Ex-directeur du patrimoine chez Chanel, Emmanuel Coquery s’est vu attribué en mai 2017 la direction scientifique de l’Établissement public de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais. Depuis près d’un an, cet docteur en histoire de l’art et ancien conservateur passé par le Louvre et la Villa Médicis gère ainsi la programmation des expositions au Grand Palais, au Musée du Luxembourg, et dans une vingtaine d’autres musées français. De passage en Australie pour une conférence sur l’art et la mode donnée jeudi dernier pour le Sherman Centre for Culture and Ideas de Sydney, il a pu répondre à nos questions juste avant de monter sur scène.
Depuis Paris, vous êtes venu jusqu’en Australie pour présenter ce soir un exposé sur les liens entre monde de la mode et monde de l’art. Ce thème est-il à ce point digne d’intérêt pour effectuer un tel voyage ?
Totalement – même si ce n’est pas la seule raison de mon séjour ! J’ai tout un programme de visite de musées et de rencontres avec des galeristes et des collectionneurs dans les prochains jours, d’abord à Sydney puis à Adelaïde et Melbourne. Mais c’est certain que le sujet des liens entre mode et art méritait à lui seul le déplacement. C’est un sujet très vaste, qui recouvre de nombreux questionnements passionnants et actuels. Typiquement, on se demande beaucoup aujourd’hui si la mode peut désormais être considérée comme un art. Depuis longtemps, la mode est perçue comme non artistique, ou du moins comme un art secondaire. Mais depuis une quinzaine d’années, il y a une sorte de regain d’intérêt pour la mode, avec dans des musées du monde entier, des expositions toute entières consacrées à des grands couturiers ou à de grandes maisons. Au-delà de son aspect commercial, la mode devient quelque chose de très patrimonial aujourd’hui, un art comme les autres qui s’expose de fait dans les musées.

Pourquoi une telle évolution ?
On peut distinguer de multiples raisons. ll y a d’abord une aspiration des créateurs à devenir des artistes, volonté que les maisons de mode soutiennent largement avec les moyens financiers qu’on leur connaît. Les grandes marques ont en effet tout intérêt à ce que la mode soit considérée de manière croissante comme un art, tout simplement parce que cela conduit à une valorisation des produits. Autrement dit, si les vêtements que vous vendez sont considérés comme des oeuvres d’art, il y a de fortes chances que vos marges soient bien meilleures. Mais au-delà de cet aspect commercial, je crois qu’il y a aussi un réel intérêt croissant du public pour la mode comme art s’exposant dans les musées. On peut citer deux exemples révélateurs : l’exposition Alexander McQueen, qui a attiré 650 000 visiteurs au Metropolitan Museum de New York en 2011 puis 480 000 au Victoria and Albert Museum de Londres en 2015 ; et l’exposition Christian Dior au musée des Arts décoratifs à Paris en 2017, avec plus de 700 000 visiteurs. La mode devient un art démocratique, accessible à tous. D’une part, parce qu’elle recouvre une nécessité vitale pour tous, puisque tout le monde s’habille et se choisit des combinaisons de vêtement. Et d’autre part, parce qu’en s’exposant dans les musées, les créations des grands couturiers deviennent visibles de tous, alors qu’il fallait auparavant fréquenter les défilés et boutiques ultra chics pour s’en approcher.

Quid de l’Australie ? Y constate-t-on les mêmes changements ? Et plus largement, quelle place occupent les Aussies dans le monde de la mode et de la haute couture ?
Vivant à l’autre bout de la planète, je ne suis forcément pas un grand spécialiste de la mode australienne, et j’avoue d’ailleurs ne pas connaître de grandes personnalités de la mode australienne – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Mais il est en tout cas certain que l’Australie fait partie des grands marchés en devenir de la mode. On le voit avec toutes les boutiques qui fleurissent dans le centre-ville de Sydney : les grandes maisons européennes s’implantent de plus en plus ici. Et pour ce qui est de l’évolution de la mode comme un art, ce n’est pas une tendance européenne mais bien internationale, qui concerne aussi l’Australie. Un exemple très récent d’exposition de mode dans un musée a justement eu lieu à Melbourne, avec l’exposition Dior à la National Gallery of Victoria qui s’est terminée il y a quelques mois.
Justement, on ne peut pas s’empêcher de vous poser la question : ce voyage en Australie pourrait-il aussi servir à préparer le terrain pour de futures collaborations entre le Rmn-Grand Palais et des musées australiens ?
Puisque le Rmn-Grand Palais est une maison qui est très habituée à présenter des expositions préparées en partenariat avec d’autres musées, c’est forcément dans mon rôle de nouer des contacts à l’étranger et de réfléchir à des opportunités de monter des projets avec des institutions étrangères – et ce, deux, trois voire quatre ans avant la réalisation concrète des expositions. Donc même si rien n’est encore prévu, monter des partenariats avec des musées australiens, pourquoi pas ! Le Grand Palais n’a à ma connaissance jamais collaboré avec l’Australie, donc ma visite ici est peut-être l’occasion de débuter de grandes choses…
Propos recueillis par Tom Val
Photo d’en-tête : Daniel Asher Smith
La conférence d’Emmanuel Coquery a inauguré le Fashion Hub 2018 du Sherman Centre for Culture and Ideas, série de conférences, de films et d’expositions qui court jusqu’au 21 avril prochain. Quelques places sont encore disponibles pour certains événements, le programme détaillé à retrouver ici : scci.org.au
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