Rencontre avec Julia Zemiro, actrice, présentatrice et gagnante de la catégorie Woman des French-Australian Excellence Awards 2023.
Commençons par un petit portrait rapide.
Alors, je suis née à Aix-en-Provence en 1967, mon père est Aixois et ma mère est Australienne. Ma mère était venue sur un grand bateau avec 2 copines quand elle avait 25 ans, mon père était serveur sur le bateau. Elle s’est rendue compte qu’il parlait un petit peu anglais, mais après elle a découvert qu’il faisait semblant de ne pas parler autant anglais, juste pour faire un peu chier les gens. Ils se sont rencontrés sur le bateau et puis elle a adoré Aix, elle lui a rendu visite à Aix aussi.
Je suis née là-bas et maman à cette époque, elle avait déjà fait tout son diplôme d’éducation en anglais. Elle l’a refait en français, elle voulait vivre en France. Mais mon père, en 1970, s’est dit que maman pouvait enseigner où elle voulait parce qu’elle avait l’anglais, le français. Et mon père s’est dit « moi je ne sais pas si à 30 ans, j’ai autant d’opportunités ici en France que j’en aurais en Australie », parce qu’à l’époque c’était vraiment encore le pays des opportunités.
Je me demande souvent ce que ma vie aurait été si on était restés là-bas. Est-ce que je serais actrice?

Comment s’est passée votre jeunesse en Australie ?
Ici, on était un peu seuls, mais on était un peu plus libres je crois. On est arrivé à Kings Cross, on a vécu à Kings cross. Mon père a travaillé, il était serveur dans un restaurant qui s’appelait le Trianon, un bon restaurant français, il n’y en avait pas beaucoup. Et à un moment donné, il a dit, bon, je veux mon propre business et il a acheté un petit restaurant dans Bondi road. C’était de la bouffe anglaise, ce n’était même pas Français. De la vraie nourriture ordinaire anglaise que tous les Australiens adoraient : de la soupe, un rôti et des légumes puis un dessert pour 1,25$. Et le restaurant était ouvert de 5 h de l’après-midi jusqu’à 8 h du soir. On habitait en haut du restaurant. Moi j’aimais beaucoup, je descendais le soir, je disais bonsoir à papa qui suait dans la cuisine. Maman était en train de corriger parce qu’elle était prof à l’époque. Avoir du bruit en bas, c’était pas mal quand même. Et quelquefois j’allais prendre un deuxième dîner, j’avais déjà mangé, mais j’allais bouffer un petit quelque chose.
Avez-vous été éduquée en français et en anglais ?
En primaire, tout en français, à la petite école. Alors c’est quand même incroyable. C’était une petite école, on était peut-être une soixantaine et on était un mélange : il y avait des enfants qui étaient déjà bilingues, il y avait ceux qui ne parlaient que français. En classe tout était en français et dans la cour, c’était en anglais. Alors c’est quand même incroyable de tout faire en français à l’école mais avec maman à la maison tout faire en anglais, la télé en anglais et la radio en anglais. Je ne sais pas, maman non plus elle ne sait pas exactement quand j’étais bilingue mais assez tôt je crois.
Après ça on s’est dit : est-ce qu’on fait le lycée français ou pas ? Est-ce que ça en vaut la peine ? Et je ne sais pas pourquoi on s’est dit on reste en Australie, plutôt faire le lycée en anglais. Mais d’abord j’ai répété tout le CM2 en anglais. J’avais déjà fait le CM2 en français mais j’ai tout répété à la même école. C’était vraiment extra de refaire tout en anglais, j’étais un peu en avance parce que le système français est déjà tellement en avance. Mais, après ça, je suis allée à Sydney Girls High School, une école sélective entièrement en anglais.
Et donc vous étiez fière de ce bilinguisme, de cette multiculturalité très tôt dans votre jeunesse? Vous étiez consciente de cette situation particulière?
Oui, parce qu’en effet, c’est un super pouvoir, quand tu peux comprendre quelque chose et que tu peux parler en secret avec quelqu’un et parler en secret avec quelqu’un d’autre. Ma mère se souvient, elle est allée à une fête avec mon père. Ce n’était que des adultes et j’étais là, petite, j’avais 5 ans, 6 ans, et maman m’a dit qu’à un moment donné, j’ai fait tout le tour des invités en anglais et j’ai refait tout le tour en français. C’est communiquer, c’est le fait de pouvoir communiquer avec le double des gens en fait, c’est si bien. Et dans la cour, quelquefois, entre les enfants, je faisais un peu de traduction. Tu te sens très utile.
Et donc après votre scolarité mixte, vous avez su déjà tout de suite que vous alliez vous orienter vers les métiers d’art ou bien pas spécialement ?
Dans ma carte des professeurs, il n’était pas écrit que j’étais un clown, il était écrit que je parlais beaucoup et que je pourrais me concentrer un peu plus, ça c’est sûr. Mais j’avais une copine dans la petite école française, son anglais était très bon, avec qui on s’enregistrait, on faisait semblant qu’on était à la radio et on faisait un programme de musique à la radio. Et c’est sûr que j’ai fait de la radio dans ma carrière : je fais ce programme Rockwiz où je fais de la musique. Alors c’est marrant, c’est un peu devenu vrai.
Mais à mon école, au lycée plutôt, Sydney girls high, il n’y avait pas d’art dramatique, ça n’existait pas à l’époque. Le théâtre, à l’école, c’est venu beaucoup plus tard. Ma mère a trouvé des cours le samedi à Martin Place, et tous les samedis, j’allais là et on faisait 1 h de voix, 1 h de mouvement, 1 h d’histoire de l’art dramatique et 1 h de jeu. J’ai adoré. J’avais 15 ans. Et ça fait du bien parce que si tu es à l’école, tu te rends compte qu’une fois que tu es au lycée, tout le monde décide qui tu es déjà. Mais quand tu peux aller autre part avec les autres élèves de ton âge, tu peux te réinventer un petit peu. Et ça, ça m’a fait plaisir. Et ce n’était même pas une réinvention. C’était « je ne suis plus le moi que je suis à l’école quand je suis ici ». Je ne vais pas dire que ça m’a sauvé la vie, mais c’était vraiment extra. Et aussi il y avait des garçons. Alors moi, il n’y avait pas de garçon à mon école. Il y avait des garçons et le premier garçon que j’ai embrassé, c’était sur scène. C’était un jeune homme dans une pièce, on a fait une farce française de Georges Feydeau, Une puce à l’oreille. Oui alors ça c’était extra, j’ai adoré. Mais je ne l’ai pas fait durant mes 2 dernières années de lycée parce qu’il y avait trop de travail, et cetera, mais ça m’a vraiment ouvert le monde un petit peu.
Puis je suis allée à l’université de Sydney où j’ai fait, où je n’ai pas fini, une licence de lettre. La première année était misérable, et ma mère me disait, mais va rejoindre la société d’art dramatique, je disais non, non, je peux pas. Et à un moment donné, un gars que je connaissais un petit peu est venu me dire : « j’ai écrit une pièce, je veux que tu sois dedans ». Et j’ai enfin trouvé ma petite tribu et après ça, c’était magnifique. Tout s’est ouvert, tout.

Et puis après ça, vous êtes partie à Melbourne ?
Oui, alors j’ai gaspillé pas mal de temps à l’université de Sydney à faire des tas de pièces et je servais dans les restaurants pendant la semaine, chez mon père et autre part. Je faisais de l’improvisation, un peu payée, pas trop payée. Et puis tout le monde vraiment dans mon groupe passait des auditions pour les écoles d’art dramatique. J’ai essayé pour NIDA à Sydney 2 fois. J’ai essayé à VCA à Melbourne une fois et je suis rentrée à Melbourne. Alors quitter Sydney, aller vivre 3 ans à Melbourne, faire ce cours, ça aussi, ça a complètement changé ma vie. Et pour le mieux. J’ai appris comment apprendre. Que tout le monde apprend différemment, que ce n’est pas juste les livres, c’est l’instinct, l’intuition, le travail bien sûr. Et que tout le monde est beau. Tout le monde est intéressant, tout le monde est doué, t’es pas la seule. Et ça, ça m’a fait du bien.
Comment est-ce que vous avez commencé à avoir une carrière un petit peu plus renommée ? Et quand est-ce que vous avez vu qu’il y avait vraiment un métier qui se profilait et que vous aviez des opportunités ?
J’ai fini les cours à 27 ans et tu ne sais pas. Tu ne sais pas si ça va marcher. Je peux même pas te dire oui, je me suis donné 2 ou 3 ans pour voir si ça allait marcher. Au fur et à mesure tu fais ci, tu fais ça. Tout de suite, j’avais un boulot, je faisais Shakespeare dans les écoles pour des jeunes. C’était bien payé, on était que 4 dans un petit camion, on faisait 2 lycées par jour tout autour de l’Australie. Quand tu vois que tu peux faire de l’argent c’est bien, mais il y avait des périodes avec rien du tout et à un moment donné, il y avait vraiment pas grand-chose. J’avais 37 ans à ce moment-là, je me suis dit, si à 40 ans, tu n’as pas trouvé le prochain truc qui va vraiment te donner du travail et payer ton loyer, il faut finir. J’aurais recommencé et j’aurais fait prof d’art dramatique, c’est sûr.
Puis tout d’un coup, avec toutes les auditions qu’on me donnait, j’en ai eu une bonne : c’était Rockwiz. Ça a commencé tout petit, Rockwiz, à la télé, mais ça a ouvert toutes les portes. Le fait que j’étais française m’a aidé pour l’Eurovision et pour être à SBS. Chez Rockwiz, notre truc, c’est qu’on aime des gens multiculturels. Ils se sont dit « ah elle est française, that will do ». Ça a ouvert toutes les portes. Alors à 37 ans, j’ai eu ce boulot qui m’a tout ouvert, puis l’Eurovision m’a ouvert Home Delivery.
Les gens qui me voulaient dans Home Delivery m’ont vu et ils m’ont dit en backstages « tu vas faire toutes ces interviews avec ces gens qui parlent pas l’anglais, tu as toujours l’impression de pouvoir trouver quelque chose en eux et c’est ce qu’on veut que tu fasses ». Et ça s’est enchaîné vraiment très simplement et j’ai travaillé très dur, peut-être trop dur, mais voilà ça s’est passé comme ça. Maintenant, je comprends que je peux peut-être prendre un petit peu plus de temps pour me détendre.
Donc maintenant que vous avez un peu plus de bouteille et d’expérience, vous pouvez peut-être choisir vos projets, être plus sélective. Comment vous définissez-vous aujourd’hui ? Qu’aimeriez-vous secrètement réaliser dans le futur ? Quel est votre rêve ultime ?
Je suis assez comblée, surtout depuis que j’ai fait cette comédie pour Netflix et pour ABC, Fisk. Ça, ça m’a donné une autre vie parce que tout d’un coup on m’a dit, « Ah mais tu es actrice aussi », mais j’ai toujours été actrice, je suis devenue présentatrice, vous me connaissez à travers ça. Alors pouvoir faire un truc complètement différent qui va autour du monde, c’est incroyable, c’est super.
Quelques fois je me dis, tiens, ce serait bien d’aller en France et essayer de faire quelque chose en français, mais je sais pas ce que ce serait. Comment le faire vraiment ? Je pourrais faire un one-woman-show dans un tout petit théâtre, juste pour m’amuser quelque part, pour voir comment ça marche.
Mais pour le moment, j’aimerais moins interviewer, je veux faire moins de ça, parce que je suis fatiguée. Je l’ai fait dans tous mes rôles, vraiment. Et c’est pour ça que Fisk en effet c’était comme des petites vacances. Tu fais ton truc et tu ne dois pas t’occuper des tas de personnes, les interviewer, ça c’est fatiguant. Mais oui, ça s’est très bien passé.
Je crois qu’aujourd’hui vous revendiquez plus cette fierté de multiculturalité. Vous osez prendre position publiquement sur des sujets plus sensibles…
Depuis 15 ans, je fais toujours partie de quelque chose : Domestic Violence Against Women, ambassadrice pour un groupe au Victoria qui s’appelle Our Watch, Yes Twenty Three ou n’importe quelle cause aborigène en effet. La politique aussi, pendant la dernière élection, quand on s’est débarrassé de Scott Morrisson et bien huit mois avant ça, j’avais fait beaucoup de trucs avec les indépendants, vraiment pour les rencontrer. J’étais intéressée par ces indépendants qui voulaient faire quelque chose, qui représentaient les gens de leur communauté. Mais le truc le plus difficile que j’ai eu, je crois, c’est si tu mets quelque chose sur la Palestine. Alors je l’ai fait avec 12 autres journalistes, écrivains et acteurs à travers Roxane.
Mais je crois que si tu peux faire quelque chose, il faut le faire. L’environnement est aussi important. Je vais faire un discours dans quelques semaines pour l’Energy Council à Sydney et je crois que je vais en faire davantage. Mais il faut choisir. Tu peux faire ça sur Instagram, tout ce que tu veux et ça ne veut rien dire, vraiment. Je ne sais pas, je n’arrive pas vraiment à comprendre la valeur de tout ça. Je ne sais pas si ça fait quoi que ce soit. Mais je comprends maintenant que je ne peux plus le faire seule. Il faut le faire en groupe et en communauté. Alors c’est ce que je vais chercher un petit peu et oui, je pourrais faire un programme à la télévision qui concernerait quelque chose comme ça, mais quelque fois je ne suis même pas convaincue que la télé change quoi que ce soit. Peut-être que tu ne peux rien changer, tu fais ce que tu peux dans ton coin. C’est sombre en ce moment. Il y a tellement de gens qui ne prennent pas conscience, qui ne s’intéressent pas, qui ne veulent pas savoir. Il faut témoigner.

Quelle est votre actualité ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui va bientôt être dévoilé au grand public ?
On fait une deuxième série de Great Australian Walks en ce moment, je vais commencer ça dans 3 semaines. Et Fisk saison 3, je viens juste de revenir de Melbourne où on a lu les 6 nouveaux scripts pour les 6 épisodes. Et ça va être bien, ça va être bien. C’est magique quand même que tu t’assoies avec tous ces gens, les acteurs, ceux qui écrivent le script, et on rigole tous ensemble. C’est vraiment quelque chose. Et le soulagement quand tu vois que c’est marrant. Ça, ça va être bien et je filme ça en avril, mai, juin. Je n’ai pas grand-chose le reste de l’année, je vais le garder un peu comme ça. J’ai besoin de juste réfléchir un petit peu. Et pour le moment, c’est tout.
Vous avez été évidemment une gagnante des awards franco-australien, c’était aussi une de vos premières réapparitions dans la Communauté Franco-australienne. C’était important pour vous de « revenir », de refréquenter cette communauté ?
Absolument. D’un côté, je me suis dit, mais est-ce que j’ai le droit d’être ici ? Et puis je me suis dit, non mais quand même, je suis française, j’ai le droit d’être ici. Ça m’a fait du bien d’être dans cette pièce et de voir qu’il y avait une communauté française. Depuis j’ai fait l’Alliance et je t’ai rencontré. J’ai rencontré des gens intéressants. Je ne veux pas être amie avec tout le monde, mais j’ai rencontré des gens très intéressants qui font des choses très intéressantes en Australie, qui sont Français. Ils ont une petite connexion avec la langue. Parce que moi aussi c’est avec la langue. Si tu as une connexion avec la langue, moi ça m’intéresse. Pas besoin d’être Français.
Alors être Français en Australie, c’est très bizarre quand même. C’est pas comme si tu faisais partie d’une communauté asiatique ou italienne ou grecque, ou indienne, pakistanaise. Les Français, ce n’est pas facile à trouver, si tu ne comptes pas les backpackers, qui viennent pour un ou deux ans. C’est un groupe assez différent, ils ont tous un truc différent, une histoire différente. Et moi, ça m’a fait du bien de pouvoir parler de ça, parler un peu de ma maman et de mon papa et partager avec ces gens que c’est la langue qui m’a gardée française.
Quand on dit que quelqu’un ne parle pas très bien anglais, alors que c’est sa deuxième ou troisième langue, j’ai envie de demander : mais combien de langues parles-tu, toi? Ah oui, seulement une. Sans la langue, il n’y aurait pas de culture. J’aimerais bien pouvoir remercier ces profs assez strictes, ces femmes, elles étaient strictes ces femmes à la petite école française, ce n’était pas marrant. Mais j’ai eu ma chance, à des moments, j’ai pu dire merci à ma manière. Heureusement pour cette école.
Vous étiez fière d’avoir ce prix, c’est quelque chose que vous allez garder au fond de vous ?
Ah oui ! Et ça m’a fait beaucoup de bien d’avoir la chance, l’opportunité de parler à cette salle de gens et redire bonjour en français cette fois-ci, un peu en anglais, un peu en français et partager ce que ça veut dire, c’était génial.
Et à chaque fois que je dois parler français, ça me relance dans un autre monde. Je ne le fais pas assez. Ça me fait beaucoup de bien parce que je ne suis pas allée en France depuis longtemps, avec le COVID et cetera.
Tu renoues avec ton identité.
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