysiques. Bien souvent, ses huiles ont l’effet tendre et léger des aquarelles, un effet que l’artiste allie parfois à l’usage du chiaroscuro (la technique du clair-obscur).
Urbanoscopie: l’examen de l’urbain
L’inauguration le 22 mai de sa nouvelle galerie d’art hébergée par l’hôtel Fullerton (sis au 1 Martin Place) en plein cœur de la ville de Sydney, est l’occasion pour l’artiste de faire un examen de l’urbain, un thème qui l’habite depuis de nombreuses décennies. Billich n’a pas attendu d’être nommé “artiste officiel de l’équipe olympique australienne aux XXVIème olympiades” pour stimuler sa fibre patriotique. Déjà en 1990 il peignait quelques icones culturels chers à Sydney (comme Sydney Town Hall : a Study in Style, 1990).
L’œuvre la plus représentative de son style pourrait être : Celebrate with Sydney, 1993. Une œuvre qui exprime à la fois toute la verve nationaliste, qui à cette époque était devenue un leitmotiv en Australie, et la cohabitation de l’ancien et du moderne. Dans cette peinture l’on reconnaîtra aisément les principaux jalons du patrimoine historique de Sydney tels la fontaine Archibald de Hyde Park, le Sydney Town Hall, l’Observatoire, la tour Centrepoint (désormais rebaptisée Sydney Tower Eye), le pont de Sydney, la cathédrale Saint Paul, pour ne citer qu’eux. L’on peut y voir également des icones culturels et civilisationnels (l’opéra, les ferries, ou la réplique du Bounty) et des figures emblématiques nationales du milieu sportif, car plus de quarante athlètes olympiques australiens ont posé pour la réalisation de cette toile.
Une critique sociale en filigrane
S’il se dégage une certaine harmonie de ce tableau, l’on n’en repère pas moins une critique sociale en filigrane qui semble dénoncer une urbanisation sauvage. En effet, l’héritage architectural victorien de cette mégalopole semble littéralement écrasé par la verticalité toujours grandissante et envahissante d’une multitude de gratte-ciel, produits d’une modernisation agressive. Aux monuments historiques, empreints d’un certain cachet que l’on attribuera à leur singularité, s’opposent la quasi-uniformisation d’une architecture urbaine de plus en plus disgracieuse, massive et quelconque. Cette unité apparente que l’on retrouve dans les tableaux de Billich inspirés de cette même technique de composition (comme Düsselddorf, 1990, ou Zagreb — Cityscape, 1994) est en fait la somme d’une superposition d’images hétéroclites : autant de touches qui donnent une vue d’ensemble d’un paysage urbain ou d’une fresque historique. C’est l’unité dans la diversité qui transparaît dans un acte de compression géographique ou historique.
Jean-François VERNAY.
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