VoilaSydney est fier d’avoir contribué à l’organisation du rassemblement de ce dimanche à Sydney. L’Ambassadeur de France, Christophe Lecourtier, a accepté de nous accorder un entretien exclusif et de nous livrer son analyse et son espoir de jours meilleurs suite aux récents événements de Paris.
Nous avons assisté à des manifestations impressionnantes en France ce dimanche, quel est votre sentiment par rapport à celles-ci?
En une semaine, la France a envoyé deux messages au monde. Le premier, qui a suivi directement les deux drames, était plutôt un message d’horreur, d’incompréhension et de tristesse.
Mais en particulier hier, la France a envoyé un message fort, celui de l’unité en marche ! Elle s’est très bien exprimée par la diversité des participants dans les rues. Il y avait en effet des gens ordinaires, des adultes, des jeunes, des musulmans, des juifs, des chrétiens mêlés aux puissants de ce monde. Cette unité s’exprimait autour d’un message simple: « nous sommes plus forts ensemble que le terrorisme ».
En fait, ceux qui ont voulu tuer l’esprit, au contraire nous ont renforcés !
Il y aussi eu des manifestations dans le monde entier, c’est un symbole très fort…
Il y a une unité qui s’est retrouvée en France mais celle-ci a suscité un écho formidable dans la plupart des pays du monde. Des pays qui partagent les mêmes valeurs que la France. Par exemple, ici à Sydney, deux événements ont été organisés dans la même semaine.
Finalement, nous avons vécu un drame extrêmement choquant, traumatisant mais il a aussi montré que l’esprit humain est capable de réagir et de passer en peu de temps de la nuit la plus noire à quelque chose qui redonne espoir. C’est la prise de conscience, la volonté de travailler tous ensemble pour que cela ne se représente pas, qui réconforte aujourd’hui.
Les marches étaient très importantes, très symboliques mais cela ne va pas forcément faire changer les choses. Que faut il à présent faire pour combattre cet ennemi qu’est le terrorisme ?
Cette réaction pour exprimer ce « plus jamais cela », cet attachement à nos valeurs va maintenant, dans les mois et années à venir, devoir se traduire en actes.
Il y aura probablement des mesures supplémentaires à prendre au niveau de la sécurité (ndlr: un projet de liste européenne de suspects, le contrôle d’internet, des techniques spéciales de recherches sont des pistes évoquées ce week-end par les dirigeants européens) mais ce n’est pas la seule réponse. Il faudra aussi dialoguer.
Le monde occidental doit absolument entretenir un dialogue constructif et positif avec l’Islam. Cela pose des questions sur la reprise du processus de paix en Palestine, sur l’intégration des communautés d’origines étrangères ou de confession musulmane dans nos sociétés. Ces questions se posent à Paris mais aussi dans de nombreux autres pays comme l’Australie, par exemple.
Se poser les bonnes questions, même si on n’a pas encore toutes les réponses, c’est déjà un pas, c’est ne pas ignorer les problèmes. J’espère que l’on arrivera à dresser l’inventaire de toutes les questions qui restent en suspens et voir les moyens que l’on peut mobiliser tous ensemble, responsables politiques et citoyens, pour trouver des solutions effaces.
Justement, on a vu des enfants en France déclarer « Je ne suis pas Charlie, il n’avait pas à s’en prendre à notre prophète ». C’est inquiétant, il y a aussi un travail énorme d’information à faire auprès de la jeunesse, non ?
Peut-être que 98% des Français sont « Charlie » mais c’est évidemment sur les 2% qui ne le sont pas, qu’il faut concentrer nos efforts. Ce ne sont pas des terroristes mais des personnes qui ont du mal à partager les mêmes valeurs, en partie peut être parce que tous les efforts n’ont pas été faits pour les leur faire partager.
Il y a énormément de canaux de dialogues qui doivent en fait être rétablis. Et un effort continu pour comprendre ce qu’ils pensent. Il est impossible d’intégrer des communautés si vous ne comprenez pas un peu ce qu’elles ressentent, vivent au quotidien. C’est une étape pour trouver les moyens de mieux leur faire partager nos valeurs.
Ces incidents ont-ils renforcé les liens entre la France et l’Australie ?
Cela a évidemment donné une dimension émotionnelle forte. C’était aussi une année où l’on célébrait la fraternité d’armes entre nos deux pays lors de la première guerre mondiale. Ceci a montré, s’il en était besoin, que les valeurs que nous avons partagées hier sont toujours d’actualité car elles sont menacées à Paris comme à Sydney. Nos sociétés ont été frappées par le même ennemi, le terrorisme. Pour les mêmes raisons.
Que peuvent faire les Français de France et d’Australie aujourd’hui pour aider à combattre ce fléau?
La mobilisation de ce week-end à Sydney est venue des citoyens, des Français, des Australiens, des amis. C’était notre honneur et notre devoir, en tant que représentants de la France, d’y participer pleinement.
L’avenir dépendra de la mobilisation de toute la société pour que ce dialogue avec l’islam et les communautés étrangères prenne davantage corps. L’enjeu est d’éviter l’engrenage du conflit mais d’agir pour jeter des ponts entre les communautés, entre les individus.
Nous sommes en état de guerre contre quelques terroristes mais l’objectif principal est aujourd’hui que ces « fous de Dieu » ne trouvent pas de relai, et de compréhension dans cette population dont ils partagent – soi-disant – la même religion. Il faut répéter que l’Islam n’est pas le terrorisme et que l’immense majorité des musulmans sont pacifiques et ont vocation à trouver leur place dans nos sociétés. Et à les enrichir.
C’est un enjeu de responsabilité non seulement pour les pouvoirs publics mais aussi pour toute la société civile de tendre la main à ceux qui, à tort ou à raison, ne se sentent pas forcément aujourd’hui être des citoyens à part entière dans nos sociétés. Et c’est vrai en France, en Belgique, en Angleterre et aussi en Australie.
Les millions de gens qui ont marché dans les rues ne doivent pas rentrer chez eux et aller faire la sieste. Comment chacun peut, par des actes minuscules, contribuer à changer la donne et à éviter l’escalade.
C’est de cette manière que l’on parviendra à assécher le cancer du terrorisme.
N’êtes-vous pas inquiet de voir qu’il y a certains partis en France qui sont déjà en train de faire de la récupération ?
Si, bien sûr. La situation est assez dangereuse dans le monde. Si on recommence à ignorer le sujet, à se rendormir, c’est à la fois pain béni pour les terroristes qui affirmeront que rien n’a changé mais aussi pour les extrémistes nationalistes qui expliqueront que l’Etat devrait faire davantage contre le terrorisme. Les deux sont presque finalement des alliés objectifs. En faveur du pire.
C’est en partie aux citoyens, par leur mobilisation, qu’il appartient de trouver des solutions constructives et de démontrer pratiquement que cela n’a pas de sens de confier nos destinées à des gens qui sont porteurs de fausses solutions, beaucoup plus radicales.
Vous êtes optimistes pour 2015 ?
Les derniers événements de ce week-end ont montré ce que les hommes peuvent encore réaliser dans une société moderne et, d’une certaine manière, ont permis de finir la semaine avec une forme d’espoir dans la capacité des peuples à réagir aussi bien de la part des dirigeants politiques que de la société civile.
Un autre rendez-vous qui devra montrer une certaine prise de conscience de l’humanité, c’est la conférence sur le climat à la fin de l’année. C’est un vrai sujet et il s’agit, là aussi, d’une grande violence que les hommes imposent, cette fois à la planète.
Si on pouvait arriver à montrer que les pays du monde sont capables là aussi de marcher ensemble, de démontrer leur unité de vues, et le sentiment d’une certaine copropriété de la planète et de l’avenir, ce serait magnifique. Le moment est le bon pour sortir de son égoïsme et faire un geste fort. Cela montrerait aussi que les mobilisations ne sont pas seulement là pour dire non mais aussi pour dire oui ! Oui, nous pouvons agir positivement par des actes concrets et efficaces. L’espoir a besoin de se nourrir d’une réussite du sommet de Paris en 2015.
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