Après François Hollande en 2014, Emmanuel Macron a choisi d’effectuer un déplacement officiel en Australie du 1er au 3 mai dernier. Un événement riche en gestes symboliques et fort en engagements. Natanael Bloch, expert en communication politique, nous livre son point de vue sur le sens à lui donner et ce qu’il faut en retenir – alors même que l’élu fête ses un an de présidence dans un climat social particulièrement tendu.
Il y a un peu plus d’une semaine, le président français arrivait en Australie pour trois jours. Avec le recul, que peut-on dire de son voyage ?
Qu’il a été un succès… comme tous ses déplacements à l’international, y compris aux USA. A ce titre, l’Australie n’a pas dérogé à la règle. On attendait la signature de contrats – effective – mais il y a eu bien plus. Le président a annoncé, par exemple, des accords sur la cybersécurité ou la lutte contre le réchauffement climatique, des sujets importants.
Selon vous, les annonces faites n’ont donc pas été anecdotiques ?
Absolument pas ! Bien sûr, on connaissait déjà les grands sujets liés à la défense – contrats avec Naval Group (ex-DCNS) ou Thales – mais d’autres annonces structurantes ont été faites. Les accords sur les sujets évoqués ci-dessus vont, notamment, soutenir une relation approfondie. Dans le champ diplomatique, l’émergence d’un axe indo-pacifique (Nouvelle Calédonie-Inde-Australie) est crucial. Face à l’influence grandissante de la Chine, utiliser cette nouvelle porte d’entrée sur l’Asie, c’est nouveau quoique logique d’un point de vue géopolitique. Enfin, l’autre grand sujet évoqué est l’accord de libre-échange que l’Australie aimerait signer avec l’Europe. Là-dessus, Emmanuel Macron est venu dire à Malcolm Turnbull qu’il pourrait compter sur l’appui de la France. Alors que le Brexit sera effectif en mars 2019, la France se pose en partenaire solide de son allié australien au sein de l’Union européenne.
Les relations sont au beau fixe ?
Macron et Turnbull se sont déjà rencontrés en juillet 2017 en France. Edouard Philippe a participé en avril dernier aux cérémonies de l’Anzac, toujours avec le Premier ministre australien dans la Somme. Ce voyage constitue la troisième rencontre importante entre les deux pays, dans un laps de temps incroyablement resserré. A mon sens, ce rythme est révélateur d’une proximité plus grande entre la France et l’Australie. J’ajouterais deux choses. Un : les pays ont de nouveau coché la case « histoire commune » avec la cérémonie commémorative qui s’est déroulée à l’occasion du centenaire de la fin de la Grande Guerre. Certains se plaignent de récupération, je crois que si ce témoignage n’avait pas été rendu, la critique aurait été toute aussi virulente. Deux : je rappelle, pour l’avenir, que le partenariat des sous-marins engage sur 50 ans, une durée exceptionnelle. Ce n’est pas un avion que l’on vend et après quoi on passe à autre chose, non. Il va y avoir des échanges de compétences, de technologies et aussi des emplois créés… tout cela est structurant sur le long terme.
Un mot sur l’erreur de langage du président : côté australien, on n’aurait retenu que ça ?
Je vais vous répondre du point de vue de la communication. Tout d’abord, il faut reconnaître à Emmanuel Macron qu’il est le premier président français à être aussi à l’aise avec l’anglais. Il n’aurait certes pas fait cette erreur (utiliser « delicious » au lieu de « delightful » au sujet de l’épouse de Malcolm Turnbull ndlr.) s’il s’était exprimé en français. Il prend donc des risques et c’est plutôt tout à son honneur. Je pense par exemple à l’échange qu’il a eu avec les étudiants de George Washington University aux Etats-Unis : il a osé. Ensuite, il faut prendre le Daily Telegraph, qui a caricaturé Macron en putois, pour ce qu’il est : un tabloïd. Pour moi, il s’agit d’une vision plus moqueuse qu’agressive. Cependant, il est intéressant de noter que la perception du Français reste caricaturale : on le voit dragueur, beau parleur et même affabulateur. Ce sont des aprioris bien ancrés.
Peut-on distinguer un Macron international d’un Macron national ?
Non, pour moi il n’y a pas deux Macron, mais deux visions différentes qu’on a de lui. En France, on reste sur une appréciation très gauche/droite et on essaie encore de le mettre dans des cases. Il n’y a qu’à regarder les titres de presse pour son premier anniversaire à la tête du pays : Macron est-il de droite ? Est-il de gauche ? titraient encore il y a peu les journaux français pour les un an de sa présidence. Ailleurs en revanche, on regarde davantage l’homme neuf – le « disrupteur » si on reprend la terminologie macronienne de start up nation – qui réinvente les relations internationales comme le faisait Obama. Les Français de l’étranger sont d’ailleurs fiers de ce président, même s’ils ont des attentes spécifiques liées à leur statut, des inquiétudes sur la santé, les retraites etc. Ici, on ressent moins le bing bang politique qu’en France. J’ajoute que les députés de l’étranger étant issus de la majorité présidentielle, ils n’ont pas intérêt à créer un clivage fort. Quant aux conseillers, même d’autres bords, ils évitent d’être partisans.
Finalement, l’Australie n’a-t-elle été qu’une pause avant la Nouvelle-Calédonie ?
Sur le papier, on pouvait avoir cette lecture. Mais je pense que ce voyage ne peut être réduit à une escale. Honnêtement, je m’attendais à moins et j’ai été surpris par la densité et le nombre d’événements auxquels le président a participé. Son emploi du temps a été bien équilibré et la presse française a, là-dessus, été pédagogue et positive.
Que dire sur ce voyage en Nouvelle-Calédonie : a-t-il été le piège que l’on imaginait ?
Il s’est mieux passé que prévu. Le président avait deux messages à faire passer : affirmer que les Calédoniens sont libres de choisir par eux-mêmes l’issue du référendum mais aussi rappeler la force des liens qui les unissent à la France. Rappelons au passage que Macron arrivait en territoire plutôt hostile puisqu’il n’a obtenu que 12,75% des voix au premier tour de la présidentielle en Nouvelle-Calédonie, derrière Fillon et Le Pen. Sur sa visite à Ouvéa, elle s’est produite 30 ans après les fameux événements et il est le premier président à s’y être rendu. Là, il a su trouver les mots pour jouer l’apaisement, l’écoute et la résilience. Il a eu le ton juste, même quand on lui demandé s’il aurait ordonné de donner l’assaut à l’époque. Pour moi, c’est quasiment un sans faute.
En France métropolitaine, c’est une autre histoire : l’anniversaire du président est plutôt chahuté, non ?
En effet, et on se demande comment il va se dépatouiller des grèves et colères diverses. Est-ce que le couple exécutif va continuer à fonctionner dans ce système bicéphale très Vème république où l’un va au charbon tandis que l’autre garde de la hauteur ? Pour l’instant, le président a la chance d’avoir un petit noyau de parlementaires soudés et très dévoués qui prend les risques sur les plateaux télé et différents médias pour défendre sa politique. Mais on observe aussi quelques fissures notamment de la part d’élus, soit issus de la société civile, soit plus ancrés à gauche. Le groupe LREM a d’ailleurs connu son premier départ avec le député Jean-Michel Clément. Pour l’instant, le crédo du président « libérer et protéger » laisse tout le monde sur sa faim. La droite, parce qu’il ne va pas assez loin dans la libéralisation de l’économie et des contraintes. Et la gauche qui se montre très critique d’une certaine politique jugée droitière de Macron. Je pense notamment à la loi asile ou le débat sur l’ISF.
Qu’est-ce qui attend le président dans les mois à venir ?
Il a lancé énormément de chantiers, mais le processus de mise en œuvre reste long. On peut donc dire que tout reste à faire. En développant l’image de la start up nation, Macron a aussi pris le risque qu’on lui demande des comptes rapidement. On a également passé la période dite « d’état de grâce » (si toutefois il y en a jamais eu une). Pour moi, plusieurs sujets vont être compliqués. Il devra renouer le dialogue social, lancer les grandes réformes (état, maladie, retraite) et affronter les électeurs puisque deux échéances arrivent : les élections européennes et municipales. Pour ces dernières cependant, il bénéficie encore de la non-restructuration des autres partis qui restent en état de décomposition avancée : la droite par manque de leader incontesté et la gauche par manque de corpus idéologique, voire les deux. Finalement, c’est peut-être dans son propre camp que le risque est le plus grand de voir des fissures et contestations mettre à mal la politique qu’il souhaite mener.
Propos recueillis par Valentine Sabouraud
Légendes photos : 1/ E. Macron et M. Turnbull le 2 mai à Sydney 2/ N. Bloch 3/ Une du Daily Telegraph le 3 mai 4/ E. Macron en Nouvelle Calédonie 5/ SNCF en grève.
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