
Fin des années 80, début des années 90. Une zone déshéritée, quelque part au nord de la France. Des ouvriers en bleu de travail, une zone d’éducation prioritaire, des jeunes qui traînent sous un ciel de traîne. Clotaire, quatorze ou quinze ans, s’ennuie avec ses copains et, pour tuer l’ennui, il insulte les ados qui descendent du bus scolaire. Nul ne réagit, sauf une : Jacqueline. « Y a encore des meufs vivantes qui ont ce prénom ? » L’arrivée de « Jackie », avec son regard sans peur, et son cœur à vif, est le début d’une histoire qui nous parle de nos premiers amours, à une époque où l’on se parlait avec des téléphones à cadran, où l’on enregistrait des cassettes audios pour déclarer sa flamme, où les mobylettes étaient symboles de liberté. Clotaire et Jackie sont les seuls à se comprendre, ils se créent un monde où il est acceptable de sourire. Ils deviendront inséparables, malgré la violence omniprésente, autour d’eux, en eux. Pour Jackie, ce sera le premier amour, celui qui marquera toute sa vie, celui qui décide de l’avenir.
À travers ce film, Gilles Lellouche capture l’essence d’une génération, d’une époque, d’une adolescence en quête d’identité. Le film, librement adapté du roman Jackie Loves Johnser OK ? de l’écrivain irlandais Neville Thompson (1997), résonne avec Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Comme lui, Lellouche explore les enjeux sociaux, la désillusion de la jeunesse et l’effritement de l’idéalisme. L’évolution de Clotaire et Jackie, deux personnages qui évoluent à travers les épreuves de la vie, est capturée par une bande sonore allant de The Cure à la techno, en passant par une époque qui vacille entre l’insouciance de l’adolescence et le poids du monde adulte. Ce film est le miroir d’une France déconnectée des centres économiques. La France nostalgique de Johnny et des fêtes foraines, des hommes fatigués de travailler, des jeunes de vingt ans déjà désabusés. Des jeunes n’ayant plus envie de rien, dans un pays suspendu, entre déclin et résistance, où l’on cherche encore un avenir dans un passé révolu.
Une disparition est toujours un bon point de départ dans une fiction, Lellouche le sait bien. Clotaire part en prison à quinze ans et on l’oublie vite. « Personne n’est irremplaçable » déclare Benoit Poelvoorde, génial en chef de gang véreux. Clotaire quitte le monde des gagne-petit, des hommes crevés au turbin. Ce monde, il n’en sera plus jamais vraiment, il a bien réussi son coup. Au moins aussi bien que Gilles Lellouche qui nous permet à nous tous, enfants des années 80, adolescents des années 90, un retour aux sources des premiers baisers, des premiers cœurs brisés. L’amour ouf est ce film coup de poing qui ferait un très bon Goncourt 2025, à la façon d’un livre de Nicolas Mathieu. Les deux devraient discuter, je suis sûr qu’ils se trouveraient des points en commun.
Olivier Vojetta
Programme complet du French Film Festival: https://www.affrenchfilmfestival.org/sydney
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