Aux côtés du premier ministre australien Malcolm Turnbull, Emmanuel Macron a participé ce matin à une cérémonie à l’ANZAC Memorial de Sydney en hommage aux soldats australiens engagés sur le sol français lors de la Première et Seconde Guerre mondiale. Voici le verbatim de son discours (traduit en français sachant que seul le prononcé fait foi) :
Monsieur le Premier Ministre,
Madame la première Ministre,
Nous sommes réunis ici pour l’honneur de nos héros. Notre présence à tous à l’ANZAC mémorial de Sydney répond en écho à la “cérémonie de l’aube” qui s’est tenue en votre présence, Monsieur le Premier Ministre, à Villers-Bretonneux, le 25 avril dernier. Nous sommes venus de Paris, d’Amiens, de Nouméa, de Canberra. Aucune distance n’éloigne ceux qui portent au fond d’eux-mêmes la mémoire douloureuse et privilégiée de la fraternité des armes.
Les élèves du Lycée Branly d’Amiens qui m’accompagnent ont parcouru en sens inverse le chemin que 313 000 soldats australiens ont fait vers le front occidental, il y a plus de cent ans. Beaucoup, avaient votre âge ou à peine plus, 60 000 ne sont jamais revenus. 11 000 d’entre eux sont tombés en France et reposent aujourd’hui sur notre sol. Nous ne les oublierons jamais. À travers vous, chers élèves se perpétue en cet instant, le fil de la mémoire qui relie entre elles les générations. Avec vos camarades australiens, vous avez porté la grande responsabilité de faire entendre leurs voix en nous lisant leurs mots. Il n’est pas de façon plus juste de leur rendre hommage ; raconter leur histoire pour mieux comprendre la nôtre.
C’était l’aube, le 25 avril 1918, à Villers-Bretonneux. Il y avait cette pâle lueur que l’on aperçoit dans Morning Star, la tapisserie du Centre Sir John Monash, au bout d’un chemin bordé d’eucalyptus à travers le bush, serpentant vers une lumière où tant de jeunes australiens ont rencontré les ténèbres. Ils ont écrit à leur famille pour leur dire un dernier adieu ils se sont souvenus de ce que disait leur commandant, « Sir John bit for the benefit of the whole community ». Ils savaient l’enfer qui les attendaient. Ils savaient qu’ils iraient jusqu’au bout, « Advance Australia fair ! » était déjà leur hymne.
Les soldats de l’ANZAC étaient partis du pont d’Albany, le 1er novembre 1914. Ils avaient laissé derrière eux leur foyer, leurs projets, la vie qu’ils avaient imaginé si le cours de l’Histoire n’en avait décidé autrement. Ils firent l’épreuve du feu sur le front oriental à Gallipoli, au point du jour du 25 avril 1915, que l’ANZAC Day commémore depuis 1916. Leurs faits d’armes face aux positions ottomanes, fait comprendre au monde entier que désormais, il faudrait compter avec les soldats de l’ANZAC, avec leurs idéaux et l’implacable bravoure qu’ils étaient décidés à engager pour les défendre. Au printemps 1916, ils arrivèrent en France. Ils participèrent à la bataille de la Somme, à celles de Pozières, Fromelles, Bullecourt, Villers-Bretonneux, Le Hamet. À chaque fois, ils firent la différence, suscitant l’admiration de leurs frères d’armes et de l’Europe toute entière. Clémenceau diraient d’eux le 7 juillet 1918 : « j’ai vu les australiens, je les ai regardés dans les yeux, je sais que ces hommes combattront avec vous jusqu’à ce que les valeurs que nous défendons l’emportent pour nous et pour nos enfants ». Ils l’ont fait, pour nous.
C’était l’aube, le 26 avril 1918 à Villers-Bretonneux. Il fallait arrêter l’avancée des colonies ennemies qui semblaient inexorables. Le Maréchal Foch l’avait compris l’établissement des Allemands dans cette ville leur fournissait des observations et des emplacements qui leur permettaient d’entreprendre : le bombardement, l’attaque, et la conquête d’Amiens. Il fallait agir et nous savions que nous pouvions compter sur les soldats australiens. Ils partirent à l’assaut des lignes ennemis et par leurs actes d’héroïsmes, ouvrir la voix à la contre-offensive alliée qui allait nous conduire à la victoire et à la fin de la Grande Guerre. Au prix d’innombrables pertes, ils ont laissé derrière eux cette vérité de notre Histoire : les Diggers se sont sacrifiés pour nous ouvrir le chemin de la paix.
Après la guerre, sur les ruines des villes et des villages les enfants ont repris leurs jeux. Un historien de la grande guerre raconte que c’était à celui qui trouverait le plus de balles ou de morceaux de ferrailles d’obus dans les champs. Les Australiens se mobilisèrent une fois de plus pour que les enfants français retournent à l’école. Celle de Villers-Bretonneux porte aujourd’hui ces mots dans sa cours, en signe de reconnaissance : « do not forget Australia ». Des décennies après le départ des Diggers, après qu’une autre guerre éclate sur le continent européen, les enfants de la Somme ont continué leurs jeux au milieu des monuments, des musées, des cimetières, des innombrables traces que les soldats australiens, engagé dans les deux conflits mondiaux ont laissé derrière eux.
J’ai été l’un de ces enfants. Je sais ce que mon pays vous doit. C’est donc avec émotion et honneur que je suis venu vous dire au nom de la France : Thank you, Merci de ce que vous avez fait pour nous. Je remercie l’Australie d’avoir permis la création sur notre sol du nouveau chemin de mémoire qu’est le Centre Sir John Monash. Le centenaire de la Grande Guerre nous conduit à nous souvenir de tout ceux qui sont tombés pour notre liberté. À chaque fois, il y a un éclairage spécifique, une leçon à retenir.
Rendre hommage au Diggers c’est d’abord comprendre ce que l’engagement signifie. La plupart d’entre eux étaient des volontaires. Près de 5 000 étaient des rugbymen qui avaient trouvé dans l’esprit de leur sport la force de leur engagement. Ils sont venus, animés par la force d’une idée ; quand la liberté est en danger, même à l’autre bout du monde, elle est partout menacée. C’est pour elle qu’ils sont tombés, si loin de leur terre natale, avec un sens de la camaraderie, la célèbre mateship, entrée dans la légende.
Se souvenir des Diggers, c’est aussi comprendre sur quels fondements une nation se construit. La nation australienne s’est forgée sur le front occidental, par la projection d’une très grande partie de sa population de l’époque à l’autre bout du monde, au nom d’un idéal. C’est un message puissant à l’heure où le nationalisme guette, replié dans ses frontières et son hostilité au reste du monde. Aucune grande nation ne s’est forgée en tournant le dos au monde.
Notre hommage aux soldats australiens est enfin un acte, car la mémoire qui vit est une morale de l’action. Ici et maintenant, à l’ANZAC Memorial de Sydney, nous renouvelons ensemble le serment que nos soldats se sont faits il y a cent ans sur le champ de bataille : nous répondrons présents, à chaque fois que nous auront besoin les uns des autres.
Nous inscrire dans leur pas, c’est combattre côte à côte le terrorisme comme nous le faisons au Levant, et en agissant ensemble contre le financement de la terreur. C’est construire pour les cinquante années à venir un partenariat stratégique d’exception, qui nous met en mesure de défendre ensemble notre idée du droit, de la liberté et de la souveraineté.
Retenir leur leçon c’est avoir chevillé à l’âme, ce principe de la Charte des Nations-unies nous enjoignant de « préserver les générations futures du fléau de la guerre, qui en deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances. »
C’est refuser de se résoudre à l’impuissance quand ces indicibles souffrances sont infligées à des hommes, des femmes et des enfants, en Syrie, avec des armes chimiques que la communauté internationale croyait avoir à jamais banni dès le lendemain de la Grande Guerre. Je remercie ici l’Australie pour son soutien à l’opération que nous avons mené avec nos alliés britanniques et américains contre les capacités chimiques du régime syrien.
Honorer leur mémoire, c’est refuser de rester assis face aux désordres du monde, et continuer à marcher main dans la main comme nous l’avons fait, il y a cent ans. C’est créer ensemble comme nous en sommes convenus, un programme pour placer l’éducation au cœur du travail de mémoire, pour que cette grande amitié entre nos écoles se perpétuent. Je compte sur vous, nos amis australiens, nos frères d’âmes pour être à nos côtés au Forum de Paris que nous organiseront le 11 novembre prochain pour construire l’avenir de la paix. Nous trouverons dans nos mémoires l’énergie de la bâtir, en nous répétant ces mots de Richard Kipling : Lest we forget !
Je me tourne à présent, vers vous, Vétérans australiens de la Seconde Guerre mondiale. Fidèles aux serments de vos ainés, vous avez répondu présents quand l’Australie a déclaré la guerre à l’Allemagne nazie le 3 septembre 1939. Je rends hommage à travers vous, aux 700 000 soldats australiens engagés, alors que l’Australie comptait 7,5 millions de personnes à l’époque. Une fois de plus, vous êtes venus sur notre sol pour y défendre notre liberté. Une fois de plus, votre bravoure a emporté la décision et force à jamais notre profond respect.
Louis Solomons, vous êtes entré dans l’armée britannique le 30 mai 1940 au sein du 16ème Bataillon Royale des fusillés, avant d’être affecté dans l’artillerie royale. Vous aviez 23 ans. Vous avez passé plusieurs mois dans la région de Douvres, pour préparer le Débarquement. Peu après, votre unité d’artillerie a été projetée sur une plage proche de Bayeux, lors d’une opération amphibie, alors que les combats faisaient rage à proximité. Durant plus d’un mois, vous aviez été engagé en appui des opérations d’infanterie pour libérer les villes de Bayeux, Caen, St Lo et Tilly. En plus de vos faits d’armes vous avez aussi servi, dans un hôpital de campagne de Normandie, pour soigner les blessés et accompagner vos frères d’armes.
William Mackay, vous êtes entré dans l’armée le 6 mars 1941. Vous n’aviez pas encore 17 ans. Après les mois d’entraînements et d’aguerrissements nécessaires à l’exigence des missions d’infanterie parachutiste, durant lesquels votre ténacité et votre dynamisme ont été remarqués, vous avez été affecté à la deuxième Brigade indépendante de parachutisme. Le 15 août 1944, dès les premières heures du Débarquement de Provence, vous êtes parachuté sur le village de Muy. Vous prenez alors part à une opération aéroportée majeure, visant à reprendre le contrôle de la localité et à appuyer le 6e corps de l’armée américaine dans sa progression pour libérer le sud de la France. Alliant bravoure et discernement, vous faites partie des soldats qui assurent la jonction entre les opérations militaires alliées et les groupes de résistants français.
Norman Sanders vous êtes rentré dans la Royal Navy en tant que matelot en janvier 1943. Vous aviez 17 ans. En mai 1944, après votre diplôme de radio-télégraphiste, vous vous engagez à temps plein dans la préparation du Débarquement de Normandie. Le 6 juin 1944, alors que l’opération amphibie sur Omaha Beach est mal engagée, vous vous portez volontaire sur alerte, pour une mission que vos chefs savent si dangereuse qu’ils n’y engagent que des volontaires. Sous le feu ennemi, vous évacuez les blessés, empêchez l’enlisement. Vous avez rempli votre mission avec courage, détermination et abnégation.
Messieurs les Vétérans, à peine entrés dans l’âge d’homme vous étiez déjà des héros. Vos actes de courage vous honorent et nous obligent. En signe de reconnaissance, je vous remets au nom de la France, les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur.
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